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Deux ans plus tard, Fléchier fut transféré de l'évêché de Lavaur à celui de Nîmes. On eut beaucoup de peine à vaincre sa répugnance.

« Sire, écrivait-il à Louis XIV, laissez-moi achever l'ouvrage que j'ai commencé, en entretenant et en augmentant les bonnes dispositions où je vois les nouveaux convertis de mon diocèse.

Cédant enfin à de pressantes sollicitations, il accepta l'évêché de Nîmes, dans l'espoir qu'il parviendrait à convertir les hérétiques de son nouveau diocèse. Les brillans témoignages de la faveur royale, lui suscitèrent des envieux; le maréchal de la Feuillade, le rencontra un jour à Versailles et lui dit avec sa fatuité de courtisan : «< Avouez, M. Fléchier, que votre père serait bien étonné de vous voir ce que vous êtes...

>> -Peut-être moins qu'il ne vous semble, répondit ce prélat; car ce n'est pas le fils de mon père, c'est moi qu'on a fait évêque ».

«Naturellement porté à la douceur et à la modestie, M. Fléchier, dit d'Alembert, dans un éloge académique de ce prélat, répondait avec hardiesse et fermeté aux grands seigneurs de la cour. La modestie est comme la vraie bravoure qui n'outrage personne, mais qui sait repousser les outrages. >>

Les vertus épiscopales de l'évêque de Nîmes se déployèrent avec une ardeur, un zèle, digne des temps de la primitive église. La révocation de l'édit de Nantes porta la désolation dans plusieurs provinces méridionnales, dont les populations appartenaient en grande partie à la religion réformée. Poursuivis, mutilés, par le fer de la persécution, les protestans portèrent le fanatisme jusqu'à l'exaltation la plus dangereuse, et il était bien difficile de faire entendre les dogmes du catholicisme à ces hommes aigris par les dragonnades. Fléchier pouvait seul venir à bout de cette tâche, et sa modération lui gagna en peu de temps de nombreux prosélytes. Ses mandemens, ses lettres pastorales, ajoute un des biographes de Fléchier, sont empreints de la sensibilité, de l'indulgence, qui dirigeaient le rertueux prélat dans la conduite de ce malheureux diocèse. Dans ses écrits, on ne retrouve plus cette élégance compassée, qu'on a reprochée aux autres productions de l'auteur. C'est un père qui parle avec tendresse à des enfans égarés, qui les exhorte sans les aigrir. Sa conduite à leur égard est bien méritoire; car il vivait dans un siècle où la tolérance était condamnée comme de la tiédeur, et presque comme une hérésie. Il avait même la conviction comme presque tous les catholiques d'alors, que l'instruction n'était pas toujours le seul moyen de vaincre l'hérésie, et qu'on pouvait employer des motifs de crainte pour ramener les protestans au sein de l'église.

>> Cependant, dit le philosophe d'Alembert, il ne se permettait d'essayer de tels moyens que dans les cas ou le succès était assuré; où les motifs de cruauté devaient servir de prétexte à la conversion des prosélytes déjà persuadés, et où l'autorité pouvait venir efficacement au secours de la grâce. Son caractère plein de douceur, cédait pour ainsi dire, le moins de terrain possible à son zèle pour l'extirpation du calvinisme. »> Il existait une grande ressemblance entre l'évèque de Nîmes et l'immortel Fénélon. Comme l'archevêque de Cambrai, Fléchier avait compris que la mission

d'un prélat devait s'accomplir par la persuasion et non par la persécution. Aussi pendant que les malheureux habitans des Cevennes expiaient leurs erreurs sous le sabre des dragons de Louis XIV, la population de Nimes avait beaucoup moins à souffrir sous la protection de son évèque. Les protestans du Languedoc bénissent encore la mémoire du prélat qui se montrait si pénétré du véritable esprit de l'évangile, qui s'opposait aux mesures coercitives de l'intendant Basville, qui voulait la conversion et non la mort de ses diocésains; il parvint même à exercer une si grande influence sur le féroce intendant, qu'il s'écria dans une discussion:

«M. Fléchier, vous m'avez fait changer du blanc au noir.

