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SUR

LA LÉGISLATION PRIMITIVE.

Décembre 1802.

On peut remarquer dans l'histoire que la plupart des révolutions des peuples civilisés ont été précédées des mêmes opinions, et annoncées par les mêmes écrits: Quid est quod fuit? ipsum quod futurum est. Quintilien et Élien nous parlent de cet Archiloque qui osa le premier publier l'histoire honteuse de sa conscience à la face de l'univers, et qui florissoit en Grèce avant la réforme de Solon. Au rapport d'Eschine, Dracon avoit fait un traité de l'éducation, où, prenant l'homme à son berceau, il le conduisoit pas à pas jusqu'à sa tombe. Cela rappelle l'éloquent sophiste dont M. de La Harpe a fait un portrait admirable.

La Cyropédie de Xénophon, une partie de la République de Platon, et les premiers livres de ses Lois, peuvent être aussi regardés comme de beaux traités plus ou moins propres à former le cœur de la jeunesse. Sénèque, et surtout le judicieux Quintilien, placés sur un autre théâtre, et plus rapprochés de nos temps, ont laissé d'excellentes leçons aux maîtres et aux disciples. Malheureusement, de tant de bons écrits sur l'éducation, nous n'avons

emprunté que la partie systématique, et précisément celle qui, tenant aux mœurs des anciens, ne peut s'appliquer à nos mœurs. Cette fatale imitation, que nous avons poussée en tout à l'excès, a causé bien des malheurs: en naturalisant chez nous les dévastations et les assassinats de Sparte et d'Athènes, sans atteindre à la grandeur de ces fameuses cités, nous avons imité ces tyrans qui, pour embellir leur patrie, y faisoient transporter les ruines et les tombeaux de la Grèce.

Si la fureur de tout détruire n'avoit pas été le caractère dominant de ce siècle, qu'avions-nous besoin cependant d'aller chercher des systèmes d'éducation dans les débris de l'antiquité ? N'avionsnous pas les institutions du christianisme? Cette religion si calomniée (et à qui nous devons toutefois jusqu'à l'art qui nous nourrit), cette religion arracha nos pères aux ténèbres de la barbarie. D'une main, les Bénédictins guidoient les premières charrues dans les Gaules, de l'autre ils transcrivoient les poëmes d'Homère; et tandis que les clercs de la vie commune s'occupoient de la collation des anciens manuscrits, les pauvres frères des écoles pieuses enseignoient gratis aux enfants du peuple les premiers rudiments des lettres, ils obéissoient à ce commandement du livre où tout se trouve : Non des illi potestatem in juventute, et ne despicias cogitatus illius.

Bientôt parut cette société fameuse qui donna le Tasse à l'Italie et Voltaire à la France, et dont, pour ainsi dire, chaque membre fut un homme de lettres

distingué. Le jésuite, mathématicien à la Chine, législateur au Paraguay, antiquaire en Égypte, martyr au Canada, étoit en Europe un maître savant et poli dont l'urbanité ôtoit à la science ce pédantisme qui dégoûte la jeunesse. Voltaire consultoit sur ses tragédies les Pères Porrée et Brumoy: « On a lu Jules César devant dix jésuites, écrit-il à « M. de Cideville, ils en pensent comme vous.» La rivalité qui s'établit un moment entre Port-Royal et la Société força cette dernière à veiller plus scrupuleusement sur sa morale, et les Lettres provinciales achevèrent de la corriger. Les jésuites étoient des hommes tolérants et doux qui cherchoient à rendre la religion aimable, par indulgence pour notre foiblesse, et qui s'égarèrent d'abord dans ce charitable dessein: Port-Royal étoit inflexible et sévère, et, comme le roi-prophète, il sembloit vouloir égaler la rigueur de sa pénitence à la hauteur de son génie. Si le poëte le plus tendre fut élevé à l'école des Solitaires, le prédicateur le plus austère sortit du sein de la Société. Bossuet et Boileau penchoient pour les premiers; Fénelon et La Fontaine pour la seconde.

« Anacréon se tait devant les jansénistes. »

Port-Royal, sublime à sa naissance, changea et s'altéra tout à coup, comme ces emblèmes antiques qui n'ont que la tête d'aigle; les jésuites au contraire se soutinrent et se perfectionnèrent jusqu'à leur dernier moment. La destruction de cet ordre a fait un mal irréparable à l'éducation et aux let

tres; on en convient aujourd'hui. Mais, selon la réflexion touchante d'un historien: Quis beneficorum servat memoriam? aut quis ullam calamitosis deberi putat gratiam? aut quando fortuna non mutat fidem?

Ce fut donc sous le siècle de Louis XIV (siècle qui enfanta toutes les grandeurs de la France), que le système d'éducation, pour les deux sexes, parvint à son plus haut point de perfection. On se rappelle avec admiration ces temps où l'on vit sortir des écoles chrétiennes, Racine, Molière, Montfaucon, Sévigné, La Fayette, Dacier; ces temps où le chantre d'Antiope donnoit des leçons aux épouses des hommes, où les Pères Hardouin et Jouvency expliquoient la belle antiquité, tandis que les génies de Port-Royal écrivoient pour des écoliers de sixième, et que le grand Bossuet se chargeoit du catéchisme des petits enfants.

Rollin parut bientôt à la tête de l'Université; ce savant homme, que l'on prend aujourd'hui pour un pédant de collége plein de ridicules et de préjugés, est pourtant un des premiers écrivains françois qui ait parlé d'un philosophe anglois avec éloge : « Je ferai grand usage de deux auteurs mo<«<dernes (dit-il dans son Traité des Études); ces << auteurs sont M. de Fénelon, archevêque de Cam<< brai, et M. Locke, Anglois, dont les écrits sur cette « matière sont fort estimés, et avec raison. Le der<«<nier a quelques sentiments particuliers que je ne « voudrois pas toujours adopter. Je ne sais d'ailleurs « s'il étoit bien versé dans la connoissance de la

"

«langue grecque et dans l'étude des belles-lettres; <«il ne paroît pas au moins en faire assez de cas. »

C'est en effet à l'ouvrage de Locke sur l'éducation qu'on peut faire remonter la date de ces opinions systématiques, qui tendent à faire de tous les enfants des héros de roman ou de philosophie. L'Émile, où ces opinions sont malheureusement consacrées par un grand talent, et quelquefois par une haute éloquence; l'Émile est jugé maintenant comme livre pratique; sous ce rapport il n'y a pas de livre élémentaire pour l'enfance qui ne lui soit bien préférable : on s'en est enfin aperçu, et une femme célèbre a publié de nos jours, sur l'éducation, des préceptes beaucoup plus sains et plus utiles. Un homme, dont le génie a été mûri par les orages de la révolution, achève maintenant de renverser les principes d'une fausse philosophie et de rasseoir l'éducation sur ses bases morales et religieuses. Le troisième volume de la Législation primitive est consacré à cet important sujet; nous avons promis de le faire connoître à nos lecteurs.

M. de Bonald commence par poser en principe que l'homme naît ignorant et foible, mais capable d'apprendre; «bien différent de la brute, l'homme «naît, dit-il, perfectible, et l'animal naît parfait. »

Que faut-il enseigner à l'homme? Tout ce qui est bon, c'est-à-dire tout ce qui est nécessaire à la conservation des êtres.

Et quel est le moyen général de cette conservation? La société.

Comment la société exprime-t-elle ses rapports?

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