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menti à son Maître; mais attaqué par une servante, il le renie avec jurement. Qui est cause de cette chute, sinon sa témérité? Et qui l'a rendu téméraire, sinon cet amour naturel qu'il sentoit pour le Fils de Dieu ? Il s'imaginoit qu'il étoit ferme, parce qu'il expérimentoit qu'il étoit ardent; et il ne considéroit pas que la fermeté vient de la grace, et non pas des efforts de la nature : tellement qu'étant tout ensemble et foible et présomptueux, déçu par son propre amour, il promet beaucoup; et surpris par sa foiblesse, il n'accomplit rien : au contraire, il renie son Maître; et pendant que la lâcheté des autres fait qu'ils évitent la honte de le renier par celle de leur fuite, le courage foible de saint Pierre fait qu'il le suit pour le lui faire quitter plus honteusement de sorte qu'il semble que son amour ne l'engage à un plus grand combat que pour le faire tomber d'une manière plus ignominieuse.

Ainsi se séduisent eux-mêmes ceux qui n'aiment pas JésusChrist selon les sentimens qu'il demande, c'est-à-dire qui n'aiment pas sa croix, qui attendent de lui des prospérités temporelles, qui le louent quand ils sont contens, qui l'abandonnent sur la croix et dans les douleurs. Leur amour ne vient pas de la charité qui ne cherche que Dieu, mais d'une complaisance qu'ils ont pour eux-mêmes : c'est pourquoi ils sont téméraires, parce que la nature est toujours orgueilleuse, comme la charité est toujours modeste. Voilà les causes de la langueur et ensuite de la chute de notre apôtre mais voyons son amour épuré et fortifié par les larmes de la pénitence.

SECOND POINT.

Saint Augustin nous apprend qu'il est utile aux superbes de tomber, parce que leur chute leur ouvre les yeux, qu'ils avoient aveuglés par leur amour-propre1. C'est ce que nous voyons en la personne de notre apôtre. Il a vu que son amour l'avoit trompé. Il se figuroit qu'il étoit ferme, parce qu'il se sentoit ardent, et il se fioit sur cette ardeur: mais ayant reconnu par expérience que cette ardeur n'étoit pas constante tant que la nature s'en mêloit, 1 De Civit. Dei, lib. XIV, cap. XIII.

il a purifié son cœur pour n'y laisser brûler que la charité toute seule. Et la raison en est évidente. Car de même que dans la comparaison que j'ai déjà faite d'un homme dispos, qui court dans la même carrière avec un autre pesant et tardif, l'expérience ayant appris au premier que le second l'empêche et le fait tomber, l'oblige aussi à rompre les liens qui l'attachoient avec lui ainsi l'apôtre saint Pierre ayant reconnu que le mélange des sentimens naturels rendoit sa charité moins active, et enfin en avoit éteint toute la lumière, il a séparé bien loin toutes ces affections qui venoient du fond de la nature, pour laisser aller la charité toute seule. Que me sert, disoit-il en pleurant amèrement sa chute honteuse, que me sert cette ardeur indiscrète à laquelle je me suis laissé séduire? Il faut éteindre ce feu volage qui s'exhale par son propre effort, et se consume par sa propre violence, et ne laisser agir en mon ame que celui de la charité, qui s'accroît continuellement par son exercice. C'est ce qui lui fait dire, aussi bien qu'à son collègue saint Paul : « Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connoissons plus de cette sorte : » Et si cognovimus secundùm carnem Christum, sed nunc jam non novimus. La chair, qui se plaît dans la pompe du monde, ne veut voir Jésus-Christ que dans sa gloire et ne peut supporter son ignominie. Mais la charité ne l'aime pas moins sur le Calvaire que sur le Thabor; et je devois avoir dit du premier ce que j'ai dit autrefois de l'autre : « Il nous est bon d'être ici : » Bonum est nos hic esse".

