Imágenes de página
PDF
ePub

l'acheminement du tout vers la conclusion. »>> Goethe semble avoir voulu appliquer cette définition dans son Wilhelm Meister. A mesure qu'on avance, la scène s'étend et l'action se ralentit; le récit s'émiette et se disperse. L'analyse d'Hamlet prend une longue suite de chapitres; tout le sixième livre est un épisode. Ce fut bien pis quand Goethe voulut plus tard donner une suite à son roman, et qu'il écrivit les Années de voyage de Wilhelm Meister ou les Renonçants'. Le premier volume parut en 1821. Pendant que les deux derniers s'imprimaient, en 1829, le manuscrit, raconte Eckermann, se trouva insuffisant. Alors Goethe posa devant son secrétaire deux liasses de papiers inédits, dont le contenu n'avait aucun rapport avec Wilhelm Meister, pour qu'il en tirât des séries de maximes et de réflexions; on combla ainsi les lacunes. « Cela nous tire d'embarras, ajoutait Goethe, et cela nous donne l'occasion de lancer dans le monde bien des choses importantes. » Il en était arrivé à une sorte d'indifférence sur la manière dont il ferait ses communications au public.

L'une des nouvelles destinées aux Années de voyage se développa sous la plume de l'auteur et devint un roman; ce sont les Affinités2. L'idée en était ingénieuse et neuve. N'y a-t-il pas dans le monde moral des attractions mystérieuses et impé

1. Wilhelm Meisters Wanderjahre oder die Entsagenden. 2. Die Wahlverwandtschaften, 1809.

ratives, comme dans le monde physique? Deux époux, Édouard et Charlotte, voient leur bonheur troublé par l'arrivée de deux personnes qu'ils admettent dans leur intimité, un capitaine, ami d'Édouard, et une nièce de Charlotte, nommée Ottilie. Le capitaine et Charlotte triomphent de leur penchant mutuel, ils renoncent; mais Édouard et Ottilie meurent victimes de la passion aveugle qui les entraîne. Le roman, outre les fines analyses qu'il contient, est un des plus parfaits modèles de la prose de Goethe.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Les Années de voyage appartiennent déjà à la troisième manière de Goethe, la manière allégorique. Il demeure fidèle au grand style que lui a enseigné l'antiquité, et il y ajoute l'intention didactique. A force d'idéaliser la poésie, de la subtiliser, pour ainsi dire, il ne voit plus en elle que le vêtement d'une idée. Ses héros deviennent des types, des symboles. Dans Eugénie ou la Fille naturelle, nous voyons paraître le Roi, le Duc, l'Abbé, le Secrétaire; ils ne sont pas autrement désignés. Eugénie, une princesse du sang, exilée de la cour, est la personnification de la patrie. Trahie par l'Abbé et par le Secrétaire, c'est-à-dire par le clergé et par le peuple, elle accepte la main que lui offre le Conseiller. Cela

veut dire, sans doute, que la Justice est le dernier refuge d'une société démembrée. La Fille naturelle était la première pièce d'une trilogie où Goethe voulait peindre tout le développement de la Révolution française. Représentée au théâtre de Weimar en 1803, elle fut froidement accueillie, malgré la perfection du style, et elle n'eut jamais de suite.

La plus grande partie du second Faust est écrite dans la même manière allégorique que la Fille naturelle. Mais on aurait tort de considérer le second Faust seulement comme une œuvre de la vieillesse de Goethe, bien qu'il ne fût publié qu'après sa mort, en 1833. Plusieurs scènes étaient déjà ébauchées, quelques-unes même tout à fait terminées, à l'époque où parut la Première partie de la tragédie, en 1808. Dès l'année 1795, Goethe avait eu l'idée de faire reparaître l'Écolier devant Méphistophélès, non plus avec sa naïve crédulité d'autrefois, mais avec l'outrecuidance d'un savoir fraîchement éclos. L'épisode d'Hélène, publié séparément en 1827, l'occupait déjà en 1800. Faust était devenu le compagnon idéal de sa vie et comme sa doublure intellectuelle; au milieu de ses autres travaux, il revenait sans cesse à lui, incarnait en lui toutes ses idées, personnifiait en lui toutes ses métamorphoses. On comprend que, dans un tel sujet, et dans une œuvre de ce genre, se complétant scène par scène à de longs intervalles, le symbole, cette dernière forme de la poésie de Goethe, ait pris une place de plus en plus prépon

dérante. Après avoir montré Faust en lutte avec ses passions, il fallait parcourir avec lui le monde ancien et moderne, le faire assister à la décadence du vieil Empire, ressusciter devant lui la patrie d'Homère avec tout son cortège mythologique. Le poète, qui n'avait plus souci de la réalité vulgaire, n'était-il pas libre de supprimer, pour le héros de ses rêves, les temps et les distances? Le Faust, pris dans son ensemble, contient donc tous les styles de Goethe, comme il contient toute sa vie. Si ses poésies n'étaient, comme il le dit, que des fragments d'une grande confession, Faust est sa confession générale.

La vie de Goethe, après l'année 1805 qui lui enleva Schiller, offre peu d'incidents à noter. Le principal intérêt de sa biographie, à partir de ce moment, est dans l'attitude qu'il prit vis-à-vis des événements qui agitaient l'Europe. Il s'était promptement détaché de la Révolution française; il désapprouvait surtout les parodies maladroites et intempestives qu'on en faisait en Allemagne. « Je hais les bouleversements violents, disait-il plus tard à Eckermann (27 avril 1825), parce qu'on détruit par là autant que l'on gagne; je hais ceux qui les accomplissent, aussi bien que ceux qui les rendent inévitables. » Et, insistant sur son idée : « Je le répète, ajoutait-il, tout ce qui est violent et précipité me répugne dans l'âme, car cela n'est pas conforme à la nature. »> Puis, expliquant encore sa pensée par une image, il continuait : « Je suis l'ami des plantes, et j'aime la

rose comme la fleur la plus parfaite que produise notre ciel allemand. Mais je ne suis pas assez fou pour vouloir que mon jardin me la donne maintenant, à la fin d'avril. Je suis content de trouver aujourd'hui les premières feuilles vertes, et je le serai encore lorsque je verrai, de semaine en semaine, les feuilles continuer à former la tige; je le serai davantage quand le bouton se dégagera au mois de mai, et je serai heureux enfin si juin me présente la rose avec sa magnificence et ses parfums. Mais celui qui ne sait pas attendre, qu'il aille dans une serre chaude! » Il s'attendait à une restauration bourbonienne à bref délai. L'Empire lui donna un démenti. Il admira le génie de Napoléon plutôt en artiste. qu'en homme politique; il vit surtout en lui un grand déploiement de force individuelle. Il assista aux fêtes d'Erfurt, comme ministre du duc de Saxe-Weimar, en 1808, et il eut avec l'empereur un entretien dont il confia plus tard quelques détails au chancelier de Müller1. Lors du mouvement national de 1813, Goethe se tint à l'écart, laissant à des poètes plus jeunes le soin de composer des chants de guerre ou d'exciter les multitudes. « Au reste, disaitil encore à Eckermann (14 mars 1830), je ne haïssais pas les Français, car comment pouvais-je haïr une nation qui compte parmi les plus civilisées de la terre? » On lui demanda d'écrire une pièce de cir

1. Voir les Conversations d'Eckermann, traduites par Délerot, au 1er vol., p. 81, en note.

« AnteriorContinuar »