Imágenes de página
PDF
ePub

ment, pour résoudre s'ils tenteront quelque chose encore, ou s'ils abandonneront le malade désespéré. Mais pendant que l'on consulte de la vie mortelle, peut-être, mes Frères, qu'en ce même temps des médecins invisibles consultent d'une maladie bien plus importante: c'est de la maladie mortelle de l'ame. Nous l'avons traitée avec tout notre art, disent-ils, et nous n'avons pas oublié nos secrets les plus efficaces: tout a réussi contre nos pensées; et telle est sa dépravation, qu'elle s'est empirée parmi nos remèdes : Derelinquamus eam, et eamus unusquisque in terram suam1: « Laissons-la, abandonnons-la. Ne voyez-vous pas sur ce front le caractère d'un réprouvé? Son procès lui est fait au ciel : » Pervenit usque ad cælos judicium ejus. Ses crimes ont percé les nues, leur cri a pénétré jusque devant Dieu; et la miséricorde divine accusée de le soutenir trop longtemps, se justifie envers la justice en le livrant en ses mains : c'est pourquoi les anges laissent cette ame: Derelinquamus eam. Ils la laissent en proie aux démons, et leur patience épuisée est contrainte enfin de l'abandonner. Non contens de l'abandonner, ils sollicitent la juste vengeance des crimes qu'elle a commis : « Aiguisez vos flèches, remplissez votre carquois : » Acuite sagittas, implete pharetras 2: << Voici la vengeance du Seigneur, et il vengera aujourd'hui la profanation de son temple: » Quoniam ultio Domini est, ultio templi sui.

Ainsi, mes Frères, nos saints anges gardiens ne pouvant plus supporter nos crimes en poursuivent enfin la vengeance. Quand arrivera ce funeste jour? C'est un secret de la Providence; et plût à Dieu, chrétiens, qu'il n'arrivât jamais pour nous! Ne contraignons pas ces esprits célestes de forcer leur naturel bienfaisant, et de devenir des anges exterminateurs, et non plus des protecteurs et des gardiens. N'éteignons pas cette charité si tendre, si vigilante, si officieuse; et si nous les avons affligés par notre long endurcissement, réjouissons-les par nos pénitences. Oui, mes Frères, faisons ainsi, renouvelons-nous dans ce nouveau temple. Les saints anges, auxquels on l'élève, y habiteront volontiers, si nous commençons aujourd'hui à le sanctifier par nos conversions. 1 Jerem., LI, 9. - Ibid., 11.

352

PANÉGYRIQUE POUR LA FÊTE DES ANGES GARDIENS.

Il nous faut quelque victime pour consacrer cette Eglise. Quel sera cet heureux pécheur, qui deviendra la première hostie immolée à Dieu dans ce temple abattu et relevé, devant ces autels? Mais, ô Dieu, seroit-il en cette audience? N'y a-t-il point ici quelque ame attendrie, qui commence à se déplaire en soi-même, à se lasser de ses excès et de ses débauches, et que les soins des saints anges gardiens aient invitée de les reconnoître? O ame, quelle que tu sois, je te cherche, je ne te vois pas; mais tu sens en ta conscience si Dieu a aujourd'hui parlé à ton cœur. Ne rejette point sa voix qui t'appelle, laisse-toi toucher par sa grace: hâte-toi de remplir de joie cette troupe invisible qui nous environne, qui s'estimera bienheureuse, si elle peut aujourd'hui rapporter au ciel que la première solennité célébrée dans leur nouveau temple a été mémorable éternellement par la conversion d'un pécheur (a). Mais que dis-je d'un pécheur? Mes Frères, si nous savions qu'il y en eût un, qui de nous ne voudroit pas l'être ? Pressons-nous de mériter un si grand honneur; et fasse par ce moyen la bonté divine qu'en cherchant un pécheur qui se convertisse, nous en puissions aujourd'hui rencontrer plusieurs qui s'abaissent par la pénitence, pour être relevés par la grace et couronnés enfin par la gloire. Amen.

(a) Var.: Super uno peccatore pœnitentiam agente. Ils n'en demandent qu'un. Se seront-ils ici assemblés pour nous, sans que nous leur donnions quelque joie? Un pécheur, nous n'en voulons qu'un; et telle est notre dureté, nous ne pouvons pas le trouver.