Voilà donc saint Pierre changé, et sa chute l'a rendu savant. Car sachant qu'un empire très-noble et très-souverain étoit préparé à notre Sauveur, il ne pouvoit comprendre qu'il le pût jamais conserver au milieu des ignominies, auxquelles il disoit si souvent lui-même que sa sainte humanité étoit destinée : si bien que ne pouvant concilier ces deux vérités, le désir ardent qu'il avoit de voir Jésus-Christ régnant l'empêchoit de reconnoître Jésus-Christ souffrant. Mais sa chute l'a désabusé de cette erreur. Car dans la chaleur de son crime, ayant senti son cœur amolli par un seul regard de son Maître, il est convaincu par sa propre 1 II Cor., V, 16. - Matth., XVII, 4.

expérience qu'il n'a rien perdu de sa puissance, pour être entre les mains des bourreaux. Il voit ce Jésus méprisé, ce Jésus abandonné aux soldats, régner en victorieux sur les cœurs les plus endurcis. Il croyoit qu'il perdroit son empire parmi les supplices; et il sent par expérience que jamais il n'a régné plus absolumeni. Ses yeux, quoique déjà tout meurtris, ne laissent pas par un seul regard de faire couler des larmes amères. Ainsi persuadé par sa chute et par les larmes de sa pénitence que le royaume de JésusChrist se conserve et s'établit par sa croix, il purifie son amour par cette pensée; et lui, qui avoit tant de répugnance à considérer Jésus-Christ en croix, reconnoît avec une fermeté incroyable que son règne et son pouvoir est en la croix. « Que toute la maison d'Israël sache donc très-certainement que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié : » Certissimè sciat ergo omnis domus Israel, quia et Dominum eum et Christum fecit Deus, hunc Jesum quem vos interemistis1.

Voilà donc saint Pierre changé, le voilà fortifié par la pénitence. Son amour n'est plus foible, parce qu'il n'est plus présomptueux; et il n'est plus présomptueux, parce que ce n'est plus un amour mêlé des inclinations naturelles, mais une charité toute pure, laquelle, comme dit saint Paul 2, n'est jamais superbe ni ambitieuse. Cet amour imparfait et son orgueil tout ensemble ont été brisés par sa chute; et étant devenu humble, il devient ensuite invincible. Il n'avoit pas eu la force de résister à une servante, et le voilà qui tient tête à tous les magistrats de Jérusalem. Là il n'ose pas confesser son Maître; ici il répond constamment que non-seulement il ne veut pas, mais encore qu'il ne peut pas refuser sa voix pour rendre témoignage à ses vérités : Non possumus. Comme un soldat qui dans le commencement du combat ayant été surpris par la crainte, se seroit abandonné à la fuite, tout à coup rougissant de sa foiblesse et piqué d'une noble honte et d'une juste indignation contre son courage qui lui a manqué, revient à la mêlée fortifié par sa défaite, et pour réparer sa première faute il se jette où le péril est le plus certain : ainsi l'apôtre saint Pierre. Apprenons donc que la pénitence nous doit donner ↑ Act., II, 36. — 2 I Cor., XIII, 4, 5. 3 Act., IV, 20.

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de nouvelles forces pour combattre le péché, et faire régner JésusChrist sur nos cœurs. C'est par là que nous montrerons la vérité de notre douleur, et que notre amour allant toujours se perfectionnant parmi nos victoires et nos sacrifices, pourra être enfin à jamais affermi, comme celui du saint apôtre, par le dernier effort d'une charité insurmontable.

TROISIÈME POINT.

Petre, amas me? Jésus-Christ l'interroge trois fois, pour montrer que la charité est une dette qui ne peut jamais être entièrement acquittée, et que ce divin Maître ne laisse pas d'exiger dans le temps même que l'on la paie, parce que cette dette est de nature qu'elle s'accroît en la payant. Pierre depuis le moment de sa conversion, pour acquitter dignement cette dette, n'a cessé de croître dans l'amour de son divin Maître; et son amour par ces différens progrès est enfin parvenu à un degré si éminent, qu'il ne sauroit atteindre ici-bas à une plus haute perfection.

