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déçus. Mais pourquoi une triste prévoyance alarmeroitelle ton cœur? Périsse cette vaine sagesse qui étouffe les jeunes désirs! Poursuis, aimable enfant, poursuis ton radieux fantôme; livre-toi aux illusions et à l'espérance; trop tôt, hélas! l'espérance et les illusions s'évanouiront elles-mêmes.

Quand la cloche du soir, balancée dans les airs, chargeoit de ses gémissements la brise solitaire, le jeune Edwin, marchant avec lenteur, et prêtant une oreille attentive, se plongeoit dans le fond des vallées; tout autour de lui il croyoit voir errer des convois funèbres, de pâles ombres, des fantômes traînant des chaînes ou de longs voiles: mais bientôt ces bruits de la mort se perdoient dans le cri lugubre du hibou, ou dans les murmures du vent des nuits, qui ébranloit par intervalles les vieux dômes d'une église.

Si la lune rougeâtre se penchoit à son couchant sur la mer mélancolique et sombre, Edwin alloit chercher les bords de ces sources inconnues où s'assembloient sur des bruyères les magiciennes des temps passés. Là, souvent le sommeil venoit le surprendre, et lui apportoit ses visions. D'abord une brise sauvage commençoit à siffler à son oreille, puis des lampes allumées tout à coup par une flamme magique illuminoient la voûte de la nuit.

Soudain, dans son rêvé, s'élève devant lui un château dont le portique est chargé de blasons. La trompette sonné, le pont-levis s'abaisse; bientôt sortent du manoir gothique des guerriers aux casques verts, tenant à la main des boucliers d'or et des lances de diamant. Leur regard est affable, leur démarche hardie; au milieu d'eux, de vénérables troubadours, vêtus de longues robes, animent d'un souffle harmonieux le chalumeau guerrier.

Au bruit des chansons et des timbales, une troupe de belles dames s'avance du fond d'un bocage de myrte. Les guerriers déposent la lance et le bouclier, et les danses commencent au son d'une musique vive et joyeuse. On se mêle, on se quitte; on fuit, on revient; on confond les dé

tours du dédale mobile; les forêts resplendissent au loin de l'éclat des flambeaux, de l'or et des pierreries.

Le songe a fui..... Edwin, réveillé avec l'aurore, ouvre ses yeux enchantés sur les scènes du matin; chaque zéphyr lui apporte mille sons délicieux; on entend le bêlement du troupeau, le tintement de la cloche de la brebis, le bourdonnement de l'abeille; la cornemuse fait retentir les rochers, et se mêle au bruit sourd de l'océan lointain qui bat ses rivages.

Le chien de la cabane aboie en voyant passer le pèlerin matinal; la laitière, couronnée de son vase, chante en descendant la colline; le laboureur traverse les guérets en sifflant; le lourd chariot crie en gravissant le sentier de la montagne; le lièvre étonné sort des épis vacillants; la perdrix s'élève sur son aile bruyante; le ramier gémit dans son arbre solitaire; et l'alouette gazouille au haut des airs.

O nature! que tes beautés sont ravissantes! tu donnes à tes amants des plaisirs toujours nouveaux. Que n'ai-je la voix et l'ardeur du séraphin pour chanter ta gloire avec un amour religieux!..

Salut, savants maîtres de la lyre! poëtes, enfants de la nature, amis de l'homme et de la vérité! salut, vous dont les vers, pleins d'une douceur sublime, charmèrent mon enfance et instruisirent ma jeunesse!..

Hélas! caché dans des retraites ignorées, le pauvre Edwin n'a jamais connu votre art. Quand les pluies de l'hiver et les neiges entassées ont fermé la porte de la cabane, seulement alors il entend quelques troubadours voyageurs chanter les faits de la chevalerie..........ou redire cette ballade touchante des deux enfants abandonnés dans le bois. En versant des pleurs sur l'attendrissante histoire, Edwin admire les prodiges de la Muse.

Quand la tempête a cessé de rugir, il parcourt l'uniforme désert des neiges; il contemple les nuages qui se balancent comme de gros vaisseaux sur les vagues de l'Océan,

et cinglent vers l'horizon bleuâtre. Parmi ces décorations changeantes et toujours nouvelles, Edwin découvre des fleuves, des gouffres, des géants, des rochers entassés sur des rochers, et des tours penchées sur des tours. Alors descendant au rivage, l'enthousiaste solitaire marche le long des grèves, en écoutant avec un plaisir mêlé de terreur le mugissement des vagues roulantes. C'est encore ainsi que, pendant l'été, lorsque les nuages de l'orage allongent leur colonne ténébreuse sur le sommet des collines, Edwin se hâte de quitter la demeure de l'homme; c'est encore ainsi qu'il s'enfonce dans la noire solitude, pour jouir des premiers feux de l'éclair et des premiers bruits du tonnerre, sous la voûte retentissante des cieux. Quand la jeunesse du village danse au son du chalumeau, Edwin, assis à l'écart, se plaît à rêver au bruit de la musique. Oh! comme alors tous les jeux bruyants semblent vains et tumultueux à son ame! Céleste mélancolie, que sont près de toi les profanes plaisirs du vulgaire !

Est-il un cœur que la musique ne peut toucher? Ah! que ce cœur doit être insensible et farouche! Est-il un cœur qui ne sentit jamais ces transports mystérieux, enfants de la solitude et de la rêverie? Qu'il ne s'adresse point aux Muses; les Muses repoussent ses vœux........ Tel ne fut point Edwin. Le chant fut son premier amour; souvent la harpe de la montagne soupira sous sa main aventureuse, et la flûte plaintive gémit suspendue à son souffle. Sa Muse, encore enfant, ignoroit l'art du poëte, fruit du travail et du temps. Edwin atteignit pourtant cette perfection si rare, ainsi que mes vers le diront quelque jour.

On voit par ce dernier vers que Beattie se proposoit de continuer son poëme. En effet, on trouve un second chant, écrit quelque temps après; mais il est bien inférieur au premier. Edwin, en errant dans le désert, entend un jour une voix grave qui

s'élève du fond d'une vallée : c'est celle d'un vieux solitaire qui, après avoir connu les illusions du monde, s'est enseveli dans cette retraite, pour y recueillir son ame et chanter les merveilles du Créateur. Cet ermite instruit le jeune minstrel et lui révèle le secret de son propre génie. On voit combien cette idée étoit heureuse; mais l'exécution n'a pas répondu au premier dessein de l'auteur: le solitaire parle trop long-temps, et dit des choses trop communes sur les grandeurs et les misères de la vie. Toutefois on trouve encore dans ce second chant quelques passages qui rappellent le charme et le talent du premier. Les dernières strophes en sont consacrées au souvenir d'un ami que le poëte venoit de perdre. Il paroît que Beattie étoit destiné à verser souvent des pleurs. La mort de son fils unique l'a profondément affecté, et l'a enlevé totalement aux Muses. Il vit encore sur les rochers de Moryen; mais ces rochers n'inspirent plus ses chants comme Ossian qui a perdu son Oscar, il a suspendu sa harpe aux branches d'un chène. On dit que son fils annonçoit un grand talent pour la poésie; peut-être étoit-il ce jeune minstrel qu'un père sensible avoit peint, et dont il ne voit plus les pas sur le sommet de la montagne.

Le poëte Beattie n'a pas survécu long-temps à la perte de son fils. Il traîna quelque temps sa douleur dans les montagnes d'Écosse, et mourut le 18 août 1803, à l'âge de soixante-huit ans. Beattie a publié, en outre de son poëme du Minstrel, d'autres poésies très remarquables par le sentiment mélancolique dont elles sont empreintes. (Note de l'Éditeur.)

ALEX. MACKENZIE.

Juillet 1801.

Il faut peut-être chercher dans l'inconstance et les dégoûts du cœur humain le motif de l'intérêt général qu'inspire la lecture des Voyages. Fatigués de la société où nous vivons, et des chagrins qui nous environnent, nous aimons à nous égarer en pensée dans des pays lointains et chez des peuples inconnus. Si les hommes que l'on nous peint sont plus heureux que nous, leur bonheur nous délasse; s'ils sont plus infortunés, leurs maux nous consolent.

Mais l'intérêt attaché au récit des voyages diminue chaque jour, à mesure que le nombre des voyageurs augmente; l'esprit philosophique a fait cesser les merveilles du désert:

Les bois désenchantés ont perdu leurs miracles '.

Quand les premiers François qui descendirent sur les rivages du Canada parlent de lacs semblables à des mers, de cataractes qui tombent du ciel, de forêts dont on ne peut sonder la profondeur, l'esprit est bien plus fortement ému que lorsqu'un marchand anglois, ou un savant moderne, vous apprend qu'il a pénétré jusqu'à l'océan Pacifique, et

I FONTANES.

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