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parole. Que vous dirai-je aujourd'hui, et par où conclurai-je ce dernier discours? Ce sera par ces beaux mots de l'Apôtre : Deus autem spei repleat vos gaudio et pace in credendo, ut abundetis in spe et virtute Spiritûs sancti 1 : « Que le Dieu de mon espérance vous remplisse de joie et de paix, en croyant à la parole de son Evangile, afin que vous abondiez en espérance et en la vertu du Saint-Esprit. » C'est l'adieu que j'ai à vous dire : nos remercîmens sont des vœux, nos adieux des instructions et des prières. Que ce grand Dieu de notre espérance, pour vous récompenser de l'attention que vous avez donnée à son Evangile, vous fasse la grace d'en profiter. C'est ce que je demande pour vous: demandez pour moi réciproquement que je puisse tous les jours apprendre à traiter saintement et fidèlement la parole de vérité; que nonseulement je la traite, mais que je m'en nourrisse et que j'en vive. Je vous quitte avec ce mot; et ce ne sera pas néanmoins sans vous avoir désiré à tous, dans toute l'étendue de mon cœur, la félicité éternelle, au nom du Père, et du Fils, et du SaintEsprit. Amen.

PANÉGYRIQUE

DE

L'APOTRE SAINT PIERRE (a).

Simon Joannis, amas me? Domine, tu omnia nosti, tu scis quia amo te. Simon, fils de Jean, m'aimes-tu? Seigneur, vous savez toutes choses, et vous n'ignorez pas que je vous aime. Joan., xxi, 17.

C'est sans doute, mes Frères, un spectacle bien digne de notre curiosité, que de considérer le progrès de l'amour de Dieu dans les ames. Quel agréable divertissement ne trouve-t-on pas à con1 Rom., XV, 13.

(a) Prêché vers 1664.

Le lecteur trouvera sans doute que le style de ce discours, et ses dimensions mêmes, indiquent cette date approximative.

templer de quelle manière les ouvrages de la nature s'avancent à leur perfection, par un accroissement insensible? Combien ne goûte-t-on pas de plaisir à observer le succès des arbres qu'on a entés dans un jardin, l'accroissement des blés, le cours d'une rivière ! On aime à voir comment d'une petite source, elle va se grossissant peu à peu jusqu'à ce qu'elle se décharge en la mer. Ainsi c'est un saint et innocent plaisir de remarquer les progrès de l'amour de Dieu dans les cœurs. Examinons-les en saint Pierre. Son amour a été premièrement imparfait, et celui qu'il ressentoit pour le Fils de Dieu tenoit plus d'une tendresse naturelle que de la charité divine. De là vient qu'il étoit foible, languissant, et n'avoit qu'une ferveur de peu de durée. Ce qu'il y avoit de plus dangereux, c'est que cette ardeur inconstante, qui ne le rendoit pas ferme, le faisoit superbe et présomptueux : voilà le premier état de son amour. Mais le foible de cet amour languissant ayant enfin paru dans sa chute, cet apôtre se défiant de soi-même, se releva de sa ruine plus fort et plus vigoureux par l'humilité qu'il avoit acquise: voilà quel est le second degré. Et enfin cet amour, qui s'étoit fortifié par la pénitence, fut entièrement perfectionné par le sacrifice de son martyre. C'est ce qu'il nous faut remarquer en la personne de notre apôtre, en observant avant toutes choses que ce triple progrès nous est expliqué dans le texte de notre évangile.

