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vices sans violer l'autorité légitime. Mais le nom de chef de parti les a trop flattés (a): poussés d'un vain désir de paroître, leur éloquence s'est débordée en invectives sanglantes; elle n'a que du fiel et de la colère. Ils n'ont pas été vigoureux, mais fiers, emportés et méprisans: de là vient qu'ils ont fait le schisme, et n'ont pas apporté la réformation. Il falloit pour un tel dessein le courage et l'humilité de Bernard. Il étoit vénérable à tous, à cause qu'on le voyoit et libre et modeste, également ferme et respectueux; c'est ce qui lui donnoit une si grande autorité dans le monde. S'élevoit-il quelque schisme ou quelque doctrine suspecte, les évêques déféroient tout à l'autorité de Bernard. Y avoit-il des querelles parmi les princes, Bernard étoit aussitôt le médiateur.

Puissante ville de Metz, son entremise t'a été autrefois extrêmement favorable. O belle et noble cité! il y a longtemps que tu as été enviée. Ta situation trop importante t'a presque toujours exposée en proie souvent tu as été réduite à la dernière extrémité de misères; mais Dieu de temps en temps t'a envoyé de bons protecteurs. Les princes tes voisins avoient conjuré ta ruine; tes bons citoyens avoient été défaits dans une grande bataille; tes ennemis étoient enflés de leur bon succès, et toi enflammée du désir de vengeance: tout se préparoit à une guerre cruelle, si le bon Hillin, archevêque de Trèves, n'eût cherché un charitable pacificateur. Ce fut le pieux Bernard, qui épuisé de forces par ses longues austérités et ses travaux sans nombre, attendoit la dernière heure à Clairvaux. Mais quelle foiblesse eùt été capable de ralentir l'ardeur de sa charité? Il surmonte la maladie pour se rendre promptement dans tes murs; mais il ne pouvoit surmonter l'animosité des esprits extraordinairement échauffés. Chacun couroit aux armes avec une fureur incroyable les armées étoient en vue et prêtes de donner. La charité, qui ne se désespère jamais, presse le vénérable Bernard: il parle, il prie, il conjure qu'on épargne le sang chrétien et le prix du sang de Jésus. Ces ames de fer se laissent fléchir; les ennemis deviennent des frères; tous détestent leur aveugle fureur, et d'un commun accord ils vénèrent l'auteur d'un si grand miracle.

(a) Var. Mais ils se sont trop laissé flatter.

O ville si fidèle et si bonne, ne veux-tu pas honorer ton libérateur? Mais, fidèles, quels honneurs lui pourrons-nous rendre? Certes on ne sauroit honorer les Saints, sinon en imitant leurs vertus sans cela nos louanges leur sont à charge, et nous sont pernicieuses à nous-mêmes. Fidèles, que pensons-nous faire, quand nous louons les vertus du grand saint Bernard? O Dieu de nos cœurs, quelle indignité! Cet innocent a fait une pénitence si longue; et nous criminels, nous ne voulons pas la faire ! La pénitence autrefois tenoit un grand rang dans l'Eglise : je ne sais dans quel coin du monde elle s'est maintenant retirée. Autrefois ceux qui scandalisoient l'Eglise par leurs désordres étoient tenus comme des gentils et des publicains : maintenant tout le monde leur applaudit. On ne les eût autrefois reçus à la communion des mystères qu'après une longue satisfaction et une grande épreuve de pénitence: maintenant ils entrent jusqu'au sanctuaire ! Autrefois ceux qui par des péchés mortels avoient foulé aux pieds le sang de Jésus, n'osoient même regarder les autels où on le distribue aux fidèles, si auparavant ils ne s'étoient purgés par des larmes, par des jeunes et par des aumônes. Ils croyoient être obligés de venger eux-mêmes leur ingratitude, de peur que Dieu ne la vengeât dans son implacable fureur : après avoir pris des plaisirs illicites, ils ne pensoient pas pouvoir obtenir miséricorde, s'ils ne se privoient de ceux qui nous sont permis