>>-Dites, du noir au blanc, répondit le spirituel évêque. »>

Ses grandes occupations ne l'empêchaient pas de s'assurer par lui-même des moindres détails de l'administration de son diocèse. Il visitait les couvens et les maisons religieuses pour se convaincre si les statuts étaient bien observés. Dans une de ces visites pastorales, il apprit qu'une infortunée religieuse avait été condamnée à passer le reste de ses jours dans une espèce de tombeau en punition d'une faute grave: il demanda les clés de la prison; s'entretint long-temps avec la jeune récluse et lui pardonna, après avoir sévèrement blåmé la sévérité de l'abbesse. Cette aventure vraie ou supposée, a fourni au poète Chevrier le sujet de sa belle tragédie intitulée : Fénélon ou la religieuse de Cam

brai.

On se souvient encore du terrible hiver de 1709, qui réduisit à la mendicité la plus grande partie de nos populations méridionales. Le diocèse de Nîmes fut le théâtre où le fléau exerça ses plus cruels ravages. Fléchier, dans cette malheureuse circonstance, fit revivre l'inépuisable charité des pasteurs de la primitive église; il distribua des sommes immenses; les catholiques et les protestans eurent indistinctement part à ses bienfaits; pour subvenir à la disette publique, il refusa d'employer à la construction d'une église, une somme considérable qui fut consacrée à des aumônes.

« Quels cantiques valent les bénédictions du pauvre? répondit-il à ceux qui blåmaient son excessive charité... Sommes-nous évêque pour rien?

Les lettres étaient le seul délassement qu'il se permit au milieu de ces occupations épiscopales. Il devint le protecteur de l'académie de Nimes, et obtint de l'académie française qu'elle voulut bien s'associer cette modeste sœur de la province. Cette cérémonie si extraordinaire dans les fastes de la littérature française, fut célébrée le 30 octobre 1692.

Fléchier, déja courbé sous le poids de ses travaux et de la vieillesse, redoublait de zele pour consolider sur des bases solides l'heureuse impulsion qu'il avait donnée à l'administration spirituelle et temporelle de son diocèse.

La mort le surprit avant qu'il eût terminé cette œuvre si digne d'un prélat dont la gloire littéraire fut rehauspar l'éclat des vertus sacerdotales.

sée

Esprit Fléchier mourut à Montpellier le 16 février 1720, âgé de 78 ans.

Nos littérateurs ont jugé si diversement le panégyriste de Turenne, qu'il serait trop long de chercher à

former un faisceau de leurs opinions presque toujours | diamétralement opposées. Cependant tous se sont accordés à reconnaître dans Fléchier un rare talent pour la construction de la phrase et l'arrangement des mots; la langue française lui doit beaucoup sous ce rapport: avant lui, les formes du langage n'avaient ni cette régularité ni cette douceur, ni cette harmonie qu'il sut leur imprimer; il est sans contredit le premier de nos rhéteurs, et c'est avec raison qu'on l'a surnommé l'Isocrate français : il a les défauts et les qualités de l'orateur athénien: il abuse de l'antithèse, il joue sur les mots.

« L'amour de la politesse, dit le père La Rue, l'a» vait saisi dès ses premières études; il ne sortait rien » de sa plume, de sa bouche, même en conversation » qui ne fùt travaillé. Ses lettres et ses moindres bil>> lets avaient du nombre et de l'art. Il s'était fait une >> habitude, presque une nécessité de composer toutes » ses paroles et de les lier en cadence. »

