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fait une pénitence si rigoureuse, je frémis jusqu'au fond de l'ame. Fidèles, quelle indignité! Les innocens font pénitence, et les criminels vivent dans les délices.

O sainte pénitence, autrefois si honorée dans l'Eglise, en quel endroit du monde t'es-tu maintenant retirée? Elle n'a plus aucun rang dans le siècle : rebutée de tout le monde, elle s'est jetée dans les cloîtres; et néanmoins ce n'est pas là qu'elle est le plus nécessaire. C'est là que se retirent les personnes les plus pures; et nous qui demeurons dans les attachemens de la terre, nous que les vains désirs du siècle embarrassent en tant de pratiques criminelles, nous nous moquons de la pénitence, qui est le seul remède de nos désordres. Consultons-nous dans nos consciences: sommesnous véritablement chrétiens? Les chrétiens sont les enfans de Dieu, et les enfans de Dieu sont poussés par l'Esprit de Dieu; et ceux qui sont poussés par l'Esprit de Dieu, la charité de Jésus les presse. Hélas! oserions-nous bien dire que l'amour de Jésus nous presse, nous qui n'avons d'empressement que pour les biens de la terre, qui ne donnons pas à Dieu un moment de temps bien entier? Chauds pour les intérêts du monde, froids et languissans pour le service du Sauveur Jésus. Certes, si nous étions, je ne dis pas pressés, nous n'en sommes plus à ces termes; mais si nous étions tant soit peu émus par la charité de Jésus, nous ne ferions pas tant de résolutions inutiles: le saint jour de Pâque ne nous verroit pas toujours chargés des mêmes crimes, dont nous nous sommes confessés les années passées. Fidèles, qui vous étonnez de tant de fréquentes rechutes, ah! que la cause en est bien visible! Nous ne voulons point nous faire de violence, nous voulons trop avoir nos commodités, et les commodités nous mènent insensiblement dans les voluptés: ainsi accoutumés à une vie molle, nous ne pouvons souffrir le joug de Jésus. Nous nous impatientons contre Dieu des moindres disgraces qui nous arrivent, au lieu de les recevoir de sa main pour l'expiation de nos fautes; et dans une si grande délicatesse, nous pensons pouvoir honorer les Saints, nous faisons nos dévotions à la mémoire de François de Paule. Est-ce honorer les Saints, que de condamner leur vie par une vie toute opposée? Est-ce honorer les Saints, que d'en

tendre parler de leurs vertus, et n'être pas touchés du désir de les imiter? Est-ce honorer les Saints, que de regarder le chemin par lequel ils sont montés dans le ciel, et de prendre une route contraire?

Figurez-vous, mes Frères, que le vénérable François de Paule vous paroit aujourd'hui sur ces terribles autels, et qu'avec sa gravité et sa simplicité ordinaire: Chrétiens, vous dit-il, qu'êtesvous venus faire en ce temple? Ce n'est pas pour m'y rendre vos adorations: vous savez qu'elles ne sont dues qu'à Dieu seul. Vous voulez peut-être que je m'intéresse de vos folles prétentions. Vous me demandez une vie aisée, à moi qui ai mené une vie toujours rigoureuse. Je présenterai volontiers vos vœux à notre grand Dieu, au nom de son cher Fils Jésus-Christ, pourvu que ce soit des vœux qui paroissent dignes de chrétiens. Mais apprenez de moi que si vous désirez que nous autres amis de Dieu priions pour vous notre commun Maître, il veut que vous craigniez ce que nous avons craint, et que vous aimiez ce que nous avons aimé sur la terre. En vivant de la sorte, vous nous trouverez de vrais frères et de charitables intercesseurs.

