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CORBEILLE DE ROGNURES.

EDUCATION DOMESTIQUE.

On reproche aux hommes de l'époque actuelle leur positivisme. Chose singulière! ces hommes si positifs, si calculateurs, si pleins de sollicitude pour conserver, pour augmenter leur rem familiarem, donnent à leurs enfants une éducation toute poétique pour les garçons, et toute d'agrément pour les filles. Que font les premiers dans les colléges? Ils étudient le grec et le latin; ils apprennent à lire Homère et Virgile. Que font les jeunes filles dans leurs pensionnats? Elles apprennent un peu d'histoire et de géographie, beaucoup de piano et de grands airs d'opéra: elles dansent, peignent des fleurs, font des vers pour la fête de madame la supérieure... et quels vers!... Tout cela n'est guère positif, tout cela, au point de vue du bien-être de la famille future et de l'économie domestique, ne vaut pas la règle d'or, si peu apprise et si mal appliquée dans nos maisons d'éducation.

Pères de famille, voulez-vous que je vous dise une

chose que personne n'a jamais dite, encore moins imprimée, parce qu'elle est trop simple et trop vraie, une chose du plus grand intérêt, de la plus grande importance pour l'avenir, pour le bonheur de vos enfants? Écoutez!... Il y a une science qu'il faut vous charger de leur apprendre vous-mêmes peu à peu, dès qu'ils sauront lire et écrire. Cette science, qui n'a pas de nom encore, bien qu'on fabrique tant de mots nouveaux pour des choses inutiles, cette science consiste en ceci :

<< Se rendre capable de remplacer le chef de la famille, au cas qu'il meure, ou qu'il lui soit impossible, par maladie ou pour toute autre cause, de tenir les rênes de la communauté domestique. >>

Ainsi votre fils, n'eût-il que 18 ans, et votre fille, n'en eût-elle que 15, doivent connaître aussi bien que vousmême, les différentes sources par où l'argent vient dans le ménage, et les différentes portes par où il

s'en va.

Ces avis sont d'un prosaïsme révoltant, direz-vous? -Je regrette de devoir vous prévenir que ce qui suit est encore moins poétique...

Votre enfant doit savoir dire à certaines échéances : << Père, voici le moment d'aller dans les bureaux de la Société Générale, pour recevoir les intérêts et le dividende de nos actions. >> << Père, si nous vendions la terre de ***? il se présente une magnifique occasion de placer un capital. » — «‹ Père, n'oublions pas que le bail de notre maison expire dans 6 mois, et que les loyers sont augmentés depuis 9 ans. >>

Il faut que l'enfant soit capable de vérifier les états des fournisseurs, d'apprécier la qualité des denrées d'un usage quotidien, de recevoir et de payer... Pour tout dire en un mot, il faut qu'il apprenne à administrer

lui-même, sans l'aide de personne, la fortune, grande ou petite, que vous ui laisserez un jour.

A défaut de cette prévoyance paternelle, que de familles ont été précipitées dans la ruine et dans la misère!

Qu'un jeune homme, au sortir des classes, se trouve à la tête d'un capital plus ou moins considérable; s'il n'entend rien aux affaires, il y a deux contre un à parier qu'il sera ruiné par la négligence ou par la mauvaise foi, soit d'un tuteur, soit d'un agent d'affaires. - Ne me taxez pas d'exagération; cela est malheureusement trop vrai.

Voilà quelles sont les conséquences de votre imprévoyance, ô pères de famille, et vos descendants, jusqu'à la dixième génération, en seront victimes.

Je n'ignore pas ce que l'on pourra m'objecter:

<«< Craignez de faire naître la cupidité et l'égoïsme dans ces jeunes cœurs; craignez que les intérêts matériels n'absorbent les intérêts moraux. »-Voilà l'écueil; je le reconnais. Mais sachez l'éviter : c'est en quoi consiste la bonne éducation. Préférez-vous la misère des vôtres? La misère engendre le vice; le vice engendre le crime.

Conclusion Apprenez de bonne heure à vos enfants ce qu'il faut savoir pour vivre et pour bien vivre dans la société telle qu'elle est actuellement organisée. Mais n'oubliez pas la charité! N'oubliez pas la charité!

Quelle place trouvera l'avarice, quelle place trouveront les passions abjectes dans un coeur où vivra la charité, l'amour de Dieu et des hommes?..

Ceci finit comme un sermon... Pourquoi pas? — N'estce pas un conseil que j'ai voulu donner? Conseiller c'est prêcher.

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LIEUX COMMUNS SUR LE MALHEUR.

Je vais dire, pour la cent millième fois peut-être, une vérité qui paraît révoltante au premier coup-d'œil, mais qu'il faut bien admettre pour peu qu'on y réfléchisse :

<< Rien n'est plus utile à l'homme que le malheur. » On peut encore la formuler ainsi :

<< L'homme qui n'a point été formé à l'école du malheur n'est pas homme. >>

Ou bien :

«< Celui qui a toujours été heureux est un égoïste. » Ce qui revient à cette parole évangélique :

<<< Il est aussi difficile au riche de se sauver qu'à un câble de passer par le trou d'une aiguille. »

Mais terminons toutes ces sentences par celle-ci, pour essayer ensuite de lui donner quelque développe

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Et remarquez bien que ce n'est pas uniquement dans le sens ascétique du mot, mais aussi dans sa portée vulgaire et, pour ainsi dire, temporelle, que je considère ici le bonheur.

<«<< Oui, mes amis, pouvons-nous dire, il est heureux pour nous d'avoir été si malheureux ! »—Et je demande pardon, une fois pour toutes, pour ces oppositions de mots, difficiles à éviter sur ce terrain antithétique...

<< Oui, mes amis, nous sommes ingrats envers le malheur, et nous devrions, pour être justes, nous en féliciter et le bénir. »

Rien de plus vrai que ce mot : l'école du malheur. Que d'individus doivent leur prospérité actuelle à la mauvaise fortune de leur jeunesse. Napoléon ne fût jamais

devenu si grand, s'il avait été élevé sur un lit de roses dans l'île de Corse.

De là vient que si peu de grands hommes ont eu des fils grands comme eux. La prospérité du père engendre trop souvent la corruption, donc le malheur du fils. Celui qui est comblé de richesses doit à son fils une éducation dure, dans l'intérêt de son avenir.

Il faut que l'on puisse dire de cet enfant devenu homme :

<< Multa tulit, fecitque puer, sudavit et alsit. »

Il faut, en un mot, qu'il l'envoie pour un temps à l'école du malheur, si le malheur ne se présente point de lui-même.

Telle est la condition humaine. L'homme s'endort şur l'oreiller de la bonne fortune et du bien-être; il ne se réveille, il n'agit que pressé par l'aiguillon de la nécessité.

Mais insistons principalement sur le côté moral de la question.

Le malheur est la gymnastique de l'âme comme la réflexion, l'étude, est la gymnastique de l'esprit.-L'homme qui n'a jamais rencontré un caillou sur sa voie, je le répète, n'est qu'un égoïste. Il se croit d'une nature supérieure à celle de ses semblables. Il se place sur une montagne impossible, et de cette chimérique hauteur il considère le monde sous un faux point de vue. Il se sépare ainsi de l'humanité, il ne comprend point l'humanité, il n'est point homme.

Riche, il ne comprend point la misère. Plein de santé, il ne croit pas à la maladie.

Vos souffrances physiques, il les appelle hypocondrie, et il attend, pour vous plaindre du bout des lèvres, que vous soyez à l'agonie. Quant aux peines du cœur, comment les comprendrait-il? Il n'a point de cœur.

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