Imágenes de página
PDF
ePub
[blocks in formation]

1. Perrin Dandin, nom d'un appointeur de procès dans Rabelais. 2. Dans Rabelais encore, les huissiers s'appellent des chicanous.

LES PLAIDEURS

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIÈRE.'

PETIT-JEAN, traînant un gros sac de procès.

Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fiera :
Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.
Un juge, l'an passé, me prit à son service;
Il m'avoit fait venir d'Amiens pour être suisse.2

1. Entre Britannicus et Andromaque, les Plaideurs sont un singulier intermède. L'auteur en parle comme d'un amusement de société, fruit de la lecture des Guépes d'Aristophane, et du long ennui d'un interminable procès. Mais si les amis de Racine lui fournirent l'idée de quelques scènes, comme, par exemple, la querelle de Chicaneau et de la comtesse de Pimbesche, qui véritablement avait eu lieu entre madame de Crissé et un plaideur de profession, chez M. Boileau le greffier; s'il fut obligé, comme Molière, d'emprunter des experts les termes de la chicane, dont le dictionnaire n'était pas fort à son usage, on aurait grand tort d'en conclure que la pièce est de plusieurs mains: le style prouve que tout est d'une seule et même plume; et ce qui distingue cette espèce de comédie-farce entre toutes les autres, c'est que le style est celui de la bonne comédie, naturel, élégant et facile, animé par une gaieté franche, et assaisonné de ce sel piquant sans âcreté, que la muse comique jette à pleines mains sur les travers et les ridicules, qu'il est toujours bon de signaler, quand même on ne les corrigerait pas. (L.)

2. Les suisses étaient les portiers ou les concierges des grandes maisons. Voltaire, en 1724, habitant l'hôtel du coin de la rue de Beaune, que possédait alors la présidente de Bernières, se plaint de son suisse, « un animal avec un baudrier, » qui transformait sa loge en un méchant cabaret «hanté par une clientèle de porteurs d'eau. » Dandin voulait avoir son suisse qu'il fai

Tous ces Normands vouloient se divertir de nous :
On apprend à hurler, dit l'autre, avec les loups.
Tout Picard que j'étois, j'étois un bon apôtre, '

Et je faisois claquer mon fouet tout comme un autre.2
Tous les plus gros monsieurs me parloient chapeau bas;3
Monsieur de Petit-Jean, ah! gros comme le bras!'
Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie.
Ma foi, j'étois un franc portier de comédie;"

sait venir d'Amiens, à l'exemple du suisse françois dont parle Furetière: « Il avoit tout su d'un suisse françois qui loue des chaises dans l'église et en chasse les chiens, et qui gagne plus à savoir les intrigues des femmes du quartier qu'à ses deux autres métiers ensemble. » (Le Roman bourgeois de Furetière, p. 33, édit. de Nancy; Cosson, 1713.)

1. C'est un bon apôtre, il fait l'homme de bien; mais il ne faut pas se fier à lui. (Dict. de l'Académie.)

2. Faire claquer son fouet, se faire valoir, faire valoir son autorité, ses talents, son crédit. (Dict. de l'Académie.)

3. Molière, dans l'École des femmes, s'était déjà servi de monsieurs pour messieurs. (A. M.) — Les plus gros monsieurs. Il semble que dès 1668 on se servait déjà de gros pour grand. Cette façon de parler devint à la mode, et dès 1691, dans un écrit intitulé les Mots à la mode, on critiquait cette manie, et on se moquait des personnes qui, pour se donner des airs de cour,

Se faisoient un jargon de mots mis de travers,
Disoient un gros mérite, une grosse naissance,
Une grosse faveur, une grosse puissance,

Mettant le gros à tout, bien ou mal à propos,

Et tout ce qui fut grand, le faisant toujours gros.

(Les Mots à la mode, p. 188, chez Barbin, 1692.)

Boursault, la même année, fit une comédie sous ce titre : les Mots à la mode. Mme Josse, femme d'un ancien joaillier, veut être du beau monde et affecte le beau parler.

Alexandre le Grand, l'exemple des héros
Est appelé par elle Alexandre le Gros;

Hier soir, elle-même, en parlant d'Allemagne,

Dit que le gros vizir s'alloit mettre en campagne.

(BOURSAULT, Theatre, IIIe vol., p. 140.)

4. Traiter quelqu'un de monsieur, de monseigneur, gros comme le bras, lui donner ces titres fréquemment et avec emphase. (Dict. de l'Académie.)