C'est à cette heure que notre apôtre est fondé plus que jamais à répondre au divin Sauveur : « Vous savez que je vous aime, » puisque son amour mis à la plus grande épreuve que l'homme puisse porter, triomphe des tourmens et de la mort même. Ni l'attache à la vie, ni l'opprobre d'un supplice ignominieux, ni la douleur d'un martyre cruel et long, ne peuvent ralentir son ardeur. Que dis-je ? ils ne servent qu'à l'animer de plus en plus par le désir dont son cœur est possédé de se sacrifier pour celui qu'il aime si fortement: et loin de trouver rien de trop pénible dans l'amertume de ses souffrances, il veut encore y ajouter de son propre mouvement une circonstance non moins dure, pour exprimer plus vivement les sentimens de son profond abaissement devant son Maître, pour lui faire comme une dernière amende honorable de ses infidélités passées, et l'adorer dans le plus parfait anéantissement de lui-même. Tant il est vrai que l'amour de saint Pierre est à présent aussi fort que la mort, que son zèle est inflexible comme l'enfer, que ses lampes sont des lampes de feu, que sa flamme est toute divine; et que s'il a succombé autrefois à la plus foible épreuve, désormais les grandes eaux ne pourront

l'éteindre, et les fleuves de toutes les tentations réunies n'auront point la force de l'étouffer 1.

Quel contraste, mes Frères, entre nous et ce grand apôtre ! Si Jésus-Christ nous demandoit, ainsi qu'à lui : « M'aimez-vous? » Amas me? Qui répondra : Seigneur, je vous aime? Tous le diront; mais prenons garde. L'hypocrisie le dit; mais c'est une feinte. La présomption le dit; mais c'est une illusion. L'amour du monde le dit; mais c'est un intérêt, qui n'aime Jésus-Christ que pour être heureux sur la terre. Qui sont ceux qui le disent véritablement? Ceux qui l'aiment jusque sur la croix; ceux qui sont prêts à tout perdre pour lui demeurer fidèles, à tout souffrir pour être consommés dans son amour....

PANÉGYRIQUE

DE

L'APOTRE SAINT PAUL (a).

Placeo mihi in infirmitatibus meis : cùm enim infirmor, tunc potens sum. Je ne me plais que dans mes foiblesses: car lorsque je me sens foible, c'est alors que je suis puissant. II Cor., XII, 10.

Dans le dessein que je me propose de faire aujourd'hui le panégyrique du plus illustre des prédicateurs et du plus zélé des 1 Cant., VIII, 6, 7.

(a) Prêché à l'Hôpital général, le 29 juin 1661.

Le prédicateur désigne comme en toutes lettres, dans la péroraison, l'Hôpital général. Ensuite il implore la charité des fidèles en faveur des pauvres. Ses pressantes sollicitations rappellent déjà l'année 1661; mais ce qui révèle le plus clairement cette date, c'est le style du discours. Un critique le fait remonter à 1657; c'est le rapprocher trop du début de l'auteur.

Bossuet avoit déjà prêché un panégyrique de saint Paul, sur ce texte : Surrexit Saulus de terrâ, apertisque oculis nihil videbat. Ce discours excita, dans la capitale, un concert unanime d'éloges; et le P. dom Jérôme de Sainte-Marie, qui l'entendit à l'âge de dix-huit ans et qui s'acquit de la réputation dans la chaire, louoit encore cinquante années plus tard, après la mort de l'auteur, le Surrexit Saulus de Bossuet. L'évêque de Troyes a perdu ce panégyrique, comme tant de chefs-d'œuvre.

On sait que le cardinal Maury se seroit volontiers chargé de revoir et de re

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