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quemment un ancien, « L'on t'a vue, ô Eglise catholique, affoiblie par ta fécondité, diminuée par ton accroissement et presque abattue par tes propres forces : » Factaque es, Ecclesia, profectu tuæ fœcunditatis infirmior, atque accessu relabens et quasi viribus minùs valida'. D'où vient cet abattement des courages? C'est qu'ils ne sont plus exercés par les persécutions. Le monde est entré dans l'Eglise (a), on a voulu joindre Jésus-Christ avec Bélial, et de cet indigne mélange quelle race enfin nous est née? Une race mêlée et corrompue, des demi-chrétiens, des chrétiens mondains et séculiers, une piété bâtarde et falsifiée, qui est toute dans les discours et dans un extérieur contrefait (b).

O piété à la mode, que je me moque de tes vanteries, et des discours étudiés que tu débites à ton aise pendant que le monde te rit! Viens que je te mette à l'épreuve. Voici une tempête qui s'élève, voici une perte de biens, une insulte, une contrariété, une maladie : tu te laisses aller aux murmures, pauvre piété déconcertée; tu ne peux plus te soutenir, piété sans force et sans fondement (c). Vas, tu n'étois qu'un vain simulacre de la piété chrétienne; tu n'étois qu'un faux or qui brille au soleil, mais qui ne dure pas dans le feu, mais qui s'évanouit dans le creuset. La vertu chrétienne n'est pas faite de la sorte: Aruit tanquàm testa virtus mea. Elle ressemble à la terre d'argile, qui est toujours molle et sans consistance, jusqu'à ce que le feu la cuise et la rende ferme : Aruit tanquàm testa virtus mea. Et s'il est ainsi, chrétiens; si les souffrances sont nécessaires pour soutenir l'esprit du christianisme, Seigneur, rendez-nous les tyrans, rendez-nous les Domitiens et les Nérons. Mais modérons notre zèle, et ne faisons point de vœux indiscrets: n'envions pas à nos princes le bonheur d'être chrétiens, et ne demandons pas des persécutions que notre lâcheté ne pourroit souffrir. Sans ramener les roues et les chevalets sur lesquels on étendoit nos ancêtres, la matière ne manquera pas à la patience. La nature a assez d'infirmités, le monde a assez d'injustice, sa faveur assez d'inconstance; il y a assez de bizarrerie dans le juge2 Psal. XXI, 16.

1 Salvian., adv. Avar., lib. I, p. 218.
(a) Var. Le monde s'est uni avec l'Eglise.

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(b) Dans les discours et les gri

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ment des hommes, et assez d'inégalité daus leurs humeurs contrariantes. Apprenons à goûter ces amertumes; et quelque sorte d'afflictions que Dieu nous envoie, profitons de ces occasions précieuses et ménageons-en avec soin tous les momens.

Le ferons-nous, mes Frères, le ferons-nous? Nous réjouironsnous dans les opprobres ? Nous plairons-nous dans les contrariétés? Ah! nous sommes trop délicats, et notre courage est trop mou. Nous aimerons toujours les plaisirs, nous ne pouvons durer un moment avec Jésus-Christ sur la croix. Mais, mes Frères, s'il est ainsi, pourquoi baisons-nous les os des martyrs? pourquoi célébrons-nous leur naissance? pourquoi écoutons-nous leurs éloges? Quoi! serons-nous seulement spectateurs oisifs? Quoi! verronsnous le grand saint Victor boire à longs traits ce calice amer de sa passion, que le Fils de Dieu lui a mis en main; et nous croirons que cet exemple ne nous regarde point, et nous n'en avalerons pas une seule goutte, comme si nous n'étions pas enfans de la croix? Ah! mes Frères, gardez-vous d'une si grande insensibilité. Montrez que vous croyez ces paroles: « Bienheureux ceux qui souffrent persécution1; » et ces autres non moins convaincantes: « Celui qui ne se hait pas soi-même, et qui ne porte pas sa croix tous les jours, n'est pas digne de moi. »

Ah! nous les croyons, ô Sauveur Jésus : c'est vous qui les avez proférées. Mais si vous les croyez, nous dit-il, prouvez-le-moi par vos œuvres. Ce sont les souffrances, ce sont les combats, c'est la peine, c'est le grand travail, qui justifient la sincérité de la foi. Seigneur, tout ce que vous exigez de nous est l'équité même : donneznous la grace de l'accomplir. Car en vain entreprendrions-nous par nos propres forces de l'exécuter: bientôt nos efforts impuissans ne nous laisseroient que la confusion de notre superbe témérité. Soutenez donc, ô Dieu tout-puissant, notre foiblesse par votre Esprit-Saint! Faites-nous des chrétiens véritables, c'est-à-dire des chrétiens amis de la croix : accordez-nous cette grace par les exemples et par les prières de Victor votre serviteur, dont nous honorons la mémoire, afin que l'imitation de sa patience nous mène à la participation de sa couronne. Amen.

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PRÉCIS D'UN PANÉGYRIQUE

POUR

LA FÊTE DE SAINT JACQUES (a).

Dic ut sedeant hi duo filii mei, unus ad dexteram tuam, et unus ad sinistram in regno tuo.

Dites que mes deux fils soient assis dans votre royaume, l'un à votre droite, et l'autre à votre gauche. Matth., xx, 21.

Nous voyons trois choses dans l'Evangile : premièrement leur ambition réprimée: Nescitis quid petatis1: « Vous ne savez ce que vous demandez; » secondement leur ignorance instruite : Potestis bibere calicem? « Pouvez-vous boire le calice que je dois boire ? » troisièmement leur fidélité prophétisée : Calicem quidem meum bibetis 2: « Vous boirez, il est vrai, mon calice. »>

PREMIER POINT.