Car n'est-ce pas pour cette raison que Jésus demande trois fois à saint Pierre : « Pierre, m'aimes-tu?» Il ne se contente pas de sa première réponse : « Je vous aime, dit-il, Seigneur. » Mais peut-être que c'est de cet amour foible dont l'ardeur indiscrète le transportoit avant sa chute s'il est ainsi, ce n'est pas assez. De là vient que Jésus réitère la même demande, et il ne se contente pas que Pierre lui réponde encore de même; car il ne suffit pas que son amour soit fortifié par la pénitence, il faut qu'il soit consommé par le martyre. C'est pourquoi il le presse plus vivement, et le disciple lui répond avec une ardeur non pareille : « Vous savez, Seigneur, que je vous aime. » Tellement que notre Sauveur voyant son amour élevé au plus haut degré où il peut monter en ce monde, il ne l'interroge pas davantage, et il lui dit :

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« Suis-moi. » Et où ? A la croix où tu seras attaché avec moi: Extendes manus tuas 1; marquant par là le dernier effort que peut faire la charité. Car point de charité plus grande ici-bas que celle qui conduit à donner sa vie pour Jésus-Christ: Majorem charitatem nemo habet. Ainsi paroissent dans notre évangile ces trois états de l'amour que saint Pierre a ressenti pour le Fils de Dieu et suivant les traces de l'Ecriture, nous vous ferons voir aussi, premièrement son amour imparfait et foible par le mélange des sentimens de la chair; secondement son amour épuré et fortifié par les larmes de la pénitence; troisièmement son amour consommé et perfectionné par la gloire du martyre.

PREMIER POINT.

Il semble que ce soit faire tort à l'amour que saint Pierre avoit pour son Maître, que de dire qu'il ait été imparfait. Le premier pas qu'il fait, c'est de quitter toutes choses pour l'amour de lui: Ecce nos reliquimus omnia 3. Et peut-il témoigner un plus grand amour, que lorsqu'il lui dit avec tant de force : « A qui ironsnous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle » Ad quem ibimus? Verba vitæ æternæ habes. Toutefois son amour étoit imparfait, parce qu'il tenoit beaucoup plus d'une tendresse naturelle qu'il avoit pour Jésus-Christ, que d'une charité véritable. Pour l'entendre, il faut remarquer quelle sorte d'amour Jésus-Christ veut que l'on ait pour lui. Il ne veut pas que l'on aime simplement sa gloire, mais encore son abaissement et sa croix. C'est pourquoi nous voyons en plusieurs endroits que lorsque sa grandeur paroît davantage, il rappelle aussitôt les esprits au souvenir de sa mort: Loquebantur de excessu. C'est de quoi il entretenoit à sa glorieuse transfiguration Moïse et Elie de même en plusieurs endroits de l'Evangile on voit qu'il a un soin tout particulier de ne laisser jamais perdre de vue ses souffrances (a). Ainsi pour l'aimer d'un amour parfait, il faut surmonter cette tendresse naturelle qui voudroit le voir toujours dans la gloire, afin

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(a) Voy. Serm. du Nom de Jésus: Vocabis nomen ejus Jesum, vol. VIII, p. 361.

de prendre un amour fort et vigoureux qui puisse le suivre dans l'ignominie. C'est ce que saint Pierre ne pouvoit pas goûter. Il avoit de la charité; mais cette charité étoit imparfaite à cause d'une affection plus basse, qui se mêloit avec elle. C'est ce que nous voyons clairement au chapitre XVI de saint Matthieu.

« Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, s'écrie cet apôtre : » Tu es Christus, Filius Dei vivi. Il dit cela, non-seulement avec beaucoup de lumière, mais avec beaucoup d'ardeur. C'est pourquoi il est heureux, beatus, parce qu'il avoit la foi, et la foi opérante par la charité. Cette ardeur ne tenoit rien de la terre; la chair et le sang n'y avoient aucune part: Caro et sanguis non revelavit tibi. Mais voyons ce qui suit après.

