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mier est connue, et que la làcheté du second est ignorée. Heureux en effet dans ces jours d'esclavage, l'homme médiocre qui peut être vil en sûreté de l'avenir, qui peut impunément se réjouir dans la fange, certain que ses talents ne le livreront point à la postérité, et que le cri de sa bassesse ne passera pas la borne de sa vie!

Il me reste à parler de la célébrité littéraire. Elle marche de pair avec celle des grands rois et des héros: Homère et Alexandre, Virgile et César occupent également les voix de la renommée. Disons de plus que la gloire des Muses est la seule où il n'entre rien d'étranger. On peut toujours rejeter une partie du succès des armes sur les soldats ou sur la fortune: Achille a vaincu les Troyens à l'aide des Grecs; mais Homère a fait seul l'Iliade, et sans Homère nous ne connoîtrions pas Achille. Au reste, je suis si loin d'avoir pour les lettres le mépris qu'on me suppose, que je ne céderois pas facilement la foible portion de renommée qu'elles semblent quelquefois promettre à mes efforts. Je crois n'avoir jamais importuné personne de mes prétentions; mais, puisqu'il faut le dire une fois, je ne suis point insensible aux applaudissements de mes compatriotes, et je sentirois mal le juste orgueil que doit m'inspirer mon pays, si je comptois pour rien l'honneur d'avoir fait connoître avec quelque estime un nom françois de plus aux peuples étrangers.

Enfin, si nous en croyons quelques esprits chagrins, notre littérature est actuellement frappée de

stérilité; il ne paroît rien qui mérite d'être lu : le faux, le trivial, le gigantesque, le mauvais goût, l'ignorance, règnent de toutes parts, et nous sommes menacés de retomber dans la barbarie. Ce qui doit un peu nous rassurer, c'est que dans tous les temps on a fait les mêmes plaintes. Les journaux du siècle de Louis XIV sont remplis de déclamations sur la disette des talents. Les Subligni et les Visé regrettoient le beau temps de Ronsard. L'esprit de dénigrement est une maladie particulière à la France, parce que tout le monde a des prétentions dans ce pays, et que notre amour-propre est sans cesse tourmenté des succès de notre voisin.

Pour moi qui n'ai pas le droit d'être difficile, et qui me contente d'admirer avec la foule, je ne suis point du tout frappé de cette prétendue stérilité de notre littérature. J'ai le bonheur de croire qu'il existe encore en France des écrivains de génie, remarquables par la force de leurs pensées ou le charme de leur style; des poëtes du premier ordre, des savants distingués, des critiques pleins de goût, dépositaires des saines doctrines, des bonnes traditions. Je nommerois facilement plusieurs ouvrages qui, j'ose le dire, passeront à la postérité. Nous pouvons affecter une humeur superbe, à dédaigner les talents qui nous restent; mais je ne doute point l'avenir ne soit plus juste envers nous, et qu'il que n'admire ce que nous aurons peut-être méprisé. Notre siècle ne démentira point l'expérience commune : les arts et les lettres brillent toujours dans les temps de révolution, hélas! comme ces fleurs

qui croissent parmi les ruines: feret et rubus

атотит.

asper

Je termine ici cette apologie des gens de lettres. J'espère que le chevalier béarnois sera satisfait de mes sentiments: plût à Dieu qu'il le fût de mon style. Car, entre nous, je le soupçonne de se connoître en littérature un peu mieux qu'il ne convient à un chevalier du vieux temps. S'il faut dire tout ce que je pense, il pourroit bien, en m'attaquant, n'avoir défendu que sa cause. Son exemple prouveroit, en cas de besoin, qu'un homme qui a joui d'une grande considération dans l'ordre politique et dans la première classe de la société, peut être un savant distingué, un critique délicat, un écrivain plein d'aménité, et même un poëte de talent. Ces chevaliers du Béarn ont toujours courtisé les Muses; et l'on se souvient encore d'un certain Henri qui se battoit d'ailleurs assez bien, et qui se plaignoit en vers de sa départie, lorsqu'il quittoit Gabrielle. Toutefois, puisque mon adversaire n'a pas voulu se découvrir, j'éviterai de le nommer: je veux qu'il sache seulement que je l'ai reconnu à ses couleurs.

Les gens de lettres que j'ai essayé de venger du mépris de l'ignorance, me permettront-ils, en finissant, de leur adresser quelques conseils dont je prendrai moi-même bonne part? Veulent-ils forcer la calomnie à se taire, et s'attirer l'estime même de leurs ennemis, il faut qu'ils se dépouillent d'abord de cette morgue et de ces prétentions exagérées qui les ont rendus insupportables dans le dernier siècle. Soyons modérés dans nos opinions, indulgents dans

nos critiques, sincères admirateurs de tout ce qui mérite d'être admiré. Pleins de respect pour la noblesse de notre art, n'abaissons jamais notre caractère; ne nous plaignons jamais de notre destinée : qui se fait plaindre se fait mépriser; que les Muses seules, et non le public, sachent si nous sommes riches ou pauvres : le secret de notre indigence doit être le plus délicat et le mieux gardé de nos secrets; que les malheureux soient sûrs de trouver en nous un appui nous sommes les défenseurs naturels des suppliants; notre plus beau droit est de sécher les larmes de l'infortune, et d'en faire couler des yeux de la prospérité : Dolor ipse disertum fecerat. Ne prostituons jamais notre talent à la puissance; mais aussi n'ayons jamais d'humeur contre elle: celui qui blâme avec aigreur admirera sans discernement; de l'esprit frondeur à l'adulation il n'y a qu'un pas. Enfin, pour l'intérêt même de notre gloire et la perfection de nos ouvrages, nous ne saurions trop nous attacher à la vertu : c'est la beauté des sentiments qui fait la beauté du style. Quand l'ame est élevée, les paroles tombent d'en haut, et l'expression noble suit toujours la noble pensée. Horace et le Stagyrite n'apprennent pas tout l'art il y a des délicatesses et des mystères de langage qui ne peuvent être révélés à l'écrivain que par la probité de son cœur, et que n'enseignent point les préceptes de la rhétorique.

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Il y a des genres de littérature qui semblent appartenir à certaines époques de la société ainsi, la poésie convient plus particulièrement à l'enfance des peuples, et l'histoire à leur vieillesse. La simplicité des mœurs pastorales ou la grandeur pastorales ou des mœurs héroïques veulent être chantées sur la lyre d'Homère; la raison et la corruption des nations civilisées demandent le pinceau de Thucydide. Cependant, la Muse a souvent retracé les crimes des hommes; mais il y a quelque chose de si beau dans le langage du poëte, que les crimes mêmes en paroissent embellis: l'historien seul peut les peindre sans en affoiblir l'horreur. Lorsque, dans le silence de l'abjection, l'on n'entend plus

1 Voilà l'article qui fit supprimer le Mercure, et qui attira une persécution violente à l'auteur. Comme ce morceau est devenu historique, on n'a pas voulu y toucher, et l'on y a laissé les fragments de l'Itinéraire qui s'y trouvent. A cette époque l'Itinéraire n'étoit pas publié.

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