Ainsi vivoient nos pères dans le temps où la piété fleurissoit dans l'Eglise de Dieu. Pensons-nous que les flammes de l'enfer aient perdu depuis ce temps-là leur intolérable ardeur, à cause que notre froideur a contraint l'Eglise de relâcher l'ancienne rigueur de sa discipline, à cause que la vigueur ecclésiastique est énervée pensons-nous que ce Dieu jaloux, qui punit si rudement les péchés, en soit pour cela moins sévère, ou qu'il nous soit plus doux, parce que les iniquités se sont augmentées? Vous voyez combien ce sentiment seroit ridicule. Toutefois, comme si nous en étions persuadés, au lieu de songer à la pénitence, nous ne songeons à autre chose qu'à nous enrichir. C'est déjà une dangereuse pensée; car l'Apôtre avertit Timothée « que le désir des richesses est la racine de tous les maux : » Radix omnium malo

rum est cupiditas:» encore songeons-nous à nous enrichir par des voies injustes, par des rapines, par des usures, par des voleries. Nous n'avons pas un cœur de chrétiens, parce qu'il est dur à la misère des pauvres. Notre charité est languissante, et nos haines sont irréconciliables. C'est en vain que la justice divine nous frappe et nous menace encore de plusieurs malheurs : nous ne laissons pas de nous donner toujours tout entiers aux folles joies de ce monde (a). Le seul mot de mortification nous fait horreur nous aimons la débauche, la bonne chère, la vie commode et voluptueuse; et après cela nous voulons encore être appelés chrétiens (b)! Nous n'appréhendons pas cette terrible sentence du Fils de Dieu « Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez!» et cette autre : « Le ris est mêlé de douleur, et les pleurs suivent la joie de bien près ; » et celle-ci : « Ils passent leur vie dans les biens, et en un moment ils descendront dans les enfers *. >>

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Retournons donc, fidèles, retournons à Dieu de tout notre cœur. La pénitence n'est amère que pour un temps; après, toute son amertume se tourne en une incroyable douceur. Elle mortifie les appétits déréglés, elle fait goûter les plaisirs célestes, elle donne une bonne espérance, elle ouvre les portes du ciel. On attend la miséricorde divine avec une grande consolation, quand on tâche de tout son pouvoir d'apaiser la justice par la pénitence. O pieux Bernard, ô saint pénitent, impétrez-nous par vos saintes intercessions les larmes de la pénitence, qui vous donnoient une si sainte joie; et afin qu'elle soit renouvelée dans le monde, priez Dieu qu'il enflamme les prédicateurs de l'esprit apostolique qui vous animoit. Nous vous demandons encore votre secours et votre médiation au milieu des troubles qui nous agitent. O vous, qui avez tant de fois désarmé les princes qui se préparoient à la guerre, vous voyez que depuis tant d'années tous les fleuves sont teints et que toutes les campagnes fument de toutes parts du sang chrétien! Les chrétiens, qui devroient être I Timoth., VI, 10..- 2 Luc., VI, 25. 3 Prov., XIV, 13. Job, XXI, 13. (a) Var. De courir après les plaisirs. (b) Nous nous impatientons si nous n'avons pas tous nos plaisirs et toutes nos aises, comme s'il nous étoit possible d'être heureux en ce monde et en l'autre.

TOM. XII.

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des enfans de paix, sont devenus des loups insatiables de sang. La fraternité chrétienne est rompue; et ce qui est de plus pitoyable, c'est que la licence des armes ne cesse d'enrichir l'enfer. Priez Dieu qu'il nous donne la paix, qu'il donne le repos à cette ville que vous avez autrefois chérie; ou que s'il est écrit dans le livre de ses décrets éternels que nous ne puissions voir la paix en ce monde, qu'il nous la donne à la fin dans le ciel par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Amen.

PREMIER PANÉGYRIQUE

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SAINT GORGON (a).