Allons donc tous ensemble, fidèles, allons rendre les vrais honneurs à l'humble François de Paule. Je vous ai apporté en ce lieu des reliques de ce saint homme : l'odeur qui nous reste de sa sainteté et la mémoire de ses vertus, c'est ce qu'il a laissé sur la terre de meilleur et de plus utile: ce sont les reliques de son ame. Baisons ces précieuses reliques, enchâssons-les dans nos cœurs comme dans un saint reliquaire. Ne souhaitons pas une vie si douce ni si aisée; ne soyons pas fâchés quand elle sera détrempée de quelques amertumes. Le soldat est trop lâche, qui veut avoir tous ses plaisirs pendant la campagne : le laboureur est indigne de vivre, qui ne veut point travailler avant la moisson. Et toi, dit Tertullien, tu es trop délicat chrétien, si tu désires les voluptés même dans le siècle. Notre temps de délices viendra; c'est ici le temps d'épreuve et de pénitence. Les impies ont leur temps dans le siècle, parce que leur félicité ne peut pas être éternelle : le nôtre est différé après cette vie, afin qu'il puisse s'étendre dans De Spectac., n. 28.

les siècles des siècles. Nous devons pleurer ici-bas, pendant qu'ils se réjouissent: quand l'heure de notre triomphe sera venue, ils commenceront à pleurer. Gardons-nous bien de rire avec eux, de peur de pleurer aussi avec eux: pleurons plutôt avec les Saints, afin de nous réjouir en leur compagnie. Gémissons en ce monde, comme a fait le pauvre François : soyons imitateurs de sa pénitence, et nous serons compagnons de sa gloire. Amen.

SECOND PANÉGYRIQUE

DE

SAINT FRANÇOIS DE PAULE (a).

Fili, tu semper mecum es, et omnia mea tua sunt.

Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous. Luc., XV, 31.

Je ne pouvois désirer, Messieurs, une rencontre plus heureuse ni plus favorable, que de faire ici mon dernier discours (b) en

(u) Prêché en 1660, pour la clôture du Carême, aux Minimes de la PlaceRoyale.

Les éditeurs disent, après l'abbé Ledieu, que le Panégyrique de saint François de Paule fut prêché en 1658. Cette indication ne peut être exacte; car, en 1658, Bossuet fut retenu à Metz, pendant le Carême, par la mission qu'il donna avec les prètres de saint Vincent de Paul, dans le mois d'avril pour l'assemblée des Trois Ordres dont il signa les procès-verbaux.

En 1660, au contraire, il prêcha le Carême à Paris dans l'église des Minimes; et son discours de clôture fut le panégyrique du saint fondateur de ces religieux, de saint François de Paule. Voilà pourquoi l'orateur dit, dès le commencement de l'exorde : « Je ne pouvois désirer une rencontre plus heureuse ni plus favorable, que de faire ici mon dernier discours en produisant dans cette audience le grand et admirable saint François de Paule; » et dans la péroraison: «... C'est l'adieu que j'ai à vous dire nos remercimens sont des vœux, nos adieux des instructions et des prières, » etc.

Les Minimes de la Place - Royale avoient vu s'établir dans leur église un grand abus: des gens du bel air s'y rendoient pendant les divins offices, disent les auteurs du temps, pour y nouer des intrigues et des conversations profanes,

(b) Var. De finir cet ouvrage que j'ai entrepris.

produisant dans cette audience le grand et admirable saint François de Paule. L'adieu que doivent dire aux fidèles les prédicateurs de l'Evangile, ne doit être autre chose qu'un pieux désir par lequel ils tâchent d'attirer sur eux les bénédictions célestes; et c'est ce que fait l'apôtre saint Paul, lorsque se séparant des Ephésiens, il les recommande au grand Dieu et à sa grace toute-puissante : Et nunc commendo vos Deo et verbo gratiæ ipsius 1. Je ne doute pas, chretiens, que les vœux (a) de ce saint Apôtre n'aient été suivis de l'exécution; mais ne pouvant pas espérer un pareil effet de prières comme les miennes, ce m'est une consolation particulière de vous faire paroître saint François de Paule pour vous bénir en Notre-Seigneur. Ce sera donc ce grand patriarche qui, vous trouvant assemblés dans une église qui porte son nom, étendra aujourd'hui les mains sur vous; ce sera lui qui vous obtiendra les graces du Ciel, et qui laissant dans vos esprits l'idée de sa sainteté et la mémoire de ses vertus (b), confirmera par ses beaux exemples les vérités évangéliques qui vous ont été prêchées durant ce Carême. Animé de cette pensée, je commencerai ce discours avec une bonne espérance; et de peur qu'elle ne soit vaine, je prie Dieu de la confirmer (c) par la grace de son Saint-Esprit, que je lui demande humblement par l'intercession de la sainte Vierge. Ave.

