Imágenes de página
PDF
ePub

grand feu. Ecoutez comme il crie : « Mes bien-aimés, nous sommes dès à présent enfans de Dieu; mais ce que nous serons un jour ne paroît pas encore: » Dilectissimi, nunc filii Dei sumus, et nondùm apparuit quid erimus 1. De quoi le consolerez-vous? Sera-ce par les visions dont vous le gratifierez? Mais c'est ce qui augmente l'ardeur de ses désirs. Il voit couler ce fleuve qui réjouit la cité de Dieu, la Jérusalem céleste. Que sert de lui montrer la fontaine, pour ne lui donner qu'une goutte à boire? Ce rayon lui fait désirer le grand jour, et cette goutte que vous laissez tomber sur lui lui fait avoir soif de la source. Ecoutez comme il crie dans l'Apocalypse: Et Spiritus et Sponsa dicunt, Veni : « L'Esprit et l'Epouse disent, Venez. » Que lui répond le divin Epoux? « Oui, je viens bientôt » Etiam venio citò 2. « O instant trop long! » O modicum longum 3 ! Il redouble ses gémissemens et ses cris : « Venez, Seigneur Jésus : » Veni, Domine Jesu. O divin Sauveur, quel supplice! Votre amour est trop sévère pour lui. Je sais que dans la croix que vous lui donnez, « il y a une douleur qui console : » Ipse consolatur dolor ; et que le calice de votre passion que vous lui faites boire à longs traits, tout amer qu'il est à nos sens, a ses douceurs pour l'esprit, quand une foi vive l'a persuadé des maximes de l'Evangile (a). Mais j'ose dire, ô divin Sauveur, que cette manière douce et affectueuse avec laquelle vous avez traité saint Jean votre bien-aimé disciple, et ces caresses mystérieuses dont il vous a plu l'honorer, exigeoient en quelque sorte de vous quelque marque plus sensible de la tendresse de votre cœur, et que vous lui deviez des consolations qui fussent plus approchantes de cette familiarité bienheureuse que vous avez voulu lui permettre. C'est aussi ce que nous verrons au Calvaire dans le beau présent qu'il lui fait, et dans le dernier adieu qu'il lui dit.

[blocks in formation]

(a) Var:: Jusqu'ici, mes Frères, l'amour de mon Sauveur pour saint Jean semble n'avoir rien eu que de fort sévère; et il paroit tenir davantage des sentimens d'un père qui nourrit son fils dans une conduite rigoureuse, pour tenir ses passions en bride, que de la tendresse d'un ami qui s'empresse pour témoigner une affection cordiale. Ce n'est pas que je veuille dire que la croix qu'il lui a donnée, tout horrible qu'elle vous paroît, ne soit pleine de consolation.

SECOND POINT.

Certainement, chrétiens, l'amitié ne peut jamais être véritable, qu'elle ne se montre bientôt toute entière; et elle n'a jamais plus de peine que lorsqu'elle se voit cachée. Toutefois il faut avouer que dans le temps qu'il faut dire adieu, la douleur que la séparation lui fait ressentir, lui donne je ne sais quoi de si vif et de si pressant pour se faire voir dans son naturel, que jamais elle ne se découvre avec plus de force. C'est pourquoi les derniers adieux que l'on dit aux personnes que l'on a aimées saisissent de pitié les cœurs les plus durs : chacun tâche dans ces rencontres de laisser des marques de son souvenir. Nous voyons en effet tous les testamens remplis de clauses de cette nature: comme si l'amour qui ne se nourrit ordinairement que par la présence, voyant approcher le moment fatal de la dernière séparation, et craignant par là sa perte totale en même temps qu'il se voit privé de la conversation et de la vue, ramassoit tout ce qui lui reste de force pour vivre et durer du moins dans le souvenir.

Ne croyez pas que notre Sauveur ait oublié son amour en cette occasion. «Ayant aimé les siens, il les a aimés jusqu'à la fin ' ; » et puisqu'il ne meurt que par son amour, il n'est jamais plus puissant qu'à sa mort. C'est aussi sans doute pour cette raison qu'il amène au pied de sa croix les deux personnes qu'il chérit le plus, c'est-à-dire Marie sa divine Mère, et Jean son fidèle et son bon ami, qui remis de ses premières terreurs, vient recueillir les derniers soupirs de son Maître mourant pour notre salut.

