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sauvèrent par fuite. Après laquelle besogne retournèrent audit lieu de Saint-Dizier ; et bref ensuivant se reudit à eux ledit châtel, lequel ils regarnirent de lenrs gens.

S'ensuit la complainte du pauvre commun et des pauvrès laboureurs de France.

Hélas! hélas! hélas! hélas!
Prélats, princes, et bons seigneurs,
Bourgeois, marchans, et advocats,
Gens de mestiers grans et mineurs,
Gens d'armes, et les trois estats,
Qui viveż sur nous laboureurs,
Confortez nous d'aucun bon ayde:
Vivre nous fault, c'est le remède.
Vivre ne povons plus ensemble
Longuement, se Dieu n'y pourvoye :
Mal fait qui l'autruy tolt ou emble
Par barat, ou par faulse voye.
Perdu avons soulas et joye
L'en nous a presque mis à fin,
Car plus n'avons ne blé ne viu.

Vin ne froment ne autre blé.
Pas seullement du pain d'avoyne,
N'avons nostre saoul la moité

Une sculle fois la sepmaine :

Les jours nous passons à grand' peine,

Et ne sçavons que devenir;

Chacun s'en veult de nous fuyr.

Fuyr de nous ne devez mie,
Pensez-y, nous vous en prions.

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Et nous soustenez nostre vie:

Car, pour certain, nous languissons.
Allangouris nous nous mourons,
Et ne sçavons remède en nous,
Seigneurs, pour Dieu, confortez-nous.

Confortez-nous, vous ferez bien,

Et certes vous ferez que saiges:
Qui n'a charité, il n'a rien.

Pour Dieu, regardez noz visaiges,
Qui sont si piteux et si palles,
Et noz membres riens devenir,
Pou nous povons plus soustenir.

Soustenir ne nous povons plus
En nulle manière qui soit :

Car, quand nous allons d'huys en huys,
Chacun nous dit : Dieu vous pourvoye!
Pain, viandes, ne de rien qui soit,
Ne nous tendez nen plus qu'aux chiens,
Hélas! nous sommes chrestiens.

Chrestiens sommes-nous voirement, Et en Dieu sommes tous vos frères,

Si vous avez l'or et l'argent

Ne sçavez si durera guères :

Le temps vous aprestent les biens,

Ft si mourrez certainement,

Et ne savez quand, ne comment.

Comment dictes-vous et pensez

Plusieurs choses que de nous dictes,

Que ce nous vient par noz péchéz,
Et vous en voulez clamer quittes.
Pour Dieu jà plus ne le dictes,

Et autrement nous confortez
Pour ce en pitié nous regardez.

Regardez-nous, et si pensez, Que sans labour ne povez vivre, Et que tous sur nous vous courez; (Long-temps a que chacun nous pille) Ne nous laissez ne croix ne pille, Ne rien vaillant que vous puissiez, De quelque estat que vous soyez.

Soyez, si vous plaist, advisez,
Et que de cecy vous souvienne,
Que nous ne trouvons que gaigner,
Ne nul qui nous mette en besongne.
1 Chacun de vous de nous s'eslongne,

Mais s'ainsi nous laissez aller,
A tard vous en repentirez.

Repentirez vous si acertes,
Que si ainsi nous en allons,
Vous cherrez les jambes retraictes,
Et au plus près de voz talons';
Sur vous tumberont les maisons,

Vos chasteaulx et vos tenemens :
Car nous sommes voz fondemens.

Voz fondemens sont enfondus,
N'y a mais rien qui les soustienne;
Les murs en sont tous pourfondus,
N'y a pilier qui les retiengne,
N'y estat qui en rien se faingne
De nous mener jusque au plus bas :
Pource nous fault crier, hélas!

Hélas! prélats et gens d'église,

Sur quoy nostre foy est assise,
Chiefs estes de chrestienté,

Vous nous voyez nuds sans chemise

Et nostre face si eslize,

Et tous languis de povreté.

Pour l'amour Dieu, en charité,

Aux riches gens ce remonstrez

Et que vous les admonestez.

Qu'ils ayent pitié d'entre nous autres,

Qui pour eux avons labouré

Tant que tout leur est demouré :
De noz povretez ils sont causes,
Comme leur dirons cy en bas :
Pour ce nous fault crier, hélas !

Hélas! très puissant roy françois,
Nous pensons si bien ravisois,
Et tu feusses bien conseillé,
Qu'aucun pou nous espargnerois :
Tu es le roy de tous les roys,
Qui sont en la chrestienté,
Dieu t'a ceste grand' dignité
Baillée, pour raison deffendre,
Et diligentement entendre

Aux complainctes qui vont vers toy
Et par ce garder nous pourras,
De ainsi fort crier, hélas!

Hélas! très noble roy de France,
Le pays de vostre obéissance
Espargnez-le pour Dieu mercy,
Des laboureurs ayez souv'nance,
Tout avons prins en patience
Et le prenons jusques à icy;
Mais tenez-vous asseur, que si
Vous n'y mettez aucun remède,
Que vous n'aurez chasteau ne ville,

Que tous seront mis à exille,

Dont ja sommes plus de cent mille
Qui tous voulons tourner la bride,

Et vous lairrons tout esgaré,

1

Et pourrez cheoir en tel trespas,
Qu'il vous faudra crier, hélas!

Hélas ! ce seroit grand douleur
Et grand' pitié à regarder,
Qu'un si très excellent seigneur
Criast, hélas! Or y pensez,
Pas ne serez le premier,

Qui par deffaut de raison faire,

D'estre piteux et débonnaire

Auroit esté mis en exil.

Tenu estes de bon affaire,

Mais que n'ayez point de contraire,

Dieu vous garde de ce péril!

Et nous mettez si au délivre,

Qu'en paix puissions dessoubs vous vivre
Dès le plus haut jusques au bas,

Tant que plus ne crions, hélas!

Hélas! comment ces tailles grans,

Qu'avez fait, passa quinze ans

Par chacun an trois fois ou deux,
Et des monnoyes les tumbemens,
Et les griefs de voz sergens
Ont bien noz vaches et nos bœufs

A moindris, et tous nos chevaux,
Tant qu'ils n'y treuvent plus que prendre :
Mais, par Jésus, le roi des cieux,

Ne sçay si vous en vallez mieux.

Pour ce vous prions à joinctes mains,
Que nous pardonnez noz complains,

Et qu'en hayne ne prenez pas,

Si nous crions ainsi, hélas !

Hélas! pour Dieu, noz bons seigneurs,

Qui estes les grans gouverneurs,

Et gouvernez tous nostre roy,

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