PANÉGYRIQUE

DE

SAINT FRANÇOIS D'ASSISE (a).

Si quis videtur inter vos sapiens esse in hoc sæculo, stultus fiat ut sit sapiens.

S'il y a quelqu'un parmi vous qui paroisse sage selon le siècle, qu'il devienne fou afin d'être sage. I Cor., III, 18.

Le Sauveur Jésus, chrétiens, a donné un ample sujet de discourir, mais d'une manière bien différente, à quatre sortes de

(a) Prêché à Metz, le 4 octobre 1655.

Deux passages du discours révèlent cette date. En 1655, la province de Metz fut désolée par la guerre; des troupes peu disciplinées portèrent partout le désordre, le pillage et la terreur, à tel point que les habitans des campagnes cherchèrent en grand nombre un refuge dans les villes. Cependant cette année fut très-fertile en France; elle récompensa largement, surtout en Lorraine, les travaux du laboureur. Voilà pourquoi l'orateur, déplorant les calamités de l'époque, dit, dans le premier point : « Vous dirai-je ici, chrétiens, combien est effroyable en une pauvre maison une garnison de soldats?... Hélas! nos campagnes désertes et nos bourgs misérablement désolés, nous disent assez que c'est cette seule terreur qui a dissipé deçà et delà tous les habitans.... » Et dans la péroraison : « Un peu de courage, mes frères; faites quelques efforts pour l'amour de Dieu. Voyez avec quelle abondance il a élargi ses mains sur nous par la fertilité de cette année : élargissons les nôtres sur les misères de nos pauvres frères... »

La division annonce trois points; mais le panégyrique n'en a que deux, parce que le premier et le deuxième sont réunis en un seul.

Bossuet revient sur la comparaison, déjà touchée dans le précédent panégyrique, de l'homme et de l'ange. Saint Thomas résout ainsi la question. On peut considérer, dit il, la nature et le mérite acquis. Au point de vue de la nature, l'ange sera toujours au-dessus de l'homme, comme l'homme est au-dessus de l'animal, l'animal au-dessus du végétal, le végétal au-dessus du minéral. Sous le rapport du mérite, au contraire, tel et tel homme, aidé de la grace, peut s'élever au-dessus de tel et tel ange. Cette simple exposition porte, ce nous semble, sa preuve avec elle-même.

On remarquera cette phrase dans le deuxième point : « Les médecins nous apprennent que ce sont certains esprits chauds, et par conséquent actifs et vigoureux, qui se mêlant parmi notre sang, le font sortir ordinairement avec une grande impétuosité sitôt que la veine est ouverte. » Les savans ont toujours quelque mot sonore autant que vide de sens, pour expliquer ce qu'ils ne savent pas. Il y a deux siècles, les médecins disoient: Esprits vitaux! ils s'écrient de nos jours: Electricité! Tâchons d'être moins savans. Quand on ouvre 23

TOM. XII.

personnes, aux Juifs, aux Gentils, aux hérétiques et aux fidèles. Les Juifs qui étoient préoccupés de cette opinion si mal fondée que le Messie viendroit au monde avec une pompe royale, prévenus de cette fausse croyance, se sont approchés du Sauveur; ils ont vu qu'il étoit réduit dans un entier dépouillement de tout ce qui peut frapper les sens, un homme pauvre, un homme sans faste et sans éclat; ils l'ont méprisé : « Jésus leur a été un scandale » Judæis quidem scandalum, dit le grand Apôtre'. Les Gentils d'autre part, qui se croyoient les auteurs et les maîtres de la bonne philosophie, et qui depuis plusieurs siècles avoient vu briller au milieu d'eux les esprits les plus célèbres du monde, ont voulu examiner Jésus-Christ selon les maximes reçues parmi les savans de la terre; mais aussitôt qu'ils ont ouï parler d'un Dieu fait homme, qui avoit vécu misérablement, qui étoit mort attaché à une croix (a), ils en ont fait un sujet de risée : « Jésus a été pour eux une folie: » Gentibus autem stultitiam, poursuit saint Paul.

