Imágenes de página
PDF
ePub

parties avoient déjà trèves l'une avec l'autre, espérant avoir bien bref bonne paix ensemble, comme ils eurent.

Lesquels Anglois là venus, sachant la départie des Dauphinois, se mirent hâtivement sur le train, et les poursuivirent tant et si roidement, qu'ils les ratindirent (ratteignirent) environ à quatre lieues de Roye; et tantôt qu'ils les aperçurent, sans barguigner, frappèrent en eux, jà-soit-ce qu'ils étoient en petit nombre, pour tant qu'ils avoient chevauché si fort, que les trois parts de leurs gens étoient demeurés en train derrière eux. Et avec lesdits Anglois s'étoient boutés grand' quantité de gens d'armes de messire Jean de Luxembourg, desquels étoient les principaux, Butor bâtard de Croy, Aubert de Folleville, le bailli de Fanquessole, le bâtard de Duvon, et moult d'autres gentilhommes. Et finablement les dessusdits Dauphinois, sans faire grand' résistance ni défense, furent mis tantôt en grand desroy (désordre), et par iceux pris, morts et détroussés, sinon aucuns qui se sauvèrent par fuite le mieux qu'ils purent ès bois et autres lieux. Et adonc ledit Hector, ce voyant, prit là messire Karados de Quesnes comme son prisonnier, afin de le sauver et le renvoyer; mais ledit Cornouaille lui ôta tantôt en disant qu'il n'avoit cause de le prendre, attendu qu'il avoit sauf-conduit de son capitaine. Et pource que ledit Hector ne voulut pas le laisser aller aux premières paroles, icelui Cornouaille lui donna de son poing, atout

(avec) son gantelet, sur le bras, et le repoussa assez durement, dont grandement fut troublé icelui Hector; mais il n'en put avoir autre raison parce que les Anglois étoient en plus grand nombre.

Toutefois ledit messire Karados, le sire de Flavi, et la plus grand' partie des hommes d'armes qui y étoient furent prisonniers desdits Anglois ; et ceux qui furent pris des Picards furent tous tués par iceux, pour tant qu'ils ne les osoient ramener à leurs logis pour le sauf-conduit dessusdit, excepté Harbonnières, qui fut pris d'Aubert de Folleville, et mené à Noyon, où il eut la tête coupée; et après ladite détrousse, s'en retournèrent les dessusdits Anglois, atout (avec) leurs prisonniers, à un village à deux lieues de Roye, et là se logèrent.

En outre, le dessusdit Hector de Saveuse, au plus tôt qu'il pût, retourna devers messire Jean de Luxembourg, et lui raconta l'état de la dessusdite détrousse, dont grandement fut troublé et ennuyé de ce que son sauf-conduit avoit été ainsi enfreint et rompu, et par espécial de ceux qui étoient sous sa conduite et de son armée. Pour quoi; tout ému, envoya devers Antoine, seigneur de Croy, lui signifier qu'il lui envoyât Butor de Croy, son frère, et aucuns autres de ses gens, qui avoient rompu son sauf-conduit, pour les punir. Et en ce cas pareil manda au seigneur de Longueval, qu'il lui envoyât le bâtard de Duvon, frère de sa femme. Mais les dessusdits de Croy et de Longueval ne voulurent pas à ce obéir; et

pour ce leur fut mandé, que s'ils ne les bailloient, ledit duc de Luxembourg les iroit querre de force. en leur logis. Et lors ledit de Longueval dit que s'il y alloit, et il n'étoit plus fort, il ne les emmeneroit pas, et que ainçois (plutôt ) il conseilleroit qu'on le tuât.

Pour lesquelles paroles, et aucunes autres touchant icelles besognes, s'engendra grand' haine entre ledit de Luxembourg et les deux seigneurs dessusdits; laquelle haine dura long-temps après. Toutefois n'y eut pour le présent faite autre force, car les facteurs se partirent secrètement, et s'en allèrent où bon leur sembla. Et le lendemain messire Jean de Luxembourg, accompagné d'une partie de ses gens, alla voir le comte de Hautiton (Huntingdon) et Cornouaille à leurs logis, auxquels il recommanda ledit messire Karados de Quesnes, et autres prisonniers, qui avoient été pris sous bon sauf-conduit; mais néanmoins demeurèrent prisonniers. Et furent messire Karados et Charles de Flavi menés en Angleterre, où ils demeurèrent longue espace, et depuis furent mis à délivrance parmi payant grand' finance.

En outre, après que ledit de Luxembourg eut été certaine espace au logis desdits Anglois, il s'en retourna à Roye, et le lendemain licencia la plus grand' partie de ses capitaines et gens d'armes dessusdits; et s'en alla avec lui Hector de Saveuse, mettre garnison en ses forteresses sur la rivière de Sère, et sur les marches de Laonnois, à

l'encontre des Dauphinois, qui étoient en très grand nombre à Crespy en Laonnois. Et fut lors ordonné ledit Hector à demeurer à Nouvion-leComte, comme chef de toutes icelles frontières, et de là retourna messire Jean de Luxembourg, à son châtel de Beaurevoir, voir sa femme et faire ses apprêts pour aller avec le duc de Bourgogne, au voyage qu'il devoit faire bref ensuivant.

CHAPITRE CCXXVII.

Comment les François et Bourguignons commencèrent à repairer (aller) avec les Anglois; et le siége de Fontaine-Lavagan; et autres plusieurs matières.

Dès lors en avant commencèrent ceux tenant la partie du roi et du duc de Bourgogne à repairer, marchander, et avoir très grand accointance avec les Anglois, sur les frontières de Normandie, comme si déjà la paix eût été publiée. Auquel temps les dessusdits comte de Hautiton et Cornouaille, mirent le siége atout (avec) trois mille combattants devant la forteresse de Fontaine-Lavagan, laquelle durant toute la guerre avoit toujours tenu la partie d'Orléans, et pas n'avoit été subjuguée; pourquoi le pays de Beauvoisis, les marches de Normandie, d'Amiennois, et autres à l'environ, par icelle avoient été moult travaillés, et par long

temps. Toutefois, au bout de trois semaines ou environ après le siége mis, se rendirent ceux qui étoient dedans la forteresse auxdits assiégeants, par si qu'ils s'en allèrent, saufs leurs corps et leurs biens. Et après qu'il furent partis, fut ladite forteresse désolée, et mise à ruine.

Et d'autre partie, le dix-neuvième jour de janvier, fut mis le châtel de Muyn en l'obéissance du vidame d'Amiens, par certains moyens qu'il eut à ceux de dedans. Lequel châtel, comme celui de Fontaine-Lavagan, avoit toujours tenu le parti d'Orléans, et fait moult de travail par longue espace, aux villes d'Amiens, de Corbie, Mont-Didier, et en tout le pays à l'environ; et fut pris dedans un gentilhomme nommé Bigas, de nation Normand, et la dame dudit lieu, femme de messire Collart de Calleville, avec aucuns autres, et grand nombre de biens.

Esquels jours le duc de Bourgogne, et toute sa puissance, se préparoit pour aller devers le roi Charles, à Troyes en Champagne, mandant étroitement par tous les pays, que tous ceux qui avoient accoutumé de porter armes, fussent prêts pour l'accompagner au voyage dessusdit; et de Gand, où il étoit, s'en vint à Arras, et la duchesse sa femme. Auquel lieu il constitua à être son chancelier maître Jean de Torsy, évêque de Tournai, et assembla, par vertu desdits mandements, très grand nombre de gens d'armes. Et aussi le samedi après les trois rois, furent criées les trèves entre

« AnteriorContinuar »