Jésus-Christ voyant sa gloire si hautement confessée par la bouche de Pierre, commence selon son style ordinaire à parler de ses abaissemens. « Dès lors il déclara à ses disciples qu'il falloit qu'il souffrît beaucoup et qu'il fût mis à mort: » Exindè cœpit Jesus ostendere discipulis suis, quoniam oporteret eum multa pati et occidi. Et aussitôt ce même Pierre, qui avoit si bien reconnu la vérité en confessant la grandeur du Sauveur du monde, ne la peut plus souffrir dans ce qu'il déclare de sa bassesse. « Sur quoi Pierre le prenant à part, se mit à le reprendre en lui disant: A Dieu ne plaise, Seigneur ! cela ne vous arrivera pas : » Cœpit increpare illum: Absit à te, Domine, non erit tibi hoc. Ne voyez-vous pas, chrétiens, qu'il n'aime pas Jésus-Christ comme il faut? Il ne connoît pas le mystère du Verbe fait chair, c'est-àdire le mystère d'un Dieu abaissé. Il confesse avec joie ses grandeurs, mais il ne peut supporter ses humiliations: de sorte qu'il ne l'aime pas comme Sauveur, puisque ses abaissemens n'ont pas moins de part à ce grand ouvrage que sa grandeur divine et infinie. Quelle est la cause de la répugnance qu'avoit cet apôtre à reconnoître ce Dieu abaissé ? C'étoit cette tendresse naturelle qu'il avoit pour le Fils de Dieu, par laquelle il le vouloit voir honoré à la manière que les hommes le désirent. C'est pourquoi le Sauveur lui dit : « Retire-toi de moi, Satan, tu m'es à scandale; car tu n'as pas le sentiment des choses divines, mais seulement de ce 1 Matth., XVI, 17. — 2 Ibid., 21. 3 Ibid., 22.

qui regarde les hommes 1. » Voyez l'opposition. Là il dit : BarJona, fils de la colombe; ici : Satan. Là il dit : Tu es une pierre sur laquelle je veux bâtir; ici : Tu es une pierre de scandale pour faire tomber. Là: Caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus; ici à l'opposite: Non sapis ea quæ Dei sunt, sed ea quæ hominum. D'où vient qu'il lui parle si différemment, sinon à cause de ce mélange qui rend sa charité imparfaite? Il a de la charité Caro et sanguis non revelavit : il a un amour naturel qui ne veut que de la gloire et fuit les humiliations: Non sapis quæ Dei sunt. C'est pourquoi, quand on prend son Maître, il frappe de son épée, ne pouvant souffrir cet affront. Aussitôt JésusChrist lui dit : « Quoi! je ne boirai pas le calice que mon Père m'a donné à boire?» Calicem quem dedit mihi Pater, non bibam illum 2?

C'est ce mélange d'amour naturel qui rendoit sa charité lente. Car cet amour l'embarrasse, quoiqu'il semble aller à la même fin. Comme si vous liiez deux hommes ensemble, dont l'un soit agile et l'autre pesant, et qu'en même temps vous leur ordonniez de courir dans la même voie, quoiqu'ils aillent au même but, néanmoins ils s'embarrassent l'un l'autre ; et pendant que le plus dispos veut aller avec diligence, retenu et accablé par la pesanteur de l'autre, souvent il ne peut plus avancer, souvent même il tombe et ne se relève qu'à peine. Ainsi en est-il de ces deux amours. Tous deux, ce semble, vont à Jésus-Christ. Celui-là, divin et céleste, l'aime d'un amour que la chair et le sang ne peuvent inspirer; et l'autre est porté pour lui de cette tendresse naturelle que nous avons tant de fois décrite. Le premier est lié avec le dernier ; et étant enveloppé avec lui, non-seulement il est retardé, mais encore porté par terre par la pesanteur qui l'arrête.

C'est pourquoi vous voyez l'amour de saint Pierre toujours chancelant, toujours variable. Il voit son Maître, et il se jette dans les eaux pour venir à lui; mais un moment après il a peur, et mérite que Jésus lui dise: Modicæ fidei, quare dubitasti3 ? Quand le Sauveur lui prédit sa chute, il se laisse si fort transporter par la chaleur de son amour indiscret, qu'il donne le dé1 Matth, XVI, 23. 2 Joan., XVIII, 11.3 Matth., XIV, 31.

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