Il est assez ordinaire aux hommes de ne savoir ce qu'ils demandent, parce qu'ils ont des désirs qui sont des désirs de malades, inspirés par la fièvre, c'est-à-dire par les passions; et d'autres ont des désirs d'enfans, inspirés par l'imprudence. Il semble que celui de ces deux apôtres n'est pas de cette nature: ils veulent être auprès de Jésus-Christ, compagnons de sa gloire et de son triomphe; cela est fort désirable, l'ambition n'est pas excessive. Il veut que nous régnions avec lui; et lui, qui nous promet de nous placer jusque dans son trône, ne doit pas trouver mauvais que l'on souhaite d'être à ses côtés: néanmoins il leur répond: « Vous ne savez ce que vous demandez: » Nescitis quid petatis.

Pour découvrir leur erreur, il faut savoir que les hommes peuvent se tromper doublement : ou en désirant comme bien ce qui ne l'est pas, ou en désirant un bien véritable, sans considérer assez en quoi il consiste, ni les moyens pour y arriver. L'erreur 1 Matth., XX, 22.

2 Ibid., 23.

(a) Ecrit dans la troisième époque, vers 1684: telle est du moins notre opinion.

des apôtres ne gît pas dans la première de ces fausses idées : ce qu'ils désirent est un fort grand bien, puisqu'ils souhaitent d'être assis auprès de la personne du Sauveur des ames mais ils le désirent avec un empressement trop humain; et c'est là la nature de leur erreur, causée par l'ambition qui les anime. Ils s'étoient imaginé Jésus-Christ dans un trône, et ils souhaitoient d'être à ses côtés, non pas pour avoir le bonheur d'être avec lui, mais pour se montrer aux autres dans cet état de magnificence mondaine tant il est vrai qu'on peut chercher Jésus-Christ même avec une intention mauvaise, pour paroître devant les hommes, afin qu'il fasse notre fortune. Il veut qu'on l'aime nu et dépouillé, pauvre et infirme, et non-seulement glorieux et magnifique. Les apôtres avoient tout quitté pour lui; et néanmoins ils ne le cherchoient pas comme il faut, parce qu'ils ne le cherchoient pas seul. Voilà leur erreur découverte, et leur ambition réprimée : voyons maintenant dans le second point leur ignorance instruite.

:

SECOND POINT.

Il semble quelquefois que le Fils de Dieu ne réponde pas à propos aux questions qu'on lui fait. Ses apôtres disputent entre eux pour savoir quel est le plus grand: Quis videretur esse major'; et Jésus-Christ leur présente un enfant, et leur dit : « Si vous ne devenez comme de petits enfans, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux : » Nisi efficiamini sicut parvuli, non intrabitis in regnum cœlorum 2. Si donc le divin Sauveur en quelques occasions ne satisfait pas directement aux demandes qui lui sont faites, il nous avertit alors de chercher la raison dans le fond de la réponse. Ainsi en ce lieu on lui parle de gloire, et il répond en représentant l'ignominie qu'il doit souffrir : c'est qu'il va à la source de l'erreur. Les deux disciples s'étoient figuré qu'à cause qu'ils touchoient de plus près au Fils de Dieu par l'alliance du sang, ils devoient aussi avoir les premières places dans son royaume : c'est pourquoi, pour les désabuser, il les rappelle à sa croix: Potestis bibere calicem ? Et pour bien entendre cette réponse, il faut savoir qu'au lieu que les rois de la terre 1 Luc., XXII, 24. Matth., XVIII, 4.

tirent le titre de leur royauté de leur origine et de leur naissance, Jésus-Christ tire le sien de sa mort. Sa naissance est royale, il est le fils et l'héritier de David; et néanmoins il ne veut être roi que par sa mort. Le titre de sa royauté est sur sa croix : il ne confesse qu'il est roi qu'étant près de mourir. C'est donc comme s'il disoit à ses disciples: Ne prétendez pas aux premiers honneurs, parce que vous me touchez par la naissance: voyez si vous avez le courage de m'approcher par la mort. Celui qui touche le plus à ma croix, c'est celui à qui je donne la première place, non pour le sang qu'il a reçu dans sa naissance, mais pour celui qu'il répandra pour moi dans sa mort: voilà le bonheur des chrétiens. S'ils ne peuvent toucher Jésus-Christ par la naissance, ils le peuvent par la mort, et c'est là la gloire qu'ils doivent envier.

TROISIÈME POINT.

Les disciples acceptent ce parti: « Nous pouvons, disent-ils, boire votre calice: » Possumus1; et Jésus-Christ leur prédit qu'ils le boiront. Leur promesse n'est pas téméraire : mais admirons la dispensation de la grace dans le martyre de ces deux frères. Ils demandoient deux places singulières dans la gloire ; il leur donne deux places singulières dans sa croix. Quant à la gloire, « ce n'est pas à moi à vous la donner : » Non est meum dare vobis, je ne suis distributeur que des croix, je ne puis vous donner que le calice de ma passion; mais dans l'ordre des souffrances, comme vous êtes mes favoris, vous aurez deux places singulières. L'un mourra le premier, et l'autre le dernier de tous mes apôtres; l'un souffrira plus de violence, mais la persécution plus lente de l'autre éprouvera plus longtemps sa persévérance. Jacques a l'avantage, en ce qu'il boit le calice jusqu'à la dernière goutte. Jean le porte sur le bord des lèvres : prêt à boire on le lui ravit pour le faire souffrir plus longtemps.

Apprenons par cet exemple à boire le calice de notre Sauveur, selon qu'il lui plaît de le préparer. Il nous arrive une affliction, c'est le calice que Dieu nous présente : il est amer, mais il est salutaire. On nous fait une injure ne regardons pas celui qui 1 Matth., xx, 22.

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