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Entre New-York, Albany et le lac Érié, il y a deux lignes de chemins de fer, plus la navigation de l'Hudson, fleuve presque sans courant et trois fois large et profond comme le Rhin, sur lequel naviguent des bateaux à vapeur de 12 à 1500 tonneaux et de la force de 1000 à 1200 chevaux, qui transportent les voyageurs dans des salons dignes des palais d'Europe moyennant le prix de 2 fr. 50 pour 40 lieues et 5 francs y compris le repas. Et cependant les deux lignes de chemins de fer concurrentes réalisent des recettes considérables. Le New-York et Erie, dont le coût a été de 31,224,884 dollars ou près de 160 millions de francs, a produit en 1853, 4,484,986, dollars ou près de 25 millions de francs; le New-York central qui lui est parallèle et dont le coût a été de 112 millions environ a produit une recette brute de 18 millions et demi, tandis que le canal de l'Erié, qui se trouve entre ces deux lignes dans toute sa longueur a vu ses recettes s'élever à près de 18 millions de francs pendant la même année.

Je pourrais multiplier ces faits, mais ils suffisent pour prouver que les chemins de fer doivent, comme toute autre industrie, être soumis aux lois salutaires de la concurrence; que le monopole, plus agréable et plus facile peut-être pour les administrateurs, leur ôte une partie, quelquefois très-grande, de leur utilité sociale et humanitaire. Ce n'est pas uniquement pour faire les affaires des Etats ou des actionnaires que les railways ont été concédés et créés; c'est surtout pour servir aux progrès de la civilisation et de l'humanité; et c'est ce qui parait souvent être perdu de vue par les Etats et les compagnies en Europe. Il n'y a qu'un seul moyen de les en faire souvenir, c'est de provoquer et de favoriser la concurrence aussi active et aussi animée que possible.

Ce qui prouve, plus encore peut-être que les exemples

que je viens de citer, que les chemins de fer doivent se soumettre aux lois générales de l'industrie et du commerce, et ne pas s'en isoler par des tarifs inflexibles comme ils le font en Europe, ce sont les chemins de fer charbonniers de la Pennsylvanie. Non-seulement les tarifs y sont réduits à 4 ou 5 centimes par tonne kilométrique, mais encore on les abaisse à 3 centimes lorsque la vente des charbons est lente et que les prix sont en baisse. Et cependant ces chemins de fer distribuent 8 et 10 p. c. de dividende à leurs actionnaires et sont les premiers à adopter tous les perfectionnements que la science ou l'expérience suggère.

On a souvent parlé de la vitesse des chemins de fer en Amérique; c'est une erreur: sous ce rapport ils sont loin d'atteindre les vitesses acquises en Angleterre et sur le continent de l'Europe. Généralement la vitesse des trains de poste est de sept lieues à l'heure; quelques lignes seulement, entre les grandes villes, la portent à huit lieues. Les convois de marchandises n'ont que la moitié de ces vitesses.

En général, du reste, le matériel est moins massif et moins calculé pour subir de grands chocs aux ÉtatsUnis qu'en Europe. Les trains étant plus légers n'exigent pas des locomotives aussi puissantes, et par suite on n'y emploie guère que des rails de 24 à 25 kilog. par mètre courant, au lieu de 35 à 36 comme nous devons les employer en Europe, en attendant que nous les portions à 50 ou 60.

Tout cela contribue au bas prix des tarifs, et, par suite, à la prospérité du pays et à la multiplicité des transports dont le rayon peut s'étendre d'autant plus que les frais sont moins grands.

Les détails qui précèdent seront suffisants, je l'espère, pour faire comprendre les différences qui existent entre

les chemins de fer en Amérique et en Europe, et comment d'une part ils contribuent avec toutes les autres institutions au progrès moral et matériel de la nation, tandis que de l'autre ils ont ajouté de nouvelles exceptions, de nouveaux priviléges, de nouveaux monopoles à tous ceux qui formaient déjà la base de nos institutions.

Bruxelles, août 1855.

AD. LE HARDY DE BEAULIEU.

Ingénieur civil.

ÉTUDE SUR HENRI CONSCIENCE.

Wat die letterkunde byzonder aenbeveelt is de eenheid van nationael gevoel, de redelyke strekking en eene beradenheid om boven eene alledaegsche beuzelende letterkunde zich te plaetsen.

F.-A. SNELLAERT. Rapport sur le prix quinquennal de littérature flamande, 1855; dans les Bulletins de l'Académie.

M. Henri Conscience est né à Anvers, le 3 décembre 1812.

Son père, français d'origine, après avoir servi dans la marine impériale comme chef de timonerie à bord d'un navire de guerre, obtint la place de contre-maître au chantier de construction du port d'Anvers. Il y épousa une Flamande qui lui donna deux fils.

Leur enfance s'écoula en partie à la campagne, dans une retraite isolée, au milieu des bruyères de la Campine. C'est là que l'âme du jeune Henri s'abreuva de poétiques contemplations et de mélancoliques rêveries dont ses œuvres devaient conserver l'empreinte.

Henri Conscience fut destiné à la carrière de l'enseignement. Il y débuta comme professeur des classes élémentaires dans une maison d'éducation de sa ville natale.

La révolution belge vint l'arracher à cette profession

à laquelle il se vouait avec une prodigieuse activité. Le jeune homme, dont la solitude et de hâtives souffrances avaient trempé le caractère, et dans le sein duquel germaient déjà ces instincts d'indépendance qui devaient lui inspirer plus tard Van Artevelde et De Leeuw van Vlaenderen, ne pouvait rester étranger au frémissement patriotique qui remuait le pays d'un bout à l'autre.

Il s'engagea comme volontaire, au mois d'octobre 1830, dans le corps du général Niellon, et assista avec honneur aux affaires de Raevels, de Lubbeck et de Louvain où il obtint le grade de sergent-major.

C'est à l'armée qu'il fit ses débuts littéraires. Ses chansons françaises, pleines de verve patriotique et de joyeuse humeur, couraient le camp et se chantaient le soir au bivouac. Deux autres poëtes comme lui, dont la Belgique pleure la perte prématurée, Van Rysvyck et Weustenraad, avaient également senti jaillir la première étincelle de leur génie à ce foyer ardent et régénérateur de la révolution.

Henri Conscience cultiva la poésie française jusqu'à son retour dans ses foyers, en juin 1836. Peu de mois après il publia le Wonderjaer, sa première production en langue flamande. Ce roman obtint autant de succès en Allemagne qu'en Belgique. Il fut suivi de Phantazy, recueil de nouvelles et de poésies que le public accueillit froidement. L'auteur prit sa revanche quelque temps après lorsque parut de Leeuw van Vlaenderen, composition historique dont la célèbre bataille de Courtray ou des Eperons forme le principal épisode.

La réputation de Conscience se fit jour et sa popularité commença de s'établir. Mais réputation et popularité ne sont pas choses dont on vive. Ses ouvrages, malgré leur succès, avaient occasionné à l'auteur des pertes matérielles : il eut à lutter pendant quelque temps

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