Après eux sont venus d'autres hommes, que l'on appeloit dans l'Eglise manichéens et marcionites, tous feignant d'être chrétiens; qui trop émus des invectives sanglantes des Gentils contre le Fils de Dieu, l'ont voulu mettre à couvert des moqueries de ces idolâtres, mais d'une manière tout à fait contraire aux desseins de la bonté divine sur nous. Ces foiblesses de notre Dieu, pusillitates Dei, comme les appeloit un ancien, leur ont semblé trop honteuses pour les avouer franchement: au lieu que les Gentils les exagéroient pour en faire une pièce de raillerie, ceux-ci au contraire tâchoient de les dissimuler, travaillant vainement à dimi

1 I Cor., I, 23. — * Tertull., advers. Marcion., lib. II, n. 27.

la veine, pourquoi le sang jaillit-il avec force? Parce que le cœur le pousse avec une énergie prodigieuse vers la circonférence, pour le ramener au centre. Le cœur, muscle creux comme un ballon de caoutchouc, en s'ouvrant, se remplit de sang; en se fermant, il le refoule dans des vaisseaux larges d'abord, puis rétrécis, puis toujours plus étroits, jusqu'aux extrémités du corps. Ainsi comprimé comme l'eau dans le tuyau de la pompe refoulante, le sang s'échappe avec impétuosité dès qu'il trouve une ouverture. Le célèbre Harvey annonça la circulation du sang en 1628; mais les médecins officiels, patentés et rentés, combattirent cette précieuse et magnifique découverte avec un incroyable acharnement; Bossuet ne pouvoit l'admettre en 1655.

(a) Var.: Pendu à une potence, - à un infâme gibet.

nuer quelque chose des opprobres de l'Evangile, si utiles pour notre salut. Ils ont cru, avec les Gentils et les Juifs, qu'il étoit indigne d'un Dieu de prendre une chair comme la nôtre et de se soumettre à tant de souffrances; et pour excuser ces bassesses, ils ont soutenu que son corps étoit imaginaire, et par conséquent que sa nativité et ensuite sa passion et sa mort étoient fantastiques et illusoires en un mot, à les en croire, toute sa vie n'étoit qu'une représentation sans réalité. Sans doute les vérités de Jésus ont été un scandale à ces hérétiques, puisqu'ils ont fait un fantôme du sujet de notre espérance : ils ont voulu être trop sages, et par ce moyen ont détruit selon leur pouvoir le déshonneur nécessaire de notre foi: Necessarium dedecus fidei, dit le grave Tertullien1.

Mais les vrais serviteurs de Jésus-Christ n'ont point eu de ces délicatesses, ni de ces vaines complaisances. Ils se sont bien gardés de croire les choses à demi, ni de rougir de l'ignominie de leur Maître ils n'ont point craint de faire éclater par toute la terre le scandale et la folie de la croix dans toute leur étendue : ils ont prédit aux Gentils que cette folie détruiroit leur sagesse. Et quant à ces grandes absurdités que les païens trouvoient dans notre doctrine, nos Pères ont répondu que les vérités évangéliques leur sembloient d'autant plus croyables, que selon la philosophie humaine elles paroissoient tout à fait impossibles : Prorsùs credibile est, quia ineptum est;.... certum est, quia impossibile est, disoit autrefois Tertullien. Ainsi notre foi se plaît d'étourdir la sagesse humaine par des propositions hardies, où elle ne peut rien comprendre.

Depuis ce temps-là, mes Frères, la folie est devenue une qualité honorable; et l'apôtre saint Paul a publié de la part de Dieu cet édit que j'ai récité dans mon texte : « Si quelqu'un veut être sage, il faut nécessairement qu'il soit fou :» Stultus fiat, ut sit sapiens. C'est pourquoi ne vous étonnez pas si ayant entrepris aujourd'hui le panégyrique de saint François, je ne fais autre chose que vous montrer sa folie, beaucoup plus estimable que toute la prudence du monde. Mais d'autant que la première et la plus grande folie, c'est-à-dire la plus haute et la plus divine sagesse que l'Evangile De carne Chr., n. 5.

-

- 2 Ibid.

« AnteriorContinuar »