1 Act., xx, 32.

sans crainte d'outrager la majesté du Très-Haut dans ses redoutables mystères. Bossuet s'éleva contre ces profanations sacriléges avec toute la fermeté du zèle apostolique: «Mais ce qui m'étonne, mes Frères, dit-il dans le commencement de la péroraison; ce que je ne puis dissimuler, ce que je voudrois pouvoir dire avec tant de force que les cœurs les plus durs en fussent touchés, » etc.

Les théologiens formés dans le commencement de ce siècle rejettent sans examen, par une fin de non-recevoir, les miracles qui n'éclatent pas comme un coup de foudre dans des circonstances solennelles, pour confirmer la foi de tout un peuple. Ils pourront apprendre ici, par l'enseignement du grand Bossuet, à mieux apprécier les œuvres de la bonté divine.

Plusieurs personnages distingués dans les lettres et dans les sciences entendirent le Panegyrique de saint François de Paule. Qu'il nous suffise de nommer: François de la Noue, philologue, historien, astronome, théologien; Giry, auteur des Vies des Saints; le P. Lefèvre d'Ormesson et le P. Hilarion de Coste : tous deux arrière - neveux de saint François; le premier, prédicateur estimé; le second, auteur de la Vie de son saint parent, du Parfait ecclésiastique, etc. (a) Var. Les souhaits. (6) Vous laissant en partage l'exemple de ses ver(c) Que j'ai tâché de vous annoncer, de lui donner l'affermissement par

tus.

la

grace...

TOM. XII.

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13

Ne parlons pas toujours du pécheur qui fait pénitence, ni du prodigue qui retourne dans la maison paternelle. Qu'on n'entende pas toujours dans les chaires la joie de ce père miséricordieux qui a retrouvé son cadet qu'il avoit perdu. Cet aîné fidèle et obéissant, qui est toujours demeuré auprès de son père (a) avec toutes les soumissions d'un bon fils, mérite bien aussi qu'on loue quelquefois sa persévérance. Il ne faut pas laisser dans l'oubli cette partie de la parabole; et l'innocence toujours conservée, telle que nous la voyons en François de Paule, doit aussi avoir ses panégyriques. Il est vrai que l'Evangile semble ne retentir de toutes parts que du retour de ce prodigue: il occupe, ce semble, tout l'esprit du père; vous diriez qu'il n'y ait que lui qui le touche au cœur. Toutefois au milieu du ravissement que lui donne son cadet retrouvé, il dit deux ou trois mots à l'aîné, qui lui témoignent une affection bien particulière (b): « Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous; » et je vous prie, ne vous fàchez pas si je laisse aujourd'hui épancher ma joie sur votre frère que j'avois perdu, et que j'ai retrouvé contre mon attente: Fili, tu semper mecum es; c'est-à-dire si nous l'entendons (c): Mon fils, je sais bien reconnoître votre obéissance toujours constante, et elle m'inspire pour vous un fond d'amitié laquelle ne laisse pas d'être plus forte, encore que vous ne la voyiez pas accompagnée de cette émotion sensible que me donne le retour inopiné de votre frère : « Vous êtes toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à vous; nos cœurs et nos intérêts ne sont qu'un : » Tu semper mecum es, et omnia mea tua sunt. Voilà une parole bien tendre: cet aîné a un beau partage, et garde bien sa place dans le cœur du père.

Cette parole, Messieurs, se traite rarement dans les chaires, parce que cette fidélité inviolable ne se trouve guère dans les mœurs. Qui de nous n'est jamais sorti de la maison de son père? Qui de nous n'a pas été prodigue? Qui n'a pas dissipé sa substance par une vie déréglée et licencieuse? Qui n'a pas repu les pourceaux, c'est-à-dire ses passions corrompues? Puisqu'il y en

(a) Var. Près de sa personne. : entendre.

(6) Bien cordiale.

(c) Si nous le savons

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