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CHAPITRE CCXXIX.

Comment ledit duc se conduisit, allant audit lieu de Troyes, et depuis qu'il y fut venu; et aussi des ambassadeurs d'Angleterre qui allèrent avec lui.

La ville de Crespy en Laonnois rendue, comme dit est, s'en alla le duc de Bourgogne à Laon, où il fut des gouverneur et habitants de ladite ville reçu honorablement. Et de là, atout (avec) ses gens, qui étoient mille combattants, s'en alla, par Reims, à Châlons en Champagne. Auxquelles villes lui fut fait grand honneur et réception. Et toujours étoient en sa compagnie les ambassadeurs du roi d'Angleterre. Duquel lieu de Châlons chevaucha en grand' ordonnance vers Troyes, et fit un logis assez près de Vitry, en Partois ; laquelle ville, avecque aucunes autres forteresses au pays, tenoient les Dauphinois. Et lors, messire Jean de Luxembourg, faisant l'avant garde, passa parmi la ville audit pays où il y avoit eaux et sources moult dangereuses. Si chevauchoit emprès lui messire Robinet de Mailly, chevalier, grand panetier de France, lequel, atout (avec) son cheval, se férit et effondraen une des dites sources, si avant qu'il y demeura lequel cheval n'avoit point de crins à quoi ledit chevalier se pût tenir, ni le retira point

:

dehors, mais mourut là très piteusement, et le cheval dessusdit se sauva. Pour la mort duquel le duc de Bourgogne et plusieurs autres seigneurs furent très courroucés. Et par espécial ses trois frères, qui étoient en ladite compagnie, en menèrent grand deuil; c'est à savoir messire Jean de Mailly, qui depuis fut évêque de Noyon, Collard et Ferry: toutefois il fut tiré hors, et enterré assez près de là.

En après, le duc de Bourgogne approchant Troyes, vinrent à l'encontre de lui en grand' noblesse plusieurs seigneurs de Bourgogne, et autres notables bourgeois, qui lui firent très grand honneur et révérence. En la compagnie desquels, et aussi des seigneurs qui étoient venus avecque lui, entra en icelle ville de Troyes, le vingt et unième jour de mars, et fut convoyé par iceux jusques à son hôtel; et partout où il passoit avoit grand' multitude de peuple, qui pour sa venue crioit : Noël ! Et tôt après alla devers le roi de France, la reine, et dame Catherine, qui le reçurent bénignement et lui montrèrent très grand signe d'amour. Et aucuns brefs jours ensuivant, furent assemblés plusieurs conseils en la présence du roi et de la reine, et dudit duc de Bourgogne, pour avoir avis sur la paix finale et alliance que vouloit avoir Henri, roi d'Angleterre, avecque le dessusdit roi de France. Pour lequel traité dessusdit confirmer, avoit envoyé ses ambassadeurs ayant de lui puissance.

Finablement, après plusieurs parlements tenus CHRONIQUES DE MONSTRELET. T. IF.

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avecque lesdits ambassadeurs, fut conclu et accordé, en faveur du duc de Bourgogne et de ceux de son parti, que Charles, roi de France, donneroit à Henri, roi d'Angleterre, Catherine, sa fille maisnée en mariage; et avec ce le feroit vrai héritier et successeur après sa mort de tout son royaume, lui et ses hoirs, en déboutant son propre fils et héritier, Charles, duc de Touraine, dauphin; et aussi, en annulant la constitution jadis faite par les rois de France et ses pairs en grand' délibération, c'est à savoir que le noble royaume de France ne devoit succéder à femme, ni appartenir. Et mêmement, s'il advenoit que ledit roi Henri n'eût hoirs vivants du dessusdit mariage, par le moyen d'icelui traité et accord, si demeuroit-il héritier de la couronne de France, au préjudice de tous les royaux et appartenant, qui en temps à venir y pouvoient et devoient succéder de droite ligne.

Et fut tout ce dessusdit accordé par le roi Charles, lequel en long-temps par avant n'avoit été en sa vie mémoire, comme dit est dessus. Et étoit content d'accorder et traiter en tous états selon l'opinion de ceux qui étoient assistants, ou en sa présence, tant en son préjudice comme au

trement.

Lequel traité fait en la forme ci-après déclarée ',

1. Ce traité est rapporté plus loin.

s'en retournèrent les ambassadeurs du roi d'Angleterre, eschevant (évitant) les aguets des Dauphinois au mieux qu'ils purent, emportant avec eux la copie dudit traité, lequel grandement fut agréable au dessusdit roi Henri, voyant que par icelui viendroit à chef de la plus grand' partie de son intention. Et pour tant, au plus bref qu'il put, prépara ses besognes en Normandie, et assembla ses gens pour aller audit lieu de Troyes, pour confirmer icelui traité.

Et lors étoit demeuré, de par icelui roi Henri, à Troyes messire Louis de Robersart, pour accompagner et visiter dame Catherine, fille du roi de France, et femme à venir au dessusdit roi Henri.

CHAPITRE CCXXX.

Comment messire Jean de Luxembourg alla courre atout (avec) sa puissance devant Alibaudières, et ce qu'il en advint.

APRÈS les besognes dessusdites, environ dix jours devant Pâques, fut envoyé messire Jean de Luxembourg, avec lui cinq cents combattants, pour aviser une forteresse à six lieues de Troyes, vers Vermandois, nommée Alibaudières, dedans laquelle étoient aucuns Dauphinois, qui très fort dommageoient le pays de Champagne. Et quand ledit de Luxembourg fut venu assez près d'icelle, laissa la plus

grand' partie de ses gens en embûche, et alla avec ancuns autres courre devant la, barrière. A l'encontre duquel saillirent très âprement, tout à pied, ceux de ladite forteresse, et commencèrent roidement à traire, lancer et combattre ceux de ladite forteresse contre leurs adversaires. En laquelle besogne ledit de Luxembourg chut jus de son cheval, par la cause de ce que sa selle se partit; mais tantôt fut relevé par ses gens. Et incontinent, de grand courage, et tout ému d'ire, alla, sa lance en sa main, de pied, combattre très vaillamment iceux Dauphinois. Et de fait, jà-soit-ce que de présent eût moins de gens qu'eux, leur fit clorre leur boulevert, et se retrahirent (retirèrent ) en grand desroy (désordre). Et présentement manda ses gens qui étoient en l'embûche dessusdite ; et fit hâtivement assaillir ledit boulevert, qui en conclusion fut pris par ledit assaut et mis en seu; mais à ce faire y eut plusieurs hommes blessés. Et après, ledit messire Jean de Luxembourg s'en retourna à Troyes devers le duc Philippe de Bourgogne ; auquel lieu on faisoit pour le temps grands préparations recevoir le roi Henri d'Angleterre, qui dedans bref temps devoit venir pour solenniser et faire la fête de son mariage.

pour

Entretemps, le duc de Touraine, dauphin, et ceux de son conseil, qui étoient à Bourges en Berri, ouïrent certaines nouvelles des alliances qui se faisoient contre lui. Si fut pour ce en grand souci comment il pourroit résister aux entreprises et

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