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Roche s'embarqua en 1598, pour tenter de nouveau la fortune; mais son expédition eut une fin désastreuse. M. Chauvin succéda à ses projets et à ses malheurs; enfin, le commandeur de Chatte, s'étant chargé, vers l'an 1603, de la même entreprise, en donna la direction à Samuel de Champelain, dont le nom rappelle le fondateur de Québec et le père des colonies françoises dans l'Amérique septentrionale.

Depuis ce moment les jésuites furent chargés du soin de continuer les découvertes dans l'intérieur des forêts canadiennes. Alors commencèrent ces fameuses missions qui étendirent l'empire françois des bords de l'Atlantique et des glaces de la baie d'Hudson aux rivages du golfe Mexicain. Le père Biart et le père Enemond-Masse parcoururent toute l'Acadie; le père Joseph s'avança jusqu'au lac Nipissing, dans le nord du Canada; les pères de Brébeuf et Daniel visitèrent les magnifiques déserts des Hurons, entre le lac de ce nom, le lac Michighan et le lac Érié; le père de Lamberville fit connoître le lac Ontario et les cinq cantons iroquois. Attirés par l'espoir du martyre et par le récit des souffrances qu'enduroient leurs compagnons, d'autres ouvriers évangéliques arrivèrent de toutes parts, et se répandirent dans toutes les solitudes. « On les « envoyoit, dit l'historien de la Nouvelle-France, et «<ils alloient avec joie...; ils accomplissoient la pro« messe du Sauveur du monde, de faire annoncer « son Évangile par toute la terre. »

La découverte de l'Ohio et du Meschacebé à l'oc

cident, du lac Supérieur et du lac des Bois au nordouest, du fleuve Bourbon et de la côte intérieure de la baie de James au nord, fut le résultat de ces courses apostoliques. Les missionnaires eurent même connoissance de ces montagnes Rocheuses1, que M. Mackenzie a franchies pour se rendre à l'océan Pacifique, et du grand fleuve qui devoit couler à l'ouest; c'est le fleuve Colombia. Il suffit de jeter les yeux sur les anciennes cartes des jésuites, pour se convaincre que je n'avance ici que la vérité.

Toutes les grandes découvertes étoient donc faites ou indiquées dans l'intérieur de l'Amérique septentrionale lorsque les Anglois sont devenus les maîtres du Canada. En imposant de nouveaux noms aux lacs, aux montagnes, aux fleuves et aux rivières, ou en corrompant les anciens noms françois, ils n'ont fait que jeter du désordre dans la géographie. Il n'est pas même bien prouvé que les latitudes et les longitudes qu'ils ont données à certains lieux soient plus exactes que les latitudes et les longitudes fixées par nos savants missionnaires 2. Pour se faire une idée nette du point de départ et des voyages de M. Mackenzie, voici donc peut-être ce qu'il est essentiel d'observer.

1 Ils les appellent les montagnes des Pierres brillantes.

2 M. Arrowsmith est à présent le géographe le plus célèbre en Angleterre si l'on prend sa grande carte des États-Unis, et qu'on la compare aux dernières cartes d'Imley, on y trouvera une prodigieuse différence, surtout dans la partie qui s'étend entre les lacs du Canada et l'Ohio; les cartes des missionnaires, au contraire, se rapprochent beaucoup des cartes d'Imley.

Les missionnaires françois et les coureurs canadiens avoient poussé les découvertes jusqu'au lac Ouinipic ou Ouinipigon1, à l'ouest, et jusqu'au lac des Assiniboisl ou des Cristinaux, au nord. Le premier semble être le lac de l'Esclave de M. Mackenzie.

La société anglo-canadienne, qui fait le commerce des pelleteries, a établi une factorerie au Chipiouyan, sur un lac appelé le lac des Montagnes, et qui communique au lac de l'Esclave par une rivière.

Du lac de l'Esclave sort un fleuve qui coule au nord, et que M. Mackenzie a nommé de son nom. Le fleuve Mackenzie se jette dans la mer du pôle par les 69° 14′ de latitude septentrionale, et les 135° de longitude ouest, méridien de Greenwich.

La découverte de ce fleuve et sa navigation jusqu'à l'océan Boréal sont l'objet du premier voyage de M. Mackenzie. Parti du fort Chipiouyan, le 3 de juin 1789, il est de retour à ce fort le 12 de septembre de la même année.

Le 10 d'octobre 1792, il part une seconde fois du fort Chipiouyan pour faire un nouveau voyage. Dirigeant sa course à l'ouest, il traverse le lac des Montagnes, et remonte une rivière appelée Oungigah, ou la rivière de la Paix. Cette rivière prend sa source dans les montagnes Rocheuses. Un grand fleuve descendant du revers de ces montagnes,

Les cartes françoises le placent au 50° degré latitude nord, et les cartes angloises au 53o.

2 58° 40′ lat. nord, et 10° 30′ longitude ouest, mer de Greenwich.

coule à l'ouest, et va se perdre dans l'océan Pacifique. Ce fleuve s'appelle Tacoutché-Tessé, ou la rivière de Colombia.

La connoissance du passage de la rivière de la Paix dans celle de Colombia, la facilité de la navigation de cette dernière, du moins jusqu'à l'endroit où M. Mackenzie abandonna son canot pour se rendre par terre à l'océan Pacifique : telles sont les découvertes qui résultent de la seconde expédition du voyageur. Après une absence de onze mois, il revint au lieu de son départ.

Il faut observer que la rivière de la Paix, sortant des montagnes Rocheuses pour se jeter dans un bras du lac des Montagnes, que le lac des Montagnes communiquant au lac de l'Esclave par une rivière qui porte ce dernier nom, que le lac de l'Esclave, à son tour, versant ses eaux dans l'océan Boréal par le fleuve Mackenzie, il en résulte que la rivière de la Paix, la rivière de l'Esclave, et le fleuve Mackenzie, ne sont réellement qu'un seul fleuve qui sort des montagnes Rocheuses à l'ouest, et se précipite au nord, dans la mer du Pôle. Partons maintenant avec le voyageur, et descendons avec lui le fleuve Mackenzie, jusqu'à cette mer Hyperborée.

« Le mercredi 3 juin 1789, à neuf heures du matin, je <«< partis du fort Chipiouyan, situé sur la côte méridionale << du lac des Montagnes. J'étois embarqué dans un canot « d'écorce de bouleau, et j'avois pour conducteurs un Al<«<lemand et quatre Canadiens, dont deux étoient accompa«< gués de leurs femmes.

« Un Indien, qui portoit le titre de chef anglois, me sui

« voit dans un petit canot, avec ses deux femmes; et deux <«< autres jeunes Indiens, ses compagnons, étoient dans un « autre petit canot. Les Sauvages s'étoient engagés à mè « servir d'interprètes et de chasseurs. Le premier avoit au<< trefois accompagné le chef qui conduisit M. Hearne à la « rivière des Mines de cuivre.

M. Mackenzie traverse le lac des Montagnes, entre dans la rivière de l'Esclave, qui le conduit au lac du même nom, côtoie le rivage septentrional de ce lac, et découvre enfin le fleuve Mackenzie.

« Le cours du fleuve prend une direction à l'ouest et dans « un espace de vingt-quatre milles; son lit se rétrécit gra« duellement, et finit par n'avoir qu'un demi-mille de large.

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<«< Depuis le lac jusque là, les terres du côté du nord << sont basses et couvertes d'arbres; le côté du sud est plus «élevé; mais il y a aussi beaucoup de bois. . . . . Nous y «vimes beaucoup d'arbres renversés et noircis par le feu, «au milieu desquels s'élevoient de jeunes peupliers qui «avoient poussé depuis l'incendie. Une chose très digne « de remarque, c'est que lorsque le feu dévore une forêt «de sapins et de bouleaux, il y croit des peupliers, quoi<«qu'auparavant il n'y eût dans le même endroit aucun «arbre de cette espèce.»

Les naturalistes pourront contester l'exactitude de cette observation à M. Mackenzie, car en Europe tout ce qui dérange nos systèmes est traité d'ignorance ou de rêve de l'imagination; mais ce que les savants ne peuvent nier, et ce que tout l'art ne sauroit peindre, c'est la beauté du cours des eaux dans les solitudes du Nouveau-Monde. Qu'on se représente un fleuve immense, coulant àu travers des plus épaisses forêts; qu'on se figure tous les accidents des arbres qui accompagnent ses rives : des

MÉLANGES LITTÉRAIRES.

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