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Hélas! vous sçavez tous comment
Nous perdismes nostre froment,

Que entant nous semasme ès terres
Pour la gelée dure et grand,

Qui les meit à confondement :

Et puis vous sçavez tous quels guerres,
Quels meschiefs et quelles rappines
Nous feirent toutes ses vermines,
Qui vindrent aux saisons nouvelles.

N'y demoura ne pois ne febves
Dont ne tatassent des premiers,
Rats et souris et verminiers,

Et les espis en emportoient
Des bleds qui demourez estoient:
moult diverses manières

Et

par

Ils les mettoient en leurs tesnières,

Et en feirent de grans amas,

Dont maints en ont crié : hélas!

Hélas! avons crié assez

Pour Dieu que vous nous pardonnez,
Et que vous pensez en vous-mesmes
Si nous vous disons vérité :

Tout notre fait veoir vous povez,
Ainsi que nous faisons nous mesmes.
Courroux, mal talent et attaines
Nous regardent tous chacun heure;
Beuf ne pourceau ne nous demeure,
Ne brebis, ne noz pauvres vaches,
Dequoy faisions noz laitages,
Qui notre vie soubstenoit,
Et de la faim nous guarissoit :
Mais la mort et le divers temps
Les a fait demourer ès champs,
Et morts les trouvons par les tets:
C'est ce que bien souventesfois,

Quand voyons advenir tel cas,

Qui nous fait fort crier : hélas !

Hélas! sans plus vous dire hélas,
Comment peuvent penser créatures,
Qui bien advisent noz figures,
Et ont sens et entendement,
Et nous voyent nuds par les rues
Aux gelées et aux froídures,
Nostre pauvre vie querant :
Car nous n'avons plus rien vaillant,
Comme aucuns vueillent langaigez.

Ils s'en sont tres mal informez ;

Car s'ils pensoient bien en Todigues

Et Escoçois en leur complices,

Et ès yvers qui sont passez,

Et autres voyes fort obliqués,
Dont tous estats nous sont réliques
Comme chacun nous a plusmé :
Ils seroïent bien hérétiques,
S'ils pensoïent bien en leurs vices,
Qu'il nons fût rien demouré :
Tels langaiges ne sont que gas,
Si nous taisons de dire: hélas !

O tres saincte mère l'église,
Et vous tres noble roy de France,
Conseilliers, qui à votre gùise
Mettez tout le pays en ballance,
Advocats de belle loquence,

Bourgeois, marchans, gens de mestiers,

Gens d'armes, qui tout exillés,

Pour Dieu et pour sa doulce mère,

A chacun de vous en droit soy,
Vous plaise penser aucun poy
En ceste complaïnete amère.

Et si vous bien y advisez

Nous cuidons que appercevrez,
Et que vous voirrez par voz yeux
Le feu bien près de voz hosteux,
Qui les vous pourroit bien brusler,
Si garde de près n'y prenez.
Désormais si nous nous taillons,
Autres lettres vous envoyerons
Closes. Dedans voir vous pourrez
Noz faits et noz conclusions,
Et les fins à quoy nous tendons.
S'il vous plaist vous les ouvrirez,
Noz requestes vous conclurez,
Et Dieu du tout ordonnera
A la fin ou quand luy plaira :
Mais Dieu vous y doint si bien faire,
Qu'acquérir vous puissez sa gloire,
Et qu'en ce ayez tels regards,
Que plus ne vous erions: hélas !

Amen par sa grâce..

CHAPITRE CCLXXIV.

Comment le duc de Touraine, dauphin, fit assiéger Cône-sur-Loire; le voyage qui se fit à cette cause de par le duc de Bourgogne; et la mort du roi d'Angleterre.

OR convient parler du duc de Touraine, dauphin, lequel en ce temps assembla, en divers pays, en-. viron vingt mille combattants, atout lesquels il se tira à Sancerre, auquel lieu se tint de sa personne assez longue espace. Durant lequel temps fut mise 'en son obéissance la Charité-sur-Loire, où il mit grand' garnison de ses gens; et après fit assiéger la ville de Cône-sur-Loire, qui, en la fin, fut contrainte de traiter avec les commis d'icelui dauphin, par condition qu'ils lui rendroient ladite ville, le seizième jour du mois d'août, au cas que le duc de Bourgogne ne les secourroit audit jour, si puissamment que pour les délivrer de la main de ses adversaires. Et pour ce entretenir, baillèrent les assiégés otages auxdits assiégeants; et avec ce, promirent les deux ducs dessusdits, c'est à savoir de Bourgogne et de Touraine, par la bouche de leurs hérauts, à être et comparoir chacun à toute sa puissance à ladite journée, pour combattre l'un contre l'autre. Et afin d'entretenir icelle, ledit duc de Bourgogne, qui par avant s'étoit conclu de

retourner en son pays d'Artois, demeura en Bourgogne, et manda gens de toutes parts, tant en Flandre, en Picardie, comme ailleurs, à venir vers lui. Et si envoya devers le roi d'Angleterre, lui requérir bien instamment qu'il lui envoyât certain nombre de ses gens pour être avec lui à ladite journée, avec aucuns de ses princes et chefs de guerre;lequel roi fit réponse à ceux que le duc y avoit envoyés, que ce ne feroit pas, mais iroit en propre personne avec toute sa puissance; et entre temps, messire Hue de Launoy, maître des albalêtriers de France, assembla grand nombre de gens, tant de la comté de Flandre, comme des marches vers Lille; et pareillement le firent messire Jean de Luxembourg, le seigneur de Croy, et plusieurs autres capitaines de Picardie, atout lesquels, vers l'issue du mois de juillet, se tirèrent par divers chemins autour de Paris, et de là par Troyes en Champagne.

Et d'autre partie, le roi d'Angleterre, qui étoit en la ville de Senlis, non pas bien santieux (sain) de sa personne, fit partir son ost d'autour de Paris, sous la conduite du duc de Bedfort son frère, du comte de Warwick, et autres de ses princes et capitaines, pour aller en Bourgogne; et lui-même, assez aggravé de maladie, partit dudit lieu de Senlis, après qu'il eut pris congé au roi de France, à la reine, et aussi à sa femme, qui depuis ne le revit ; et alla à Melun, où il se fit mettre sur une litière, sur intention d'aller à la journée dont dessus CHRONIQUES DE MONSTRELET. - T. IV.

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