Imágenes de página
PDF
ePub

leur plus tendre enfance à chanter les louanges des Héros qui ont été aimés des Dieux, qui ont fait des actions généreufes pour leur patrie & qui ont fait éclater leur courage dans les combats, que le charme de la mufique faififfe leurs ames pour rendre leurs mœurs douces & pures; qu'ils apprennent à être tendres pour leurs amis, fidéles à leurs alliés, équitables pour tous les hommes, même pour leurs plus cruels ennemis; qu'ils craignent moins la mort & les tourmens, que le moindre reproche de leurs confciences. Si de bonne heure on remplit les enfans de ces grandes maximes, & qu'on les faffe entrer dans leur cœur par la douceur du chant il y en aura peu qui ne s'enflamment de l'amour de la gloire & de la vertu.

[ocr errors]

Mentor ajoûtoit qu'il étoit capital d'établir des Ecoles publiques pour accoutumer la jeuneffe aux plus rudes exercices du corps, & pour éviter la molleffe & l'oifiveté qui corrompent les plus beaux naturels; il vouloit une grande variété de jeux & de fpectacles qui animaffent tout le peuple, mais fur-tout qui exerçaffent le corps pour les rendre adroits, fouples, & vigoureux. Il ajoûtoit des prix pour exciter une noble émulation. Mais ce qu'il fouhaitoit le plus pour les bonnes mœurs, c'eft que les jeunes-gens fe mariaffent de bonne heure, & que leurs parens fans aucune vue d'intérêt leur laiffaffent choisir des femmes agréables de corps & d'efprit, auxquelles ils puffent s'attacher.

Mais pendant qu'on préparoit ainfi les mcyens de conferver la jeuneffe pure, innocente, laborieufe, docile & paffionnée pour la gloire Philoclès qui aimoit la guerre difoit à Mentor: Envain yous occuperez les jeunes

gens

gens à tous ces exercices, fi vous les laiflez Tanguir dans une paix continuelle, où ils n'auront aucune expérience de la guerre, ni aucun befoin de s'éprouver fur la valeur. Par-là vous affoiblirez infenfiblement la Nation, les, courages s'amolliront, les délices corrompront les mœurs. D'autres peuples belliqueux n'auront aucune peine à les vaincre; & pour avoir voulu éviter les maux que la guerre entraîne après elle, ils tomberont dans une affreufe fervitude.

Mentor lui répondit: Les maux de la guerre font encore plus horribles que vous ne pensez. La guerre épuife un Etat & le met toujours en danger de périr, lors même qu'on remporte les plus grandes victoires. Avec quelques avantages qu'on la commence, on n'est jamais fûr de la finir fans être expofé aux plus tragiques renverfemens de la fortune. Avec quelque fupériorité de forces qu'on s'engage dans un combat, le moindre mécompte, une terreur panique, un rien vous arrache la victoi re qui étoit déjà dans vos mains, & la tranfporte chez vos ennemis. Quand même on tiendroit dans fon camp la victoire comme enchaînée, on fe détruiroit foi-même en détruifant fes ennemis. On dépeuple fon pays; on laiffe les terres prefque incultes; on trouble le commerce: mais ce qui eft bien pis, on affoiblit les meilleures Loix, & on laifle corrompre les mœurs. La jeuneffe ne s'adonne plus qu'au vice. Le preffant befoin fait qu'on fouffre une licence pernicieufe dans les troupes. La juftice, la police, tout fouffre de ce défordre. Un Roi qui verfe le fang de tant d'hommes, & qui caufe tant de malheurs pour acquérir un peu de gloire ou pour étendre les bornes de fon Royaume, eft indigne de la gloire qu'il

M 7

cherche,

cherche, & mérite de perdre ce qu'il pofféde pour avoir voulu ufurper ce qui ne lui appartenoit pas.

Mais voici le moyen d'exercer le courage d'une Nation en tems de paix. Vous avez déjà vu les exercices du corps que nous établiffons; les prix qui exciteront l'émulation; les maximes de gloire & de vertu dont on remplira les ames des enfans prefque dès le berceau par le chant des grandes act ons des Héros; ajoûtez à ces fecours celui d'une vie fobre & laborieuse. Mais ce n'est pas tout: auffitôt qu'un peuple allié de votre Nation aura une guerre, il faut y envoyer la fleur de votre jeuneffe, fur-tout ceux en qui on remarquera le génie de la guerre, & qui scront les plus propres à profiter de l'expérience. Par-là vous conferverez une haute réputation chez vos alliés. Votre alliance fera recherchée, on craindra de la perdre; fans avoir la guerre chez vous & à vos dépens, vous aurez toujours une jeuneffe aguerrie & intrépide. Quoique vous ayez la paix chez vous vous ne laifferez pas de traiter avec de grands honneurs ceux qui auront le talent de la guerre; car le vrai mcyen d'éloigner la guerre, & de conferver une fongue paix, c'eft de cultiver les armes, c'eft d'honorer les hommes excellens dans cette profeffion, c'eft d'en avoir toujours qui s'y foient exercés dans les pays étrangers, qui connoiffent les forces, la difcipline & les maniéres de faire la guerre des peuples voisins; c'est d'être également incapable & de faire la guerre par ambition, & de la craindre par molleffe. Alors étant toujours prêt à la faire pour la néceffité, on parvient à ne l'avoir prefque jamais.

[ocr errors]

Pour

Pour les alliés, quand ils font prêts à fe faire la guerre les uns aux autres, c'eft à vous à yous rendre médiateur. Par-là vous acquérez une gloire plus folide & plus fure que celle des Conquerans; vous gagnez l'amour & l'eftime des étrangers: ils ont tous befoin de vous; vous régnez fur eux par la confiance, comme vous régnez fur vos Sujets par l'autorité. Vous demeurez le dépofitaire des fecrets, l'arbitre des Traités, le maître des coeurs. Votre réputation vole dans tous les pays les plus éloignés, votre nom eft comme un parfum dé. licieux qui s'exhale de pays en pays chez les peuples les plus reculés. En cet état, qu'un peuple voitin vous attaque contre les régles de la juftice, il vous trouve aguerri, préparé; mais ce qui eft bien plus fort, il vous trouve aimé, & fecouru; tous vos voisins s'allarment pour vous & font perfuadés que votre confervation fait la fureté publique. Voilà un rempart bien plus affuré que toutes les murailles des villes, & que toutes les places les mieux fortifiées. Voilà la véritable gloire. Mais qu'il y a peu de Rois qui fachent la chercher, & qui ne s'en éloignent point! Ils courent après une ombre trompeufe, & laiffent derriére eux le vrai honneur faute de le connoître.

[ocr errors]

Après que Mentor eut parlé ainfi, Philoclès étonné le regardoit; puis il jettoit les yeux fur le Roi, & étoit charmé de voir avec quelle avidité Idoménée recueilloit au fond de ion cœur toutes les paroles qui fortoient comme un fleuve de fageffe de la bouche de cet Etranger.

Minerve fous la figure de Mentor établiffoit dans Salente toutes les meilleures Loix & les

plus

plus utiles maximes du Gouvernement, moins pour faire fleurir le Royaume d'Idoménée, que pour montrer à Télémaque quand il reviendroit, un exemple fenfible de ce qu'un fage Gouver nement peut faire pour rendre les peuples heureux, & pour donner à un bon Roi une gloi re durable.

Fin du Quatorziéme Livre.

LES

« AnteriorContinuar »