Car je vous demande, mes Frères, pourquoi appeler la trèssainte Vierge à ce spectacle d'inhumanité? Est-ce pour lui percer le cœur et lui déchirer les entrailles? Faut-il que ses yeux maternels soient frappés de ce triste objet, et qu'elle voie couler devant elle par tant de cruelles blessures un sang qui lui est si cher? Pourquoi le plus chéri de tous ses disciples est-il le seul témoin de ses souffrances? Avec quels yeux verra-t-il cette poitrine sacrée sur laquelle il se reposoit il y a deux jours, pousser les derniers sanglots parmi des douleurs infinies? Quel plaisir au Sauveur, 1 Joan., XIII, 1.

de contempler ce favori bien-aimé saisi par la vue de tant de tourmens, et par la mémoire encore toute fraîche de tant de caresses récentes mourir de langueur au pied de sa croix? S'il l'aime si chèrement, que ne lui épargne-t-il cette affliction? Et n'y a-t-il pas de la dureté de lui refuser cette grace? Chrétiens, ne le croyez pas, et comprenez le dessein du Sauveur des ames. Il faut que Marie et saint Jean assistent à la mort de Jésus, pour y recevoir ensemble avec la tendresse du dernier adieu les présens qu'il a à leur faire, afin de signaler en expirant l'excès de son affection.

Mais que leur donnera-t-il, nu, dépouillé comme il est ? Les soldats avares et impitoyables ont partagé jusqu'à ses habits et joué sa tunique mystérieuse : il n'a pas de quoi se faire enterrer. Son corps même n'est plus à lui: il est la victime de tous les pécheurs; il n'y a goutte de son sang qui ne soit due à la justice de Dieu son Père. Pauvre esclave, qui n'a plus rien en son pouvoir dont il puisse disposer par son testament! Il a perdu jusqu'à son Père, auquel il s'est glorifié tant de fois d'être si étroitement uni. C'est son Dieu, ce n'est plus son Père. Au lieu de dire comme auparavant : « Tout ce qui est à vous est à moi, » il ne lui demande plus qu'un regard, Respice in me; et il ne peut l'obtenir, et il s'en voit abandonné: Quare me dereliquisti 1? Ainsi, de quelque côté qu'il tourne les yeux, il ne voit plus rien qui lui appartienne. Je me trompe, il voit Marie et saint Jean: tout le reste des siens l'out abandonné, et ils sont là pour lui dire : Nous sommes à vous. Voilà tout le bien qui lui reste et dont il peut disposer par son testament. Mais c'est à eux qu'il faut donner, et non pas les donner eux-mêmes. O amour ingénieux de mon Maître ! Il faut leur donner, il faut les donner. Il faut donner Marie au disciple, et le disciple à la divine Marie. Ego dilecto meo, dit-il: mon Maître, je suis à vous, usez de moi comme il vous plaira. Voyez la suite: Et ad me conversio ejus : « Fils, dit-il, voilà votre Mère. » () Jean, je vous donne Marie, et je vous donne en même temps à Marie. Marie est à saint Jean, saint Jean à Marie. Vous devez vous rendre heureux l'un et l'autre par une mutuelle possession. Ce ne vous est pas un moindre avantage d'être donnés que de recevoir, 1 Matth., XXVII, 46. — 2 Cant, vii, 10.

et je ne vous enrichis pas plus par le don que je vous fais que par celui que je fais de vous.