En un mot Fléchier était né pour perfectionner les petites choses, plutôt que pour la création des gran

des; chez lui, il y avait plus d'art que de génie; beaucoup de grâce et de souplesse, peu d'énergie; quand il montait en chaire, il ne savait pas oublier que la tribune évangélique différait essentiellement des salons parfumés de l'hôtel Rambouillet. Néanmoins, l'évêque de Nîmes occupera toujours une première place parmi nos orateurs sacrés : émule de Bossuet, il se trouva deux fois en concurrence avec l'aigle de Meaux: il suc comba dans la lutte, mais il combattit honorablement, et composa des sermons que Laharpe met au-dessus de ceux de son immortel rival. Le nom de Fléchier est une de nos belles gloires méridionales, et il est à regretter que la ville de Nîmes n'ait pas élevé un monument à son évêque. L'exemble des habitans de Meaux et de Cambrai, sera-t-il imité plus tard? nous le désirons; la statue de Fléchier serait un juste tribut payé par la reconnaissance à celui qui protégea Nîmes contre les dragonnades, et fit long-temps rejaillir sur sa ville épiscopale l'éclat de sa gloire littéraire.

Charles COMPAN.

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Le connétable Bertrand Duguesclin venait d'assurer la couronne de Castille au célèbre Henri de Transtamare. Le front encore ceint des lauriers qu'il avait cueillis dans de glorieux combats, il se hâta de retourner en France pour défendre sa patrie contre les Anglais. Les insulaires se croyaient invincibles depuis la funeste bataille de Poitiers, où ils avaient fait le roi Jean prisonnier. Au connétable Duguesclin était réservée la gloire d'enlever une à une nos provinces à l'oppression des étrangers; se fiant à sa bonne fortune qui ne l'avait pas encore trahi une seule fois, le héros, sauveur de la France, réunit l'élite de ses braves aux pieds des Pyrénées.

Mes cousins et amis, leur dit-il, la noble fleurde-lys brille d'un éclat immortel par delà les monts; les preux de France ont brisé comme verre les longues piques des soudards de Pierre-le-Cruel nous pourrions rentrer dans nos manoirs, enseignes déployées, au son des fifres et des trompettes, parce que nous revenons d'Espagne avec bonne renommée; mais nous devons auparavant parachever ce que nous avons si glorieusement commencé, avec l'aide de la bonne Vierge et de monseigneur saint Denys, patron du royaume de France. Les Anglais occupent encore plusieurs de nos provinces repoussons-les jusque dans leur ile; et

puis nous irons à Pâques-Fleuries, raconter nos exploits à notre bien-aimé sire Charles, cinquième de nom. L'élite de la noblesse de France qui voyait dans le fier connétable un héros suscité par le ciel pour sauver la patrie, répondit à ses nobles paroles par de bruyantes acclamations. On partit le jour même; Duguesclin traversa le pays de la Langue-d'Oc pour ne pas tomber entre les mains des bandes d'Angleterre qui tenaient le Bordelais sous leur domination. Le nom du connétable vola de bouche en bouche; gentilshommes et manans accoururent de toutes les provinces pour grossir l'armée destinée à conıbattre les étrangers. Victorieux dans plusieurs combats, les Anglais ne purent tenir tête au puissant génie de l'auxiliaire de Henri Transtamare; Duguesclin se précipita dans le Maine et l'Anjou, chassa devant lui les troupes Anglaises et prit de sa main leur général Grandson. Il poussa ses conquêtes jusqu'aux confins du Poitou et de la Saintonge. Dans tous ces combats qu'on regarderait aujourd'hui comme des escarmouches et qui décidaient alors du succès d'une campagne, les Français triomphèrent presque sans coup férir. Une terreur panique s'était emparée des soldats étrangers; la garnison de Bressuire opposa seule quelque résistance aux armes victorieuses du counétalle.

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Dans le moyen-âge, la ville de Bressuire qui compte à peine aujourd'hui 1,947 habitans, était une place forte, défendue par un château. Prise par les Anglais, pendant la captivité du roi Jean, elle devint un poste si important que le général Grandson en confia la garde à sir John Backstin, célèbre par son courage et sa férocité parmi les routiers que le Prince Noir avait amenés d'Angleterre, de Normandie et des Marches de Bretagne.

Sir John Blackstin, dit un chroniqueur poitevin, ne tarda pas à s'attirer la haine des paysans du voisinage par ses exactions et ses perfidies. Il enlevait les filles des gentilshommes et des manouvriers et les abandonnait à la lubricité de ses routiers. La damoiselle Anne de la Trémouille tomba entre ses mains et fut emmenée captive au manoir de Bressuire; cette jeune fille devint en peu de temps maîtresse absolue du féroce lieutenant du Prince Noir. Sir Blackstin épris des charmes de la damoiselle de la Trémouille, résolut de l'épouser et de l'emmener en Angleterre. Reine de mes pensées, lui disait-il souvent, lorsque le roi d'Angleterre, mon gracieux souverain, aura conquis ce beau royaume de France, nous irons à Londres, et je vous épouserai en présence de toute la noblesse de Westminster.

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>> courtoisie qu'il avait prêté en ceignant l'épée d'hon>> neur, retenait une jeune damoiselle qu'il avait prise en temps de guerre. La jouvencelle pleura beau» coup en entrant dans sa prison; elle conjura le » chevalier de lui rendre la liberté.

» Le vautour lâche-t-il la colombe qu'il a prise dans » l'air, répondit le chevalier discourtois; vous êtes » ma prisonnière, je vous aime, et vous serez ma >> châtelaine.

» Mourir, plutôt mourir, s'écria la jouvencelle. » Mourir, lorsque l'hymen tresse pour vous ses >> plus belles fleurs!

» Quelques mois s'écoulèrent; le chevalier, dans » un transport d'amour, s'efforça de triompher de la » vertu de sa captive, mais la jouvencelle était du » plus pur sang de la Bretagne; elle savait qu'une » fille de gentilhomme doit conserver sa robe virgi>>> nale blanche comme l'hermine; elle résista, la bonne >> vierge la protégea, et le chevalier n'osa plus la per>> sécuter.

» Cependant de nombreux guerriers parcouraient >> la campagne, brûlant les hameaux et les castels; >> le cruel châtelain en se promenant un jour sur les >> remparts de son manoir, vit flotter au loin des ban»nières de diverses couleurs, il appela sa captive et >> lui dit :

>> Jouvencelle, reconnaissez-vous ces bannières ? Si » je ne me trompe, les chevaliers Bretons viennent >> m'assiéger dans mon castel.

» Je reconnais le pennon de mon frère, répondit >> la jeune captive; il accourt à la tête de ses cheva»>liers, il vient me délivrer, et demain vous serez » pendu à la plus haute de ces tours.

» A ces mots la damoiselle s'éloigna et se ferma >> dans son cachot pour échapper au courroux de son » oppresseur; elle pria pendant toute la nuit Notre>> Dame de Bon-Secours, et le lendemain son frère >> entra triomphant dans le sombre manoir: on brisa » ses fers et elle épousa son fiancé. »>

-Je vous comprends, damoiselle, dit Blackstin; votre ballade est une histoire faite à plaisir; mais je jure par le léopard d'Angleterre que le sire de la Trémouille n'entrera pas dans le château de Bressuire, et que jamais vous n'épouserez votre fiancé.

Le fier châtelain donna ordre au capitaine de ses routiers de conduire sa prisonnière à son cachot; puis il rassembla sa garnison et leur montra du doigt les chevaliers poitevins qui arrivaient à franc étrier.

Je reconnais la bannière de Duguesclin, dit un routier, c'est le connétable; nous sommes perdus. - Perdus! s'écria Blackstin.... Je n'aime pas les soudards qui ne croient point à la bonne fortune du roi d'Angleterre, notre seigneur.

Et d'un coup de sa hache d'armes il étendit le routier mort à ses pieds.

En quelques instans les bannières françaises se déployèrent près des remparts extérieurs du château de Bressuire; on dressa une tente magnifique pour le connétable, et lorsque l'armée eut établi son camp, un héraut d'armes s'avança vers la grande porte du

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Je serai fidèle au roi d'Angleterre, et demain je brûlerai vos tentes. Héraut d'armes, retire-toi, si tu ne veux que la flèche d'un de mes arbalétiers Normands te frappe au cœur.

Le connétable instruit des dispositions du chef de la garnison Anglaise, hâta les préparatifs du siége, et au point du jour le château de Bressuire fut investi de tout côté. Les routiers firent d'abord bonne contenance; Blackstin fascinait ses soldats par son audace et son intrépidité. Le premier sur les remparts, il bravait du matin au soir les traits des assiégeans, et le connétable avoua que jamais il n'avait trouvé manoir défendu par une garnison plus intrépide; néanmoins les nombreuses attaques des Français décimaient les routiers; Blackstin lui-même ne se montrait plus si hardi, si entreprenant ses soudards le surprenaient souvent seul à l'écart, triste, comme un homme qui, accoutumé à des succès, se laisse abattre par le moindre revers.

Le siége durait depuis trois jours, et Anne de la Trémouille, seule dans son cachot, ne savait rien de ce qui se passait dans l'intérieur et hors du château. Sir John Blackstin se chargea lui-même de lui porter ces heureuses nouvelles; il entra vers minuit dans la prison, suivi d'un routier qui portait deux torches.

- Damoiselle de la Trémouille, lui dit-il en souriant affreusement, vous êtes née la nuit de la Noël entre onze heures et minuit; vous avez le don de seconde vue vous êtes prophétesse.

Que me dites-vous, sir John Blackstin?

Vous êtes magicienne; la ballade que vous avez chantée il y a trois jours sur les remparts du château va s'accomplir. Le connétable Duguesclin presse le siége de Bressuire; j'ai perdu la moitié de mes soldats; demain je serai forcé de me rendre... mais que dis-je ? sir John Blackstin ne capitulera pas, et il sera pendu. -Ah grand Dieu? fit Anne de la Trémouille...vous venez donc à mon secours...

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Ne vous réjouissez pas encore, noble damoiselle, ajouta Blackstin; votre prophétie ne s'accomplira pas de tout point; je serai pendu comme le châtelain dont parle votre ballade, mais vous n'épouserez pas votre fiancé : : vous me dévancerez de quelques heures dans 'autre monde; agenouillez-vous, faites votre prière, 'car vous allez mourir.

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-Il faudra me renverser mort avant d'arriver jusqu'à ta victime, dit Châtillon.

Et il se précipita entre la damoiselle et le chef des routiers.

-Enfer et damnation! hurla sir John, je sais que je mourrai demain; le connétable me punira d'avoir défendu vaillamment ce manoir dont la garde me fut confiée par le prince de Galles; mais en rendant le dernier soupir, j'aurai la consolation de voir tomber sous mes coups cette fière damoiselle qui a dédaigné

mon amour.

-Ton amour, chef de routiers! s'écria Châtillon.... Ces paroles raniment toute ma rage: nous allons commencer un combat à mort; mademoiselle de la Trémouille appartiendra au vainqueur.

Les épées des deux combattans heurtèrent l'une contre l'autre; le sang coula et la victoire resta pendant quelques instans incertaine. Enfin le sire de Châtillon désarma son terrible adversaire et le frappa si rudement à la tête qu'il tomba sans mouvement et presque sans vie. Le vainqueur n'avait pas un instant à perdre; il se fit reconnaître de la damoiselle de la Trémouille; lui raconta comment il s'était mis au service de sir John, et lui promit avec serment de revenir aussitôt qu'il aurait ouvert les portes du manoir aux soldats du connétable.

- Et sir John? dit Anne de la Trémouille...

Le routier est mort, vous n'avez rien à craindre. Il se hâta de sortir; il trouva toute la garnison dans un affreux tumulte; les assiégeans avaient déja escaladé les murailles extérieures. Pour ranimer leur courage, Châtillon arbora sur une des tours une bannière aux armes de France: le connétable l'aperçut le premier; dans un transport de joie il s'écria:

-Les nôtres ont déjà pénétré dans la place, après avoir forcé la porte du nord; ne leur cédons ni en courage ni en bonne renommée, car telle n'est pas notre coutume.

-Les troupes redoublèrent d'ardeur, et avant la neuvième heure du matin la porte du midi céda à leurs efforts; ils se précipitèrent dans la forteresse et massacrèrent tous les routiers. Le connétable fit chercher sir John dont la tête avait été mise à prix; on ne le trouvait point, et il désespérait de prendre le lieutenant

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