Omne quod natum est ex Deo vincit mundum; et hæc est victoria que vincit mundum, fides nostra.

Tout ce qui est né de Dieu surmonte le monde; et la victoire qui surmonte le monde, c'est notre foi. I Joan., v, 4.

Il n'est point de temps ni d'heure plus propre à faire l'éloge des saints martyrs, que celui du sacrifice adorable pour lequel vous êtes ici assemblés. C'est, mes Frères, de ce sacrifice que les martyrs ont tiré toute leur force, et c'est aussi dans ce sacrifice qu'ils ont pris leur instruction. C'est la nourriture céleste que l'on nous (a) Prêché à Metz, vers 1654.

Le lecteur trouvera la preuve certaine de cette époque dans les phrases semblables à celles-ci : « Son pauvre corps écorché, à qui les onguents les plus doux, les plus innocents, auroient causé d'insupportables douleurs, est frotté de sel et de vinaigre. » Et plus loin: « Au milieu des exhalai ons infectes qui sortoient de la graisse de son corps rôti, Gorgon ne cessoit de louer Jésus Christ. » Et encore: << En vain sa langue... a-t-elle voulu par ses tromperies trancher comme un rasoir bien affilé.... Que de peines on prend pour aiguiser un rasoir, que de soins pour l'affiler, combien de fois le faut-il passer sur la pierre! Ce n'est au reste que pour raser du poil, c'est-à-dire un excrément inutile. » Il est bon de ne pas oublier ces phrases on verra que Bossuet les a affoiblies, et même supprimées quelques années plus tard.

Nous n'avons que le premier point du panégyrique; le second manque.

donne à ces saints autels, qui les a affermis et fortifiés contre toutes les terreurs du monde; et le sang que l'on y reçoit, les a animés à verser le leur pour la gloire de l'Evangile. Et n'est-ce pas dans ce sacrifice que voyant Jésus-Christ s'offrir à son Père, ils ont appris à s'offrir eux-mêmes en Jésus-Christ et par JésusChrist? Et cette innocente victime, qui s'immole tous les jours pour nous, leur a inspiré le dessein de s'immoler pour l'amour de lui. Saint Ambroise après avoir découvert les corps des martyrs de Milan, les mit dans les mêmes autels sur lesquels il célébroit le saint sacrifice; et il en rend cette raison à son peuple : Succedant, dit ce grand évêque avec son éloquence ordinaire', succedant victimæ triumphales in locum ubi Christus hostia est:

Il est juste, il est raisonnable que ces triomphantes victimes soient placées dans le même lieu où Jésus-Christ est immolé tous les jours; » et si ce sont des victimes, on ne peut les mettre que sur les autels.

Ne croyez donc pas, chrétiens, que l'action du sacrifice soit interrompue par les discours que j'ai à vous faire du martyre de saint Gorgon. Vous quittez un sacrifice pour un sacrifice : c'est un sacrifice mystique que la foi nous fait voir sur ces saints autels; et c'est aussi un sacrifice que je dois vous représenter en cette chaire. Jésus-Christ est immolé dans l'un et dans l'autre : là il est mystiquement immolé sous les espèces sanctifiées; et ici il sera immolé en la personne d'un de ses martyrs : là il renouvelle le souvenir de sa passion douloureuse; ici il accomplit en ses membres ce qui manquoit à sa passion, comme parle le divin Apôtre. L'un et l'autre de ces sacrifices se fait par l'opération de l'Esprit de Dieu; et pour profiter de l'un et de l'autre, nous avons besoin de sa grace, que je lui demande humblement par les prières de la sainte Vierge. Ave.

Pour entrer d'abord en matière, je suppose que vous savez que nous sommes enrôlés par le saint baptême dans une milice spirituelle, en laquelle nous avons le monde à combattre. Cette vérité est connue; mais il importe que vous remarquiez que cette admi1 Epist. XXII, n. 13. Coloss., 1, 24.

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