5. Les portiers de la Comédie avaient surtout pour consigne de ne laisser entrer personne sans billet. Ils se laissaient quelquefois gagner par une pièce d'argent mise dans la main.

On avoit beau heurter et m'ôter son chapeau,

On n'entroit pas chez nous sans graisser le marteau.
Point d'argent, point de suisse;1 et ma porte étoit close.
Il est vrai qu'à Monsieur j'en rendois quelque chose :
Nous comptions quelquefois. On me donnoit le soin
De fournir la maison de chandelle et de foin;
Mais je n'y perdois rien. Enfin, vaille que vaille,
J'aurois sur le marché fort bien fourni la paille.
C'est dommage: il avoit le cœur trop au métier; 2
Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier ;
Et bien souvent tout seul, si l'on l'eût voulu croire,
Il s'y seroit couché sans manger et sans boire.

4

2

3

1. Point d'argent point de suisse, proverbe que Furetière, dans le Roman bourgeois, p. 152, commente de la manière suivante : « De sorte qu'on pourroit appliquer au sexe le proverbe inventé autrefois pour les suisses, et dire : point d'argent, point de femmes. »>

2. Il est trop éloigné de monsieur, auquel il se rapporte; il y a six vers de distance du pronom au nom. Cette très-légère incorrection est couverte par la gaieté, la bonne plaisanterie, le vrai comique du style dans tout ce monologue: il est long à la vérité au théâtre, mais la manière dont il est écrit le fait trouver court à la lecture. Il faut convenir cependant qu'il n'est pas naturel que Petit-Jean vienne dans la rue pour dormir; qu'avant de dormir il se parle si longtemps. On s'aperçoit que le poëte a besoin d'instruire le spectateur; et Petit-Jean ne songe qu'il a envie de dormir qu'après avoir débité ce qu'il est nécessaire de savoir pour l'intelligence de la pièce : il y a peu d'art dans cette exposition, mais beaucoup de vers que tout le monde sait par cœur, d'excellents vers de comédie, et des proverbes qui sont restés. (G.) 3. Plaids est un vieux mot dont on a fait plaider, et qui signifie aujourd'hui plaidoirie, audience. (L. R.)

4. On lit dans les éditions faites du vivant de Racine: Il y seroit couché. L'abbé d'Olivet a fort bien observé la différence qu'il y a entre coucher et se coucher le premier, tantôt actif, tantôt neutre, prend l'auxiliaire avoir : j'ai couché l'enfant, j'ai couché cette nuit à Paris; le second s'emploie avec le verbe substantif: je me suis couché. Le poëte a donc offensé la grammaire s'il a dit il y seroit couché, au lieu de il s'y seroit couché. (G.) Racine le fils dit que c'est une erreur typographique, propagée par la négligence des premiers éditeurs. Je crois que l'ancienne langue admettait les deux manières de parler. J'ai souvent entendu en province dire : je viens de la campagne; j'y suis couché, aussi bien que j'y ai couché.

Je lui disois parfois : « Monsieur Perrin-Dandin,

«Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin..

« Qui veut voyager loin ménage sa monture;

((

«< Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. »

Il n'en a tenu compte. Il a si bien veillé

Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé. '
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours certaines patenôtres2

Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré,
Ne se coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré.
Il fit couper la tête à son coq, de colère,
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire;
Il disoit qu'un plaideur dont l'affaire alloit mal
Avoit graissé la patte à ce pauvre animal.3
Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.
Il nous le fait garder jour et nuit, et de près :
Autrement, serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est allègre.
Pour moi, je ne dors plus : aussi je deviens maigre;
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller.

1. Cette métaphore est défectueuse. On dira bien qu'un timbre est fèlé, parce qu'il peut se fendre; mais on ne dira pas qu'il est brouillé, les parties qui le composent n'étant pas susceptibles de se mêler. Il est vrai que le mot timbre est ici employé pour cerveau; mais ce qui peut se dire du cerveau, à cause de la confusion des idées, ne peut être appliqué à un timbre, qui ne peut jamais offrir l'image du désordre. (A. M.) On dit que quelqu'un est timbré pour faire entendre qu'il est un peu fou un cerveau timbré, mal timbré. (Dict. de l'Académie.) On peut dire dans le même sens : un timbre brouillé. Le timbre fêlé et le timbre brouillé sont deux métaphores empruntées à des idées différentes.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

3. Graisser la patte à quelqu'un, donner de l'argent à quelqu'un pour le gagner, pour le corrompre; graisser le marteau, donner de l'argent au portier d'une maison, afin de s'en faciliter l'entrée. (Dict. de l'Académie.)

« AnteriorContinuar »