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freuse vérité, et cependant je sens que ce n'est qu'une ingénieuse imitation d'une action qui n'est plus, qui peut-être n'a jamais été alors mes larmes coulent avec délices; je pleure, mais c'est au son de la lyre d'Orphée; je pleure, mais c'est aux accents des Muses; ces filles célestes pleurent aussi, mais elles ne défigurent point leurs traits divins par des grimaces. Les anciens donnoient aux Furies même un beau visage, apparemment parce qu'il y a une beauté morale dans les remords.

Et puisque nous sommes sur ce sujet important, on me permettra de dire un mot de la querelle qui divise aujourd'hui le monde littéraire. Une partie de nos gens de lettres n'admire plus que les ouvrages étrangers, tandis que l'autre tient fortement à notre ancienne école. Selon les premiers, les écrivains du siècle de Louis-le-Grand n'ont eu ni assez de mouvement dans le style; ni surtout assez de pensées; selon les seconds, tout ce prétendu mouvement, tous les efforts du jour vers des pensées nouvelles, ne sont que décadence et corruption : ceux-là rejettent toutes règles; ceux-ci les rappellent toutes.

On pourroit dire aux premiers qu'on se perd sans retour aussitôt que l'on abandonne les grands modèles, qui peuvent seuls nous retenir dans les bornes délicates du goût; qu'on se trompe lorsqu'on prend pour de véritables mouvements une manière qui procède sans fin par exclamations et par interrogations. Le second siècle de la littérature latine eut les mêmes prétentions que notre

siècle. Il est certain que Tacite, Sénèque et Lucain ont plus d'agitation dans le style, et plus de variété dans les couleurs que Tite-Live, Cicéron et Virgile. Ils affectent cette concision d'idées, et ces effets brillants d'expression, que nous recherchons à présent; ils chargent leurs descriptions, se plaisent à faire des tableaux, à prononcer des sentences: car c'est toujours dans les temps de corruption qu'on parle le plus de morale. Cependant les siècles sont venus; et, sans s'embarrasser des penseurs de l'âge de Trajan, ils ont donné la palme à l'âge de l'imagination et des arts, à l'âge d'Auguste.

Si les exemples instruisoient, je pourrois ajouter qu'une autre cause de la chute des lettres latines fut la confusion des dialectes dans l'empire romain. Lorsqu'on vit des Gaulois dans le sénat, lorsque Rome, devenue la capitale du monde, entendit ses murs retentir de tous les jargons, depuis le Goth jusqu'au Parthe, on put juger que c'en étoit fait du goût d'Horace et de la langue de Cicéron. La ressemblance est frappante: pour peu que l'on continue en France à étudier les idiomes étrangers, et à nous inonder de traductions, notre langue perdra bientôt cette fleur native et ces gallicismes, qui faisoient son génie et sa grace.

Une des sources de l'erreur où sont tombés les gens de lettres qui cherchent des routes inconnues, vient de l'incertitude qu'ils ont cru remarquer dans les principes du goût. On est un grand homme dans un journal et un misérable écrivain dans un autre :

ici un génie brillant, là un pur déclamateur. Les nations entières varient : tous les étrangers refusent du génie à Racine, et de l'harmonie à nos vers; nous, nous jugeons des auteurs anglois tout différemment que les Anglois eux-mêmes; on seroit étonné de savoir quels sont les grands hommes de France, en Allemagne, et quels sont les auteurs françois qu'on méprise dans ce pays.

Mais tout cela ne sauroit jeter l'esprit dans l'incertitude, et faire abandonner les principes, sous prétexte qu'on ne sait pas ce que c'est que le goût. 11 y a une base sûre où l'on peut se reposer : c'est la littérature ancienne; elle est là pour modèle invariable.

C'est donc autour de ceux qui nous rappellent à ces grands exemples, qu'il faut nous håter de nous rallier, si nous voulons échapper à la barbarie. Quand les partisans de l'ancienne école iroient un peu trop loin dans leur haine des littératures étrangères, on devroit encore leur en savoir gré : c'est ainsi que Boileau s'éleva contre le Tasse, par la raison, comme il le dit lui-même, que son siècle avoit trop de penchant à tomber dans les défauts de cet auteur.

Cependant, en accordant quelque chose à un adversaire, ne le ramèneroit-on pas plus aisément aux bons modèles? Est-ce qu'on ne pourroit pas convenir que les arts d'imagination ont peut-être un peu trop dominé dans le siècle de Louis XIV? que ce qu'on appelle aujourd'hui peindre la nature étoit alors une chose presque inconnue? Pourquoi

n'admettroit-on pas que le style du jour connoit réellement plus de formes; que la liberté que l'on a de traiter tous les sujets a mis en circulation un plus grand nombre de vérités; que les sciences ont donné plus de fermeté aux esprits et de précision aux idées? Je sais qu'il y a des dangers à convenir de tout cela, et que si l'on cède sur un point, on ne saura bientôt plus où s'arrêter; mais enfin ne seroit-il pas possible qu'un homme, marchant avec précaution entre les deux lignes, et se tenant toutefois beaucoup plus près de l'antique que du moderne, parvînt à marier les deux écoles, et à en faire sortir le génie d'un nouveau siècle? Quoi qu'il en soit, tout effort pour obtenir cette grande révolution sera inutile, si nous demeurons irréligieux. L'imagination et le sentiment tiennent essentiellement à la religion; or, une littérature d'où les enchantements et la tendresse sont bannis, ne peut jamais être que sèche, froide et médiocre.

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Le génie écossois a soutenu avec honneur, dans ce dernier siècle, une littérature que les Pope, les Addison, les Steèle, les Rowe, avoient élevée à un haut degré de gloire. L'Angleterre ne compte point d'historiens supérieurs à Hume et à Robertson, ni de poëtes plus riches et plus aimables que Thomson et Beattie. Celui-ci, qui n'est jamais descendu de son désert, simple ministre, et professeur de philosophie dans une petite ville du nord de l'Écosse, a fait entendre des chansons d'un caractère tout nouveau, et touché une lyre qui rappelle un peu la harpe du barde. Son principal, et pour ainsi dire son seul ouvrage, est un petit poëme intitulé le Minstrel, ou les Progrès du Génie. Beattie a voulu peindre les effets de la muse sur un jeune berger de la montagne, et retracer des inspirations qu'il avoit sans doute éprouvées lui-même. L'idée primitive du Minstrel est charmante, et la plupart des détails en sont très agréables. Le poëme est écrit en stances rimées comme les vieilles ballades écossoises, ce qui ajoute encore à sa singularité. On y trouve à la vérité, comme dans tous les auteurs étrangers, des longueurs et des traits de mauvais goût. Le docteur Beattie aime à s'étendre sur des lieux communs de morale, qu'il n'a

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