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qui étoit à Tours en Touraine, lui avoit fait savoir secrètement par un sien féable serviteur, qu'il voulsît aller devers elle pour la ramener avec lui; car moult étoit courte tenue et en grand danger. Sur laquelle requête icelui duc avoit envoyé un sien secrétaire, nommé maître Jean de Drosay, pour sur ce prendre avis et conclusion. Lequel traita tant avec ladite reine, qu'elle promit d'elle s'en venir avec ledit duc, au cas qu'il iroit devers elle pour la quérir. Et pour plus grand' sûreté, bailla audit secrétaire un sien signet d'or à porter à son maître le duc; lequel signet il reconnut bien, car plusieur fois il l'avoit vụ. Et sur ce, quand il fut venu à Chartres la nuit de la fête de Toussaints, atout la plus grand' partie de ses seigneurs et capitaines de sa compagnie, et aussi de ses gens d'armes les mieux montés et habillés, se partit soudainement; et par Bonneval et Vendôme s'en alla hâtivement devers Tours. Et quand il vint à deux lieues près, envoya devant les seigneurs de Fosseux et de Vergy, atout huit cents combattants, qui se mirent en embûche à demi-lieue près. Et derechef envoyèrent un certain message devers la reine, lui noncer la venue dudit duc; pourquoi, incontinent qu'elle ouït les nouvelles, appela maître Jean Torel, maître Jean Petit, et maître Laurent du Puis, qui étoient ses principaux gouverneurs, auxquels elle dit qu'elle vouloit aller ouïr la messe à une église dehors la ville, nommée Marmoutier, et qu'il se préparassent pour aller

CHRONIQUES DE Monstrelet. T. IV.

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avec elle; lesquels de ce faire lui désenhortèrent. Néanmoins elle issit brièvement hors de Tours, et les mena avec elle à ladite église; et tôt après les dessusdits seigneurs allèrent devers icelle église, et envoyèrent devers la reine Hector de Saveuse atout soixante combattants. Et lors les dessusdits gouverneurs vinrent tantôt devers elle, où elle oyoit la messe, et lui dirent : « Dame, veci grand' compagnie de Bourguignons ou Anglois. » Et elle, qui rien ne doutoit, leur dit qu'ils se tinssent près d'elle, et adonc ledit Hector de Saveuse entra et la salua de par son seigneur le duc de Bourgogne; laquelle demanda où il étoit, et il lui répondit qu'il venoit tantôt vers elle. Après lesquelles paroles elle commanda audit Hector, que les dessusdits Torel, Picard et maître Laurent du Puis, étant emprès elle, fussent pris. Lequel maître Laurent elle avoit en grand' haine; car il parloit à elle irrévéremment, sans mettre la main à son chapperon, et sans lui faire autre révérence; et ne pouvoit ladite reine rien besogner ni accorder que ce ne fût par le consentement du dessusdit maître Laurent.

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Et pour ce qu'il vit que pas ne pouvoit issir pour lui sauver, il entra en une petite nef par derrière l'église pour passer l'eau ; mais il se noya, tant eut grand' hâte, et les autres furent pris.

Et fut cette assemblée environ neuf heures du matin; et ledit duc de Bourgogne vint environ onze heures devers la reine, à laquelle il fit grand'

révérence, comme il appartenoit, et elle à lui, disant: « Très cher cousin, outre tous les hommes » du royaume vous dois aimer, quand à mon man» dement avez tout laissé et m'êtes venu délivrer » de prison; pour quoi, mon très cher cousin, » jamais je ne vous faudrai, car bien vois que toujours avez aimé monseigneur, sa généra» tion, son royaume, et la chose publique.

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Après ils dînèrent ensemble en ladite église en grand' liesse; et après dînée, la reine manda à ceux de Tours, qu'elle et son cousin le duc de Bourgogne vouloient entrer dedans la ville; mais, par l'enhort (conseil) du capitaine d'icelle, ceux de Tours tardèrent un petit. Toutefois en la fin ils accordèrent ce qu'elle demandoit; et ledit capitaine se retrahit dedans le châtel, et ladite reine, et le duc de Bourgogne, atout leurs gens, entrèrent en la ville. Auquel lieu fut faite grand' chère au duc et grand honneur. Et après, la reine mauda le capitaine par sauf-conduit; auquel elle requit et commanda qu'il lui rendît la forteresse; laquelle chose il fit, mais très enuis (avec peine) ce fut.

Et après que le duc eut séjourné trois jours avec la reine, il commit capitaine de la ville et du châtel Charles Labbe, atout deux cents combattants, lequel fit serment de la bien garder pour et au nom dudit duc de Bourgogne. Lequel serment il ne tint ni garda, car dedans l'an ensuivant il rendit ladite ville et forteresse en l'obéissance du dauphin, et en demeura lui-même capitaine, faisant à icelui

le serment. Et la reine et le duc de Bourgogne firent publier dedans la ville de Tours, que nul ne payât gabelles, impositions ni autres subsides, sinon le sel. Et après, tous ensemble de là se départirent, et allèrent à Vendôme, où ils firent publier, comme ils avoient fait à Tours, que nul ne payât nuls subsides; et de là, par Bonneval, allèrent à Chartres, où ils arrivèrent le neuvième jour de novembre.

Et avoit la reine en sa compagnie quatre charriots qui menoient vingt femmes ; et si avoit seulement avec elle un chevalier nommé messire Robert de Cyne, duquel elle étoit très contente pour sa prud'hommie.

CHAPITRE CLXXXVI.

Comment ladite reine, venue à Chartres, écrivit à plusieurs bonnes villes du royaume, et furent faites aucunes nouvelles ordonnances pour le gouvernement dudit royaume.

que

APRÈS la reine de France fut venue en la ville de Chartres, comme dit est, fut ordonné et conclu qu'elle écriroit lettres en son nom à toutes les bonnes villes étant en l'obéissance du duc de Bourgogne; desquelles la copie s'ensuit de celles qui vinrent à Amiens.

Très chers et bien amés, vous savez comment, par la coulpe et iniquité causée par la damnable convoitise d'aucunes gens de petit état qui ont pris le gouvernement de la personne de monseigneur et de son royaume, aux innumérables et inconvénients s'en sont ensuivis, tant de la molestation de ceux du sang de mondit seigneur et d'autres comme de la perdition de la grand' partie de sa domination; et mêmement ès duchés d'Aquitaine et de Normandie, a duré et encore dure ledit gouvernement, sans ce que les dessusdits gouverneurs veuillent entendre à quelconque bien et bonne gouverné à être mise en ce royaume; mais ont conclu mortelle haine contre tous preux et loyaux ; et ravissent leurs biens; et plusieurs exécutent à mort. Et en continuant en leur mauvaiseté, quand ils aperçurent que voulions entendre à labourer à la réparation et au bien de la paix de ce royaume, comme à nous compète, qui par la grâce de Dieu sommes compagne et épouse de mondit seigneur, comme il avoit été encommencé par notre fils et cousin de Hainaut, desquels Dieu ait l'ame ils trouvèrent moyen d'eux éloigner de sa personne, afin que ne fût sue leur iniquité et demeurassent en leurs états et offices. Et par ce moyen ils ont appliqué et appliquent chacun jour à leur singulier profit toutes les finances de mondit seigneur, sans ce qu'aucune chose en soit employée pour le bien de mondit seigneur ou de sondit royaume ; et faussement et déloyalement nous ont dépouillée et dérobée ; et

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