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SUR

L'HISTOIRE DES CROISADES,

PAR M. MICHAUD,

DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE.

Octobre 1825.

Des choses remarquables se passent sous nos yeux. Tandis qu'un mouvement immense emporte les peuples vers d'autres destinées, tandis qu'une politique en sommeil néglige d'attacher à ce qui reste de croyances et d'institutions anciennes les intérêts d'une société nouvelle, cette société se jette avec une égale ardeur sur le passé pour le connoître, sur l'avenir pour en faire la conquête.

C'est en effet un trait particulier de notre époque, que la grande activité politique qui travaille les générations ne se perde plus, comme aux premiers jours de nos expériences, dans le champ des théories: on se résigne, courage résigne, courage bien singulier! au changement des doctrines par l'étude des faits, se précautionnant, pour ne pas s'égarer dans la route qu'on va suivre, de toutes les autorités de l'histoire.

A cette idée de prudence, il se mêle aussi une idée de consolation. Cette chaleur de travail et

d'instruction historique, cette sorte d'invasion dans les monuments des vieux âges, vient encore du besoin universel d'échapper au présent. Ce présent pèse en effet à toutes les ames fortes, tant il leur est étranger, tant elles sont peu contemporaines des hommes qui s'agitent et des choses qui se traînent sous nos yeux. Il semble que pour retrouver une France noble et belle, telle que des hommes d'état, dignes de ce nom, pourroient la faire, il semble qu'on soit obligé d'aller demander à l'histoire de quoi nourrir cet orgueil de nous-mêmes, qui, malgré tout ce qu'on a fait pour la flétrir, ne nous quittera pas. Il faut donc considérer comme une généreuse conspiration de patriotisme, cette notable passion de notre époque pour l'étude des souvenirs, des traditions, des monuments natio

naux.

Une pensée fraternelle semble animer ceux qui lisent et ceux qui écrivent. L'histoire des vieux temps, tracée par des hommes du nôtre, resserre encore les liens de la parenté. Ceux qui ont des souvenirs, ceux qui ont des espérances, se rapprochent dans ce commerce historique. Par une double rencontre, il devient l'occupation des hommes mûrs qui ont passé par les affaires, et des hommes jeunes encore qui doivent y passer; ils mettent en commun leurs nobles douleurs et leurs ambitions généreuses. Chassés du présent par une politique étroite, ils se retrouvent dans les jours qui ne sont plus.

Il est surtout quelques vieux François à qui la

consolation d'écrire sur l'histoire de la monarchie

semble aujourd'hui plus particulièrement appartenir. Ce sont ces vétérans de l'exil, refoulés encore loin de ce trône relevé par leur persévérance, chez qui l'habitude des proscriptions n'a fait qu'allumer l'ardeur de nouveaux services, et qui, en s'éloignant du palais des rois, se sont donné rendez-vous sous l'oriflamme, afin d'en redire la gloire.

Retiré sous cette vieille bannière, c'est là que M. Michaud a écrit l'Histoire des Croisades. La conception et le succès d'une aussi vaste entreprise témoignent honorablement en sa faveur: il a achevé son ouvrage malgré les fatigues d'une vie mêlée à tous nos orages politiques. Si le public a accueilli cet ouvrage avec un grand sentiment de justice, c'est que l'auteur possède cette fidélité de doctrines, toujours estimable, par laquelle on tient à un parti, cette élévation de sentiments et cette bonne foi de la raison par laquelle on touche à l'opinion de tous les hommes.

L'Histoire des Croisades, dont nous annonçons la quatrième édition, est l'heureux fruit de cette heureuse alliance de qualités. Écrite sous des temps différents, par intervalles, par parties détachées, elle forme un tout régulier. C'est le même esprit qui domine tout cet ensemble de récits divers et compliqués.

Nous avons déja dit ce que nous pensons de cet ouvrage, qui a fait naître une unanimité de suffrages dans des jours de divisions. Cette der

MÉLANGES LITTÉRAIRES.

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nière édition atteste la sollicitude infatigable de l'auteur, qui ajoute, qui modifie, qui, plus pénétré de l'ensemble des faits généraux, redonne à chacun des faits particuliers une physionomie plus marquée et plus précise.

Ayant à peindre l'époque la plus pittoresque de l'histoire moderne, des mœurs pleines de grandeur et de naïveté, de crimes et de vertus, de croyances ardentes, M. Michaud a très bien senti qu'un tableau si intéressant par les noms, par les souvenirs, par les résultats, n'avoit besoin que de simplicité. Il a senti surtout l'avantage de pouvoir disposer à son gré des chroniqueurs; de mêler quelquefois leur rude expression à l'éclat des faits qu'ils racontent; de faire dire, avec toute la simplicité des ermites, des exploits agrandis par tout le courage des chevaliers : c'est toujours un historien que l'on suit, quelquefois un pélerin qu'on

écoute.

Il y avoit trois difficultés dans l'histoire complète des Croisades: c'étoit d'indiquer leur cause première; de retrouver dans la poussière de tant de milliers d'hommes, la trace des premiers pas faits vers la Terre-Sainte; puis, une fois cette indication préliminaire établie, il falloit mettre de l'ordre et de l'enchaînement dans cette suite de migrations et d'entreprises qui n'eurent pas toutes plus tard le mobile qu'elles avoient eu d'abord. Restoit ensuite la tâche du philosophe après celle de l'historien; restoit à juger les résultats, après avoir raconté les événements; à promener des re

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gards tranquilles sur les conséquences terrestres des guerres religieuses, sur l'action puissante de ces temps barbares pour enfanter la civilisation au nom de laquelle on les a trop souvent accusés.

Or, l'historien des Croisades nous paroît en avoir bien surpris les causes; elles sont simples, mais il n'y a que beaucoup d'études historiques qui pouvoient mettre sur la voie de ces causes. L'usage, ancien déja parmi les chrétiens, au moment des Croisades, de faire des pélerinages au tombeau de Jésus-Christ, voilà une bien tranquille origine à cette fougue guerrière qui poussa les populations de l'Europe sur les populations de l'Asie. Mais cette origine est pourtant vraie, et elle est démontrée jusqu'à l'évidence par la gradation que l'auteur introduit dans la narration successive de ces saints voyages, commencés avec le bourdon et continués avec l'épée. Entraîné par l'enchaînement du récit, vous voyez grossir peu à peu la foule, et bientôt les Croisades ne nous paroissent plus que des pélerinages de cinquante mille hommes armés.

Quand dans un sujet on va au fond des choses, il est tout simple que la forme, esclave fidèle, se moule sur le sujet choisi par l'écrivain. Il n'y avoit qu'un écueil pour le style dans l'Histoire des Croisades, c'étoit d'être entraîné par la poésie du sujet, et de se tromper de muse. M. Michaud a évité cet écueil; mais en même temps il a su conserver la vie et le mouvement à ses personnages. Dans les circonstances nécessaires, sa diction est éclatante sans cesser d'être naturelle.

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