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CHAPITRE CCIX.

Comment le châtel de Coucy fut pris par les prisonniers qui étoient dedans, et autres besognes.

ENVIRON la Chandeleur, l'an dessusdit, Pierre de Sainte-Treille, qui étoit capitaine du Châtel de Coucy, de par le duc d'Orléans, prisonnier en Angleterre, fut trahi par aucuns de ses serviteurs, c'est à savoir son fourrier et son maréchal; lesquels, après qu'ils eurent traité avec aucuns des Bourguignons' qui étoient prisonniers léans en grand nombre, en mirent partie dehors, et allèrent secrètement par nuit bucquer (frapper) à l'huis de la fenêtre dudit capitaine qui étoit couché en une forte tour. Et adone vint ouvrir l'huis un valet qui couchoit en ladite chambre, et demanda qu'ils vouloient. Et ledit couturier répondit qu'il avoit léans une pièce de la robe de son maître, que naguères il avoittaillée. Entre lesquelles paroles saillirentdedans eux six hommes bien embâtonnés, et incontinent occirent ledit capitaine et son valet dessusdit; et de là allèrent à une autre tour où étoient enfermés prisonniers, le seigneur de Maucourt en Santerre, Lyonnet de Bournonville, et aucuns autres gentilshommes. Lesquels, après que d'eux ils eurent eu certaines promesses, les mirent dehors: et puis

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d'un commun accord prirent et tuèrent, le guet,les portiers, et autres non étant de leur partie, et commencèrent à crier à haute voix : « Vive Bourgogne!» Et adonc un gentilhomme nommé Burtel de Humereules, et un sien valet, qui étoient prisonniers dedans la grosse tour, oyant le cri dessusdit, rompirent de force l'huis de la basse-chambre où ils étoient enfermés, et vinrent jusques au pont de ladite tour.

Durant laquelle tempête, Étienne de Vignole, autrement nommé la Hire, un moult vaillant capitaine du dauphin, duquel et de sa vaillance sera ci-après moult parlé, qui étoit en la ville avec foison de gens d'armes, ouït les nouvelles de la prise et effroi dessusdits par aucuns des gens du capitaine, qui s'étoient avalés jus de la muraille. Et aussi y avoit une trompette faisant le guet en la haute plommée, qui sonna très fort à l'arme! Si s'arma à (avec) toutes ses gens, et vinrent jusques au pont pour assaillir et reconquerre ledit châtel. Mais le dessusdit Burtel trouva manière de monter amont sur la plommée, et commença bien et roidement à jeter pierre aval. Et d'autre partie, les autres se mirent fort en défense. Pourquoi la Hire, et ceux qui étoient avec lui, voyant qu'ils perdoient leur temps, se retrahirent dedans ladite ville, jusques à tant qu'il fût jour. Et adonc s'armèrent et prirent toutes leurs bagues, et montèrent à cheval; et après qu'ils eurent fait tuer piteusement soixante prisonniers qui étoient ès prisons de la ville, se CHRONIQUES DE Monstrelet.-T. IV.

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départirent de là et s'en allèrent à Guise. Pour lequel partement, ceux qui avoient pris le châtel furent très joyeux, et ils commencerent fort à mettre les mains en œuvre, et visiter les biens d'icelui, dont il y avoit très grand' abondance. Et après mandèrent messire Jean de Luxembourg à venir vers eux, lequel sans délai assembla ce qu'il put finer de gens, et se mit à chemin pour y aller. Mais entre temps, ceux qui avoient près ledit châtel, nonobstant qu'ils l'eussent mandé, prirent ensemble conclusion de le non mettre dedans, sinon que premier leur promît que tous les biens de dedans demeureroient à leur profit ; et, sur ce, envoyèrent au-devant de lui ledit seigneur de Maucourt, pour déclarer leur intention. Lequel ne lui osa bonnement découvrir la besogne dessusdite.Et pour tant, quand ledit de Luxembourg fut venu atout (avec) ses gens devant ledit châtel, ne lui fut pas ouvert de pleine venue pour les causes dessusdites, dont il fut grandement troublé. Et fit présentement prendre ledit seigneur de Maucourt, en lui reprochant qu'il le vouloit trahir. Auquel, s'il eût eu bourrel, ou autre homme qui l'eût voulu exécuter, eût fait trancher la tête sans délai. Et tôt après, pour la cremeur ( crainte ) de lui, ceux de dedans lui firent ouverture, et s'excusèrent de la targeance (retard) dessusdite. Si entra dedans, et y mit garnison de par lui. Et quant aux biens, il en eut la plus grand' partie; et au regard de ceux qui les avoient conquis, en furent assez petitement enrichis.

Et après ce même temps, sur toutes les côtières de Normandie, jusques à Pontoise, Clermont, Beauvais, Montdidier, Breteuil, Amiens, Abbeville' et Saint-Valery, les Anglois gâtoient tous les pays par feu et par épée; et souvent, en faisant leurs courses, emmenoient proies.

Avec lesquels se boutèrent en cet an grand foison de Normands portants la rouge croix, lesquels les conduisoient partout où ils vouloient aller. Et d'autre partie les Dauphinois faisoient le pareil. Et quant aux gens du roi et du duc de Bourgogne, ne se feignoient pas. Et par ainsi ce très noble royaume de France étoit en divers lieux moult travaillé et oppressé par les trois parties dessusdites. Et n'avoient les gens d'église, et le pauvre peuple. comme nul défendeur, ni autre recours, que d'eux plