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par le caractère françois, et transformé en amourpropre. L'orgueil pur appartient à l'homme solitaire, qui ne déguise rien, et qui n'est obligé à aucun sacrifice; mais l'homme qui vit beaucoup avec ses semblables est forcé de dissimuler son orgueil, et de le cacher sous les formes plus douces et plus variées de l'amour-propre. En général les passions sont plus dures et plus soudaines chez l'Anglois; plus actives et plus raffinées chez le François. L'orgueil du premier veut tout écraser de force en un instant; l'amour-propre du second mine tout avec lenteur. En Angleterre on hait un homme pour un vice , pour une offense; en France un pareil motif n'est pas nécessaire. Les avantages de la figure ou de la fortune, un succès, un bon mot, suffisent. Cette haine, qui se forme de mille détails honteux, n'est pas moins implacable que la haine qui naît d'une plus noble cause. Il n'y a point de si dangereuses passions que celles qui sont d'une basse origine; car elles sentent cette bassesse, et cela les rend furieuses. Elles cherchent à la couvrir sous des crimes, et à se donner, par les effets, une sorte d'épouvantable grandeur qui leur manque par le principe. C'est ce qu'a prouvé la révolution.

L'éducation commence de bonne heure en Angleterre. Les filles sont envoyées à l'école dès leur plus tendre jeunesse. Vous voyez quelquefois des groupes de ces petites Angloises, toutes en grands mantelets blancs, un chapeau de paille noué sous le menton avec un ruban, une corbeille passée au bras, et dans laquelle sont des fruits et un livre;

toutes tenant les yeux baissés, toutes rougissant lorsqu'on les regarde. Quand j'ai revu nos petites Françoises coiffées à l'huile antique, relevant la queue de leur robe, regardant avec effronterie, fredonnant des airs d'amour et prenant des leçons de déclamation, j'ai regretté la gaucherie et la pudeur des petites Angloises: un enfant sans innocence est une fleur sans parfum.

Les garçons passent aussi leur première jeunesse à l'école, où ils apprennent le grec et le latin. Ceux qui se destinent à l'église, ou à la carrière politique, vont de là aux universités de Cambridge ou d'Oxford. La première est particulièrement consacrée aux mathématiques, en mémoire de Newton; mais en général les Anglois estiment peu cette étude, qu'ils croient très dangereuse aux bonnes mœurs, quand elle est portée trop loin. Ils pensent que les sciences dessèchent le cœur, désenchantent la vie, mènent les esprits foibles à l'athéisme, et de l'athéisme à tous les crimes. Les belles-lettres au contraire, disent-ils, rendent nos jours merveilleux, attendrissent nos ames, nous font pleins de foi envers la Divinité, et conduisent ainsi, par la religion, à la pratique de toutes les vertus '.

L'agriculture, le commerce, le militaire, la religion, la politique, telles sont les carrières ouvertes à l'Anglois devenu homme. Est-on ce qu'on appelle un gentleman farmer (un gentilhomme cultivateur), on vend son blé, on fait des expériences sur l'agri

1. Vid. GIBBON, Lių., etc. etc..

culture; on chasse le renard ou la perdrix en automne; on mange l'oie grasse à Noël; on chante le roast beef of old England; on se plaint du présent, on vante le passé, qui ne valoit pas mieux, et le tout en maudissant Pitt et la guerre, qui augmente le prix du vin de Porto; on se couche ivre, pour recommencer le lendemain la même vie.

L'état militaire, quoique si brillant sous la reine Anne, étoit tombé dans un discrédit dont la guerre actuelle l'a relevé. Les Anglois ont été long-temps sans songer à tourner leurs forces vers la marine. Ils ne vouloient se distinguer que comme puissance continentale. C'étoit un reste des vieilles opinions, qui tenoient le commerce à déshonneur. Les Anglois ont toujours eu comme nous une physionomie historique qui les distingue dans tous les siècles. Aussi c'est la seule nation qui, avec la françoise, mérite proprement ce nom en Europe. Quand nous avions notre Charlemagne, ils avoient leur Alfred. Leurs archers balançoient la renommée de notre infanterie gauloise; leur prince Noir le disputoit à notre Du Guesclin, et leurs Marlboroug à nos Turenne. Leurs révolutions et les nôtres se suivent; nous pouvons nous vanter de la même gloire, et déplorer les mêmes crimes et les mêmes malheurs.

Depuis que l'Angleterre est devenue puissance maritime, elle a déployé son génie particulier dans cette nouvelle carrière; ses marins sont distingués de tous les marins du monde. La discipline de ses vaisseaux est singulière; le matelot anglois est absolument esclave. Mis à bord de force, obligé de ser

vir malgré lui, cet homme si indépendant tandis qu'il est laboureur, semble perdre tous ses droits à la liberté aussitôt qu'il devient matelot. Ses supérieurs appesantissent sur lui le joug le plus dur et le plus humiliant. Comment des hommes si orgueilleux et si maltraités se soumettent-ils à une pareille tyrannie ? C'est là le miracle d'un gouvernement libre; c'est que le nom de la loi est tout-puissant dans ce pays; et quand elle a parlé, nul ne résiste.

Je ne crois pas que nous puissions, ni même que nous devions jamais transporter la discipline angloise sur nos vaisseaux. Le François, spirituel, franc, généreux, veut approcher de son chef; il le regarde comme son camarade encore plus que comme son capitaine. D'ailleurs, une servitude aussi absolue que celle du matelot anglois ne peut émaner que d'une autorité civile: or, il seroit à craindre qu'elle ne fût méprisée de nos marins; car malheureusement le François obéit plutôt à l'homme qu'à la loi; et ses vertus sont plus des vertus privées que des vertus publiques.

Nos officiers de mer étoient plus instruits que les officiers anglois. Ceux-ci ne savent que leurs manœuvres; ceux-là étoient des mathématiciens et des hommes savants dans tous les genres. En général, nous avons déployé dans notre marine notre véritable caractère : nous y paroissons comme guerriers et comme artistes. Aussitôt que nous aurons des vaisseaux, nous reprendrons notre droit d'ainesse sur l'océan comme sur la terre. Nous pourrons faire aussi des observations astronomiques et

des voyages autour du monde; mais pour devenir jamais un peuple de marchands, je crois que nous pouvons y renoncer d'avance. Nous faisons tout par génie et par inspiration; mais nous mettons peu de suite à nos projets. Un grand homme en finance, un homme hardi en entreprises commerciales, s'élèvera peut-être parmi nous; mais son fils poursuivra-t-il la même carrière, et ne pensera-t-il pas à jouir de la fortune de son père, au lieu de songer à l'augmenter? Avec un tel esprit, une nation ne devient point mercantile; le commerce a toujours eu chez nous je ne sais quoi de poétique et de fabuleux, comme le reste de nos mœurs. Nos manufactures ont été créées par enchantement; elles ont jeté un grand éclat, et puis elles se sont éteintes. Tant que Rome fut prudente, elle se contenta des Muses et de Jupiter, et laissa Neptune à Carthage. Ce dieu n'avoit après tout que le second empire; et Jupiter lançoit aussi la foudre sur l'Océan.

Le clergé anglican est instruit, hospitalier et généreux. Il aime sa patrie et sert puissamment au maintien des lois. Malgré les différences d'opinion, il a reçu le clergé françois avec une charité vraiment chrétienne. L'université d'Oxford a fait imprimer à ses frais et distribuer gratis aux pauvres curés un Nouveau Testament latin, selon la version romaine, avec ces mots : A l'usage du clergé catholique, exilé pour la religion. Rien n'est plus délicat et plus touchant. C'est sans doute un beau spectacle pour la philosophie, que de voir, à la fin du dixhuitième siècle, un clergé anglican donner l'hospi

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