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faire, lui fut bâillée une épée en faisant le serment accoutumé, et aussi en déposant et en destituant le comte d'Armagnac. Et alors le duc de Bourgogne donna congé à la plus grand' partie des seigneurs de Bourgogne, et se tint dedans la ville de Troyes la plus grand' partie de l'hiver, et constitua sur les marches et frontières de Champagne Jean d'Aubigny, Jean du Clau et Clavin son frère, atout grand' quantité de gens d'armes, lesquels, en plusieurs et divers lieux, firent forte guerre aux gens du connétable.

CHAPITRE CLXXXIX.

Comment Jean de Bavière fit guerre à la duchesse sa nièce, au pays de Hollande, et les conquêtes que faisoit Henri, roi d'Angleterre, en la duché de Normandie.

DURANT les tribulations dessusdites, Jean de Bavière faisoit forte guerre à la duchesse Jacqueline sa nièce, et prirent ses gens en ce temps la ville de Gorcamp en Hollande; mais aucunes tours demeurèrent, et se tinrent en l'obéissance de ladite duchesse. Laquelle, oyant nouvelle de ladite prise, assembla tantôt grand foison de gens d'armes, lesquels, en la compagnie de la comtesse de Hainaut, sa mère, elle mena par navire à la ville de Gorcamp, qui sied sur la mer. Et de fait, par l'aide de ses geus

qui étoient és tours dessusdites, se bouta dedans, et fit combattre les gens dudit Jean de Bavière son oncle, qui en assez bref terme furent tournés à déconfiture, et tant morts que pris de cinq à six cents, entre lesquels de ceux qui furent pris, étoit le principal le damoiseau d'Erke; et de la partie d'icelle duchesse y fut mort Waleran de Brederode, tant seulement, lequel étoit moult vaillant et chef principal de tous ses gens touchant le fait de ladite guerre, dont eut moult grand' déplaisance; et depuis fit trancher les têtes à aucuns de ceux qui avoient été pris prisonniers, pour ce qu'ils s'étoient parjurés envers elle.

En après, pour apaiser le discord entre les parties, Philippe, comte de Charrolois, seul fils du duc de Bourgogne, alla au pays de Hollande, où moult se travailla à aller d'un côté et d'autre, c'est à savoir devers son oncle et sa cousine germaine; mais pour diligence qu'il en fit ne les put oncques concorder, et pourtant, s'en retourna en Flandre.

Auquel temps aussi le roi d'Angleterre, qui étoit à grand' puissance en la duché de Normandie, conquéroit villes et forteresses, et peu trouvoit qui contre lui se défendît, car les gens du roi de France étoient retraits à Paris devers le connétable, et en autres lieux à l'environ, pour résister contre la puissance dudit duc de Bourgogne, comme dit est ailleurs. Si vint devant la ville de Caen, qui étoit moult puissante et bien peuplée, laquelle il assié

CHRONIQUES DE MONSTRElet.

T. IV.

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gea et fit assaillir par divers assauts, où moult perdit de ses gens; mais en la fin tant continua, queladite ville par force fut prise. Et furent morts bien six cents des défendants. Et depuis se tint la forteresse environ trois semaines. Dedans laquelle étoit le seigneur de la Fayette', le seigneur de Montenay, et messire Jean Bigot, qui la rendirent moyennant qu'ils eussent sûreté du roi d'Angleterre de eux partir saufs leurs corps et leurs biens.

Après laquelle conquête, ledit roi fit assiéger par son frère, leduc de Glocestre; la forte ville et châtel de Cherbourg, qui étoient les plus fortes places de toute la duché de Normandie, et les mieux pourvues de vivres et habillements de guerre; et y fut le siége environ dix mois. En la fin duquel temps la rendit messire Jean d'Engennes, qui en étoit capitaine, moyennant qu'il en eut certaine somme d'argent au partir, et bon sauf-conduit pour aller où bon lui sembleroit; atout lequel il alla depuis en la cité de Rouen, quand elle fut conquise par ledits Anglois; et là séjourna tant que sondit sauf-conduit fut passé sur la fiance d'aucuns seigneurs Anglois, qui lui donnèrent à entendre qu'ils lui feroient rallonger. Mais au derrain ( à la fin ) il en fut trompé, et lui fit le roi d'Angleterre trancher

1. Gilbert III, seigneur de la Fayette, maréchal de France, conseiller et chambellan du roi et du dauphin, et sénéchal de Bourbonnois.

la tête; dont aucuns François furent assez joyeux, pource qu'il avoit rendu la place dessusdite par convoitise d'avoir argent, au préjudice du roi de France.

CHAPITRE CXC.

Comment messire Jacques de Harcourt épousa la fille du comte de Tancarville; de la détrousse de Philippe de Saveuse; et du connétable qui mit le siége à Senlis.

En ce temps messire Jacques de Harcourt épousa la seule fille du seigneur de Tancarville, duquel, avec toutes les seigneuries, il eut le gouvernement, et mit garnison de ses gens en toutes ses villes et forteresses contre les Anglois.

Esquels jours Philippe de Saveuse, étant en garnison avec son frère Hector en la ville de Beauvais, se partit un certain jour, atout six vingts combattants ou environ, pour aller courre vers le comté de Clermont, comme il avoit accoutumé de faire par plusieurs fois ; et à son retour passa devant un châtel nommé Breuille, dedans lequel étoient assemblés plusieurs des gens du comte d'Armagnac, qui soudainement saillirent à étendard déployé sur ledit Philippe et ses gens; lesquels, voyants si grand' puissance furent tantôt mis en desroy (désordre); et ne fut pas en la puissance de

lui de les retenir, et finablement les chassèrent jusques assez près de Beauvais, et en prirent la plus grand' partie, et aussi en tuèrent aucuns. Pourquoi le dessusdit Philippe de Saveuse ayant au cœur très grand deuil, se retrahit (retira) audit lieu de Beauvais ; et dedans brefs jours, après qu'il eut une partie de ses gens, il s'en alla à Gournay, en Normandie, où il fut ordonné capitaine de la ville par le consentement des habitants d'icelle.

Et aussi ledit Hector eut dissension avec ledit commun de Beauvais, pourquoi il fallut qu'il s'en partît dedans brefs jours ensuivant.

Et lors, environ la Chandeleur ensuivant, le roi Charles, accompagné du comte d'Armagnac son connétable, et de grand nombre de gens de Paris, vint de Paris à Creil, où il fut par plusieurs jours; et pource que ses gens passèrent assez près de Senlis, la garnison qui y étoit, de par ledit duc de Bourgogne, saillit sur eux, et en prit plusieurs et en tua; dont ledit connétable fut grandement troublé.

Et dedans brefs jours ensuivant, ledit connétable assiégea de par le roi ladite ville de Senlis, et fit dresser contre les portes et murailles plusieurs gros engins, dont les assiégés furent moult travaillés ; et lors ils envoyèrent devers messire Jean de Luxembourg et le seigneur de Fosseux certains messages, eux requérants que pour le bien et entretennement du duc de Bourgogne, ils voulsissent faire secours audit lieu de Senlis. Lesquels seigneurs dessusdits,

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