Mais, mes Frères, entrons plus profondément dans cet admirable mystère; recherchons par les Ecritures quelle est cette seconde naissance qui fait saint Jean le fils de Marie, quelle est cette nouvelle fécondité qui rend Marie Mère de saint Jean; et développons les secrets d'une belle théologie, qui mettra cette vérité dans son jour. Saint Paul parlant de notre Sauveur après l'infamie de sa mort et la gloire de sa résurrection, en a dit ces belles paroles : « Nons ne connoissons plus maintenant personne selon la chair; et si nous avons connu autrefois Jésus-Christ selon la chair, maintenant qu'il est mort et ressuscité, nous ne le connoissons plus de la sorte. » Que veut dire cette parole, et quel est le sens de l'Apôtre? Veut-il dire que le Fils de Dieu s'est dépouillé en mourant de sa chair humaine, et qu'il ne l'a point reprise en sa glorieuse résurrection? Non, mes Frères, à Dieu ne plaise ! Il faut trouver un autre sens à cette belle parole du divin Apôtre, qui nous ouvre l'intelligence de ses sentimens. Ne le cherchez pas, le voici : il veut dire que le Fils de Dieu dans la gloire de sa résurrection a bien la vérité de la chair, mais qu'il n'en a plus les infirmités; et pour toucher encore plus le fond de cette excellente doctrine, entendons que l'Homme-Dieu, Jésus-Christ, a eu deux naissances et deux vies, qui sont infiniment différentes.

La première de ces naissances l'a tiré du sein de Marie, la seconde l'a fait sortir du sein du tombeau. En la première il est né de l'Esprit de Dieu, mais par une Mère mortelle, et de là il en a tiré la mortalité. Mais en sa seconde naissance, nul n'y a part que son Père céleste; c'est pourquoi il n'y a plus rien que de glorieux. Il étoit de sa providence d'accommoder ses sentimens à ces deux manières de vie si contraires : de là vient que dans la première il n'a pas jugé indignes de lui les sentimens de foiblesse humaine; mais dans sa bienheureuse résurrection il n'y a plus rien que de grand, et tous ses sentimens sont d'un Dieu qui répand sur l'humanité qu'il a prise tout ce que la divinité a de plus auguste. Jésus, en conversant parmi les mortels, a eu faim, a eu soif: il 1 II Cor., v, 16.

a été quelquefois saisi par la crainte, touché par la douleur : la pitié a serré son cœur, elle a ému et altéré son sang, elle lui a fait répandre des larmes. Je ne m'en étonne pas, chrétiens : c'étoient les jours de son humiliation, qu'il devoit passer dans l'infirmité. Mais durant les jours de sa gloire et de son immortalité, après sa seconde naissance par laquelle son Père l'a ressuscité pour le faire asseoir à sa droite, les infirmités sont bannies ; et la toute-puissance divine déployant sur lui sa vertu, a dissipé toutes ses foiblesses. Il commence à agir tout à fait en Dieu : la manière en est incompréhensible; et tout ce qu'il est permis aux mortels de dire d'un mystère si haut, c'est qu'il n'y faut plus rien concevoir de ce que le sens humain peut imaginer; si bien qu'il ne nous reste plus que de nous écrier hardiment avec l'incomparable Docteur des Gentils, que si nous avons connu Jésus-Christ selon sa naissance mortelle dans les sentimens de la chair, nunc jam non novimus: maintenant qu'il est glorieux et ressuscité, nous ne le connoissons plus de la sorte, et tout ce que nous y concevons est divin.

Selon cette doctrine du divin Apôtre, je ne craindrai pas d'assurer que Jésus-Christ ressuscité regarde Marie d'une autre manière, que ne faisoit pas Jésus-Christ mortel. Car, mes Frères, sa mortalité l'a fait naître dans la dépendance de celle qui lui a donné la vie: « Il lui étoit soumis et obéissant1, » dit l'Evangéliste. Tout Dieu qu'étoit Jésus, l'amour qu'il avoit pour sa sainte Mère étoit mêlé sans doute de cette crainte filiale et respectueuse que les enfans bien nés ne perdent jamais. Il étoit accompagné de toutes ces douces émotions, de toutes ces inquiétudes aimables, qu'une affection sincère imprime toujours dans les cœurs des hommes mortels : tout cela étoit bienséant durant les jours de foiblesse. Mais enfin voilà Jésus en la croix le temps de mortalité va passer. Il va commencer désormais à aimer Marie d'une autre manière : son amour ne sera pas moins ardent; et tant que Jésus-Christ sera homme, il n'oubliera jamais cette Vierge Mère. Mais après sa bienheureuse résurrection, il faut bien qu'il prenne un amour convenable à l'état de sa gloire.

1 Luc., II, 51.

« AnteriorContinuar »