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en lui remontrant que féablement il y pouvoit aller, et feroit mal de faire le contraire. Toutefois icelui évêque, pour vrai, ne savoit rien de ce qu'il advint depuis, et traitoit de bonne foi les besognes dessusdites.

Finablement, tant par les remontrances dessusdites, comme sur les paroles de messire Tanneguy du Châtel, ledit duc de Bourgogne se conclut et disposa, avec son conseil, d'aller vers le dauphin, en la compagnie d'icelui évêque, et se partit dudit lieu de Bray sur Seine, le dimanche dixième jour de septembre mille quatre cent dix-neuf; et avoit en sa compagnie environ cinq cents hommes d'armes, et deux cents archers, desquels étoient capitaines messire Charles de Lens, amiral de France, et Jacques de la Lime, maître des arbalêtriers; et si y étoient plusieurs seigneurs; c'est à savoir Charles, fils aîné du duc de Bourbon; le seigneur de Nouailles, frère au cointe de Foix, Jean, fils au comte de Fribourg; le seigneur de Saint-George, messire Antoine du Vergy, le seigneur de Jonvelle, le seid'Ancre, le seigneur de Montagu, messire Guy de Pontarlier, et plusieurs autres, atout (avec) lesquels il chevaucha joyeusement jusques assez près de Montereau; et étoit environ trois heures après midi. Et lors vinrent à l'encontre de lui trois de ses gens; c'est à savoir messire Antoine de Thoulongeon, Jean d'Ermay, et Saubretier; lesquels lui dirent qu'ils venoient de la ville, où ils avoient vu le pont, auquel lieu se devoient

gneur

assembler plusieurs fortes barrières, faites de nouvel, très avantageuses pour la partie du dauphin, disant qu'il pensât à son fait, et que s'il s'y boutoit il seroit au danger (pouvoir) dudit dauphin et de sa partie. Sur lesquelles paroles ledit duc, tout à cheval, assembla son conseil, pour savoir que sur ce il étoit bon de faire, et y eut diverses opinions; car les aucuns doutoient moult cette journée, et les nouvelles et rapports de ce que d'heure à autre ils oyoient.

Les autres, qui ne pensoient que bien, conseilloient, pour mieux faire, de laisser qu'il allât devers le dessusdit dauphin, et disoient qu'ils ne sauroient penser qu'un tel seigneur et prince, fils du roi de France, et successeur de sa noble couronne, voulsît faire autre chose que loyauté.

Et lors ledit duc, voyant et oyant les diverses opinions de son conseil, dit haut et clair, en la présence d'eux tous, qu'il iroit, sur intention d'attendre telle aventure qu'il plairoit à Dieu de lui envoyer; disant outre, que pour péril de sa personne ne lui seroit jà réprouvé que la paix et réparation du royaume fût attargée (retardée); et que bien savoit que s'il failloit (manquoit) d'y aller, et que par aucune aventure, guerre ou dissension se rémouvoit entre eux, la charge et déshonneur en retourneroit sur lui. Et adonc s'en alla descendre dedans le châtel de Montereau par la porte vers les champs; lequel châtel lui avoit été délivré, pour lui loger, par les conseillers du dauphin, afin qu'il

fût moins en soupçon qu'on lui voulsît faire aucune mauvaiseté; et fit descendre avec lui tous les grands seigneurs, et deux cents hommes d'armes, et cent archers pour lui accompagner.

Si étoit avec lui la dame de Giac, qui par avant, comme dit est, avoit été par plusieurs fois devers le dauphin pour traiter les choses dessusdites, et moult induisoit ledit duc d'y aller, en lui admonestant qu'il ne fût pas en doute de nulle trahison. Lequel duc, comme il montroit semblant, aimoit moult et croyoit de plusieurs choses icelle dame, et si l'avoit baillée en garde avecque partie de ses joyaux à Philippe Jossequin, comme au plus féable de tous ses serviteurs. Et tôt après qu'il fût descendu, ordonna à Jacques de la Lime, qu'il se mit atout (avec) ses gens d'armes à l'entrée de la porte, vers la ville, pour la sûreté de sa personne, et aussi à garder la convention.

Et entre temps, messire Tanneguy du Châtel revint devers lui, et lui dit que le dauphin étoit tout prêt, et qu'il attendoit après lui, et il répondit qu'il s'en alloit; et lors appela ceux qui étoient commis à aller avec lui, et défendit que nuls n'y allassent, fors ceux qui à ce étoient ordonnés, lesquels étoient dix, dont les noms s'ensuivent: c'est à savoir, Charles de Bourbon, le seigneur de Nouailles, Jean de Fribourg, le seigneur de Saint-George, le seigneur de Montagu, messire Antoine du Vergy, le seigneur d'Ancre, messire Guy de Pontarlier, messire Charles de Lens, messire Pierre de Giac,

et un secrétaire nommé maître Pierre Seguinat, avecque lesquels alla le dessusdit, jusques au-devant la première barrière du pont. Et derechef vinrent à l'encontre de lui les gens dudit dauphin, qui renouvelèrent les promesses et serments par avant faits et jurés entre les parties; et ce fait, dirent: « Venez devers monseigneur, il vous attend ci devant le pont. »

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Après lesquelles paroles se retrahirent (retirèrent) devers leur maître et seigneur. Et adonc ledit due demanda à ses conseillers dessusdits, s'il leur sembloit qu'il pût aller sûrement devers ledit dauphin, sur les sûretés qu'ils savoient entre eux deux. Lesquels, ayant bonne intention, lui firent réponse que sûrement y pouvoit aller, attendu lesdites promesses faites par tant de notables personnes d'une partie et d'autre ; et dirent que bien oseroient prendre l'aventure d'y aller avecque lui. Sur laquelle réponse se mit en chemin, faisant aller une partie de ses gens devant lui, et entra en la première barrière, où il trouva les gens du dauphin, qui encore lui dirent : « Venez devers monseigneur, il vous attend. » Et il dit : « Je vois (vais) devers lui. » Et passa outre la seconde barrière, laquelle fut tantôt fermée à la clef, après que lui et ses gens furent dedans, par ceux qui à ce étoient commis. Et en marchant avant rencontra

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messire Tanneguy du Châtel, auquel, par grand amour, il ferit de la main sur l'épaule, disant au seigneur de Saint-George et aux autres de ses gens: « Vécy en qui je me fie. »

Et ainsi passa outre jusques assez près dudit dauphin, qui étoit tout armé, l'épée ceinte, appuyé sur une barrière; devant lequel, pour lui laire honneur et révérence, il se mit à un genou à terre, en le saluant très humblement. A quoi le dauphin répondit aucunement, sans lui montrer quelque semblant d'amour, en lui reprochant qu'il avoit mal tenu sa promesse, et n'avoit point fait cesser guerre, ni fait vider ses gens des garnisons, ainsi que promis avoit. Et entre temps.messire Robert de Loire le prit par le bras dextre et lui dit : « Levez-vous, vous n'êtes que trop hono

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rable. » Et ledit duc étoit à un genou, comme dit est, et avoit son épée ceinte; laquelle étoit, selon son vouloir, trop demeurée derrière lui, quand il s'agenouilla; si mit la main pour la remettre plus devant à son aise ; et lors ledit messire Robert lui dit : « Mettez-vous la main à votre épée » en la présence de monseigneur le dauphin? » entre lesquelles paroles s'approcha d'autre côté messire Tanneguy du Châtel, qui fit un signe, en disant : « Il est temps. » Et férit ledit duc d'une petite hache, qu'il tenoit en sa main, parmi le visage, si roidement qu'il chut à genoux, et lui abatțit le menton. Et quand le duc se sentit féru, mit la main à son épée pour la tirer, et se cuida lever pour lui défendre; mais incontinent, tant dudit Tanneguy comme d'aucuns autres, fut féru plusieurs coups et abaltu à terre comme mort. Et prestement un nommé Olivier Layet, à l'aide de Pierre Fratier,

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