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Vers l'an 243 de l'ère chrétienne, il n'était bruit dans la Gaule méridionale que des prédications et des vertus de Saturnin, prêtre venu de Rome. Compagnon des apôtres qui vinrent les premiers jeter sur notre terre de France les semences du catholicisme, saint Sernin s'arrêta quelques temps à Nîmes où il opéra plusieurs conversions; puis il se dirigea vers Toulouse qui était alors le centre politique de la Narbonnaise et de la première Aquitaine. Gratus gouvernait cette grande ville en qualité de proconsul; zélé pour le culte des faux dieux, disent nos vieilles légendes, Gratus persécutait les Toulousains qui avaient déja été convertis au christianisme par l'apôtre saint Martial. Plusieurs néophites avaient succombé, et les autres n'osaient plus se livrer aux pratiques de la nouvelle religion qu'ils venaient d'embrasser. Tous appelaient à grands cris un homme inspiré de Dieu; tous demandaient un de ces apôtres que le pape Fabien envoyait alors dans les diverses provinces de l'Europe. Ils étaient réduits à se cacher dans des souterrains pour célébrer les saints mystères, lorsque Saturnin arriva à Toulouse, l'an 250 de la rédemption, Dèce étant empereur. Ses prédications, les miracles qu'il opérait chaque jour, convertirent à la vraie religion un grand nombre de païens; des chefs de légion, des

hommes des premières familles renoncèrent publiquement à l'idolatrie. Les prêtres des faux dieux, irrités de voir leurs temples abandonnés, résolurent de dénoncer Saturnin au proconsul.

« Le saint apôtre rassemblait les fidèles dans une petite chapelle non loin d'un temple dédié à Apollon, où était un oracle très renommé dans les pays voisins. Les prêtres consultés sur l'issue d'une bataille qu'on voulait livrer aux tribus errantes de la Vasconie, répondirent que le fréquent passage de Saturnin, devant le temple, empêchait le dieu de parler.

Où est Saturnin, le prêtre de Rome? cria le peuple que les prêtres païens excitaient depuis plusieurs jours.

Allez au temple des chrétiens, répondit le grandprêtre, et vous y trouverez Saturnin de Rome avec ses disciples.

La multitude se précipita vers la petite chapelle; le saint fut garroté et conduit devant Gratus, le proconsul.

Prêtre chrétien, lui dit le magistrat, qui t'a donné mission de porter le trouble dans nos provinces, et d'arracher les peuples au culte de nos dieux ?

Je suis venu au nom de celui qui doit régénérer

le monde, répondit Saturnin: je n'ai pas porté le trouble dans vos provinces; je dis aux peuples d'obéir fidèlement à César. Quant à vos dieux, ils sont d'argile ou de bronze, et il n'y a point de salut pour celui qui les adore.

-Saturnin insulte la majesté de Jupiter et d'Apollon, dieux tutélaires de la ville de Toulouse, dit le grand-prêtre païen, présent à l'interrogatoire du proconsul.

Qu'on le jette dans un cachot, dit Gratus: demain le tribunal se réunira pour le condamner à mort.

Les soldats du proconsul conduisirent aux prisons de la ville Saturnin, qui n'eut pas le temps de recevoir les derniers adieux des chrétiens. Les prêtres d'Apollon et de Jupiter se réunirent pour délibérer sur la conduite qu'ils avaient à tenir dans cette circonstance; ils avaient déja formé le projet de séduire Saturnin par des promesses, ou de l'effrayer par leurs menaces. Ils résolurent d'un commun accord de se transporter à la prison et de faire un dernier effort pour triompher de la résignation du saint apôtre.

Saturnin, lui dit le grand-prêtre, en entrant dans le cachot, je suis venu pour t'annoncer que, par ordre du proconsul Gratus, on fait les apprêts de ton supplice.

Que Jésus-Christ soit glorifié, répondit Saturnin, puisqu'il m'est donné de sceller de mon sang les doctrines du saint Évangile.

Si tu veux renoncer au Christ et servir les puissans dieux de l'Olympe, Gratus te comblera d'honneurs et de richesses.

Quelle proposition osez-vous me faire ! imposteurs, qui spéculez sur la crédulité des peuples, s'écria Saturnin? L'adorateur d'un seul Dieu courbera-t-il sa tête devant des statues d'argile, qui ne sont que des images de démons? Sachez que les esprits infernaux attachent bien plus de prix à la conquête de vos ames, qu'à la fumée des holocaustes que vous leur offrez. Croyez-vous que je doive redouter vos divinités qui tremblent d'effroi à l'aspect d'un chrétien armé du signe sacré de son salut?

Saturnin, pour la dernière fois, je t'annonce que le jour de ton supplice n'est pas éloigné, si tu persistes dans ta funeste résolution, dit le grand-prêtre de Jupiter.

-Celui qui met son espérance en Jésus-Christ, le sauveur des hommes, vivra éternellement dans le séjour des bienheureux martyrs, répondit Saturnin.

-A demain le supplice! s'écria le grand-prêtre de Jupiter qui sortit du cachot, désespérant de vaincre la noble fermeté du saint apôtre.

A demain la gloire et les palmes du martyre, dit Saturnin en s'agenouillant sur les dalles de la prison pour prier.

Les hérauts du proconsul publièrent à son de trompe dans la ville de Toulouse, que le lendemain il serait célébré un sacrifice solennel en l'honneur de Jupiter et d'Apollon. Une multitude innombrable se pressait de bonne heure dans le temple pour être témoin des pompes de la cérémonie religieuse. Le proconsul Gratus, le grand-prêtre, s'assirent sur leur tribunal, et, avant de commencer le sacrifice, on amena Saturnin pieds et poings liés.

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Habitans de Toulouse, s'écria le proconsul en se levant de son tribunal, je condamne Saturnin à être attaché aux cornes de ce taureau.

- Gloire au proconsul! répondit la multitude. <«<La rage des païens ne connaissant plus de frein, >> ils attachèrent le saint par les pieds aux cornes du >>> taureau qu'on avait conduit au temple, puis, avec l'ai>> guillon excitant l'animal, ils le contraignirent à s'éloi» gner d'une course rapide. Bientôt la tête de Saturnin » se fracassa, ses cervelles s'épandirent sur la terre, >>> et ses entrailles sortirent de son corps. Le martyr, >> soutenu dans son supplice, par sa pieuse résignation, »> ne tarda pas à trouver la mort; elle devint pour lui » le moment du triomphe.

» Le taureau continuant de le traîner, ses membres » se détachèrent, et les rues furent teintes de son sang. » La corde se rompit enfin devant le lieu où fut dans la » suite élevée l'église appelée aujourd'hui le Taur, » abréviation du mot taureau.

>> Deux vierges chrétiennes nommées dans les mar» tyrologes, les saintes puelles, et qui étaient, dit-on, >> filles de roi, ne craignirent pas de recueillir les restes >> précieux de Saturnin, lorsque la frayeur avait dis>> persé tous les autres disciples. Souvent le sexe qu'on >> regarde comme le plus faible étonne les hommes » l'énergie qu'il déploie !

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par

<«< Elles ensevelirent le corps dans une bière de bois, qui fut mise au fond d'une fosse excessivement pro>> fonde, afin que les reliques qu'elle contenait ne tom>> bassent pas au pouvoir des païens, empressés à pro>> faner toutes celles dont ils pouvaient se rendre maîtres. >>> Ce tragique événement eut lieu en 250, le 29 » novembre, jour auquel l'église célèbre la fête de >> saint Saturnin, premier évêque de Toulouse (1). (1) Saint-Paulin. -Sulpice Sévère - Actes des Martyrs. Biographie toulousaine, tom. II, pag. 559.

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« Tel fut le martyre de ce saint (1) que la capitale du Languedoc reconnaît pour son premier évêque. Selon Fortunat, une dame de cette ville, que le martyr avait convertie, eut soin d'enlever son corps, à l'aide d'une femme qui la servait et qui était aussi chrétienne; quelques historiens espagnols prétendent que ces deux personnes si pieuses étaient deux filles d'un roi d'Huesca, en Espagne, qui, après avoir été converties par le saint, l'avaient accompagné jusqu'à Toulouse. Cette histoire ressemble bien à toutes celles qu'on écrivait dans ces temps-là. Tous les hommes aiment le fabuleux! tant il leur est difficile de ne point mêler à la vérité la plus sainte quelques traits d'une imposture mensongère. Au reste, ces deux femmes n'avaient pas besoin du titre de filles de roi pour être honorées; l'église de Toulouse en fait mémoire le 17 du mois d'octobre, et le nom de SaintesPuelles sous lequel elles sont connues, suffit à leur gloire autant qu'à notre vénération. »

Le célèbre Fortunat a chanté en vers latins le martyre et les miracles de saint Sernin de Toulouse.

(1) Durosoir, Annales de la ville de Toulouse, tom. I, page 40.

Saturninus enim martyr venerabilis orbi,
Nec latet egregii palma beata viri:
Qui quùm romanâ properasset ab urbe Tolosam,
Et pia Christicolis semina ferret ibi;
Hunc vesana cohors domini comprehendit amicum,
Instituitque pii membra terenda viri.
Implicitus tauri pede posteriore pependit,
Tractus in obliquum, dilaceratus abit:
Ac pede terris animam transmisit olympo,
O felix cujus frenere mors moritur!!

<< Le martyr saint Saturnin, dont le nom est vénéré >> par tous les peuples chrétiens, et dont la gloire brille » encore de tout son éclat, vint de la grande ville de » Rome à Toulouse, pour y jeter les précieuses semen>> ces du christianisme. Une multitude insensée se jeta » sur l'envoyé du Seigneur, et ordonna que ses membres fussent broyés. Attaché aux pieds d'un taureau >> fougueux, traîné çà et là, il fut pitoyablement mis >> en lambeaux; ainsi son ame s'envola de la terre au » ciel. Heureux celui dont le trépas glorieux dompte la » mort elle-même. »>

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Cyprien ROLL.

LA VENDETTA.

Maria Jacobi était, il y a vingt ans, la plus belle fille du village d'Amperani et peut-être de toute la Corse. C'était un avantage que tout le monde lui reconnaissait, mais que personne ne lui enviait. La pauvre enfant avait eu le malheur de plaire à la fois à deux hommes, dont la seule présence fesait autour d'elle une grande solitude. Ils étaient tous deux de son village et tous deux également redoutés pour leur naturel emporté et querelleur. L'un s'appelait Guiseppo ou plutôt Peppo Antomarchi, surnommé Gallochio; l'autre Césario Négroni. Nul ne peut dire celui que la jeune fille aimait, tant elle s'étudiait à cacher ses préférences. Quelques gens assuraient même qu'elle n'en avait pour aucun et que si elle ne fesait pas son choix ailleurs, c'était uniquement pour ne pas être cause d'un malheur. D'un autre côté, tous ceux qui la trouvaient belle, n'avaient garde de le lui dire, dans la crainte d'une de ces réponses à bout portant dont on savait ses amoureux capables. Et cependant ces derniers, d'ordinaire si ombrageux à l'endroit de leurs amours, vivaient en parfaite harmonie au sein de leur rivalité. Il y avait entre eux comme un traité par lequel ils s'étaient engagés à se disputer loyalement le cœur de Maria Jacobi, et à se servir réciproquement de l'escopette ou du stylet contre tout individu qui viendrait se mettre en tiers dans une ligue où ils étaient déja un de trop.

Ce pacte inoui dura toute une année, pendant laquelle Gallochio et Négroni vécurent dans la meilleure intelligence, tout en s'efforçant, chacun de son côté, de se faire préférer par la jeune fille. Ils se rendaient chez elle à la veillée, à tour de rôle; ils l'accompagnaient au bal et se partageaient scrupuleusement les contredanses. Lorsque l'un fesait la cour, l'autre fesait le guet; car, il faut le dire, ils avaient eu tous les deux, pour je ne sais quel motif, des démêlés avec la justice, qui, de temps en temps, leur envoyait des collets jaunes en souvenir (1). Ils avaient toujours réussi à les éviter en se secourant mutuellement, ce qui leur avait fait comprendre de bonne heure qu'ils étaient nécessaires l'un à l'autre pour leur sûreté. L'amour qui les prit au cœur pour la mème femme, leur parut une preuve de l'identité de leur naturel, et ils l'acceptèrent comme un lien qui devait les rapprocher encore en les obligeant à mettre leur affection en commun.

Cela ne pouvait durer; cette union égoïste devait tomber du moment où la nature se lèverait pour protester. Je ne sais qui prit l'initiative; soit que la jeune fille se lassât à la fin de rester crucifiée au pilori d'un amour inévitable, soit que les deux coalisés commençassent à se relâcher de leur amitié en faveur de leur amour. Toujours est-il qu'une jalousie sourde les divisa

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peu

à peu et les porta à s'épier l'un l'autre. Bientôt dans le village d'Amperani, tout le monde devina que la logique du sentiment ferait tôt ou tard justice de cette union bizarre.

L'événement ne se fit pas attendre. On apprit un beau matin que Maria Angeli s'était enfuie d'Amperani, pour suivre Peppo Gallochio dans sa cabane. Grand fut le scandale dans tout le village; mais les propos n'allèrent pas plus loin on savait que le ravisseur était homme à leur donner des coups de carabine pour écho. Césario Négroni, l'amant dédaigné, était le seul qui ne les craignit pas. Ce fut à lui que les parens de la jeune fille recoururent, en le priant, avec promesses et avec larmes, de la leur ramener. L'amour qui parlait encore au cœur de Négroni, venait se joindre à la vanité blessée pour l'exciter contre son ancien ami: et, lorsque la famille de Maria lui eût fait entrevoir quelque espérance pour le récompenser de ce qu'on attendait de lui, il ne s'arrêta plus à aucune considération et agit ouvertement contre Gallochio.

C'était aller contre la foi jurée, contre des droits légitimement acquis qu'il avait lui-même consentis d'avance; qu'importe il voulait déchirer le pacte du passé pour se ménager l'avenir. Il calcula si bien ses chances qu'il y réussit.

Gallochio était obligé d'aller quelquefois à Corte pour vendre son gibier et faire ses provisions. Sa femme, qui no le quittait jamais, pas même à la chasse, le suivait aussi à la ville revêtue d'une pelone qui la déguisait complètement. Un jour cependant elle fut reconnue et suivie. A peine fût-elle seule, qu'elle se sentit saisie par un bras nerveux qui l'entraîna à travers la foule. Elle voulut un instant résister et crier; mais ses efforts ne purent rien contre la main de fer qui la meurtrissait, et ses cris se perdirent dans les murmures assourdissans du marché. Toute résistance lui devenant inutile, elle suivit silencieusement son guide. Celui-ci, en la conduisant, la tenait éloignée de lui de toute la distance de son bras tendu et détournait la tête pour ne pas se laisser voir. Lorsqu'ils furent arrivés aux dernières maisons de Corte, cet homme alla droit à un vieillard qui se tenait assis sur une borne, et lui dit, en se découvrant respectueusement :

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Mathéo Jacobi, voilà votre fille.

Merci Césario, je l'accepte comme un dépôt qui te revient désormais.

-Et moi, je vous garantis, vieillard, qu'il n'est plus à temps de le recevoir, répondit une troisième voix qui s'éleva près du groupe. C'était Peppo Gallochio, qui avait suivi le ravisseur de Maria, sans pouvoir l'atteindre à la longueur de son stylet, pour lui faire lacher prise.

A sa vue, Césario Négroni se redressa; il mit en souriant avec confiance sa main droite sous son gilet et retint de l'autre la jeune fille.

14

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-Pas de sang ici, Négroni; garde ton poignard pour une meilleure occasion: je te jure d'avance qu'elle ne te manquera pas. Et toi, Maria, ne désobéis pas à ton père pour me suivre; mon amour t'accompagnera. Cela dit, le ravisseur s'inclina respectueusement pour saluer le vieux Mathéo; mais il releva la tête en passant devant son rival qu'il sembla défier du regard.

A quelque temps de là, Césario Négroni se rendait à la chute du jour au hameau de Casevecchia. Comme tout bon Corse qui a eu soin de prendre son port d'armes, il avait une longue canardière sur l'épaule et son poignard italien dans la doublure de son gilet. Beaucoup de gens marchent ainsi armés: quelques-uns par précaution, la plupart par intention. Négroni pouvait invoquer les deux motifs, mais il était confiant dans sa force et sûr de son coup d'œil; avec cela, il croyait n'avoir jamais rien à craindre. Il s'en allait donc sifflant et chantant par le sentier comme un homme insouciant qu'il était, lorsque en passant le long d'un taillis, il crut entendre dans la fourrée le bruit d'un fusil qu'on armait. Son premier mouvement fut de préparer leste

ment le sien et de se disposer à tout événement. En regardant autour de lui, il crut voir quelque chose remuer dans les broussailles, il mettait déja à tout hasard son arme en joue dans cette direction, lorque une voix bien connue le fit tressaillir:

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Césario! lui disait cette voix, voici bien des jours que je t'attends.

Ces paroles qui semblaient venir de très près frapperent Césario comme un coup d'escopette à bout portant; comme il était homme de cœur, il se remit bientôt pour diriger son arme de ce côté. Les bras roidis et la tête tendue en avant, il regarda devant lui pour mettre son ennemi au bout du canon de son fusil, mais il ne vit personne. Il allait faire quelques pas pour s'assurer si sa vue ne l'illusionnait pas, quand la même voix, se rapprochant encore, lui fit faire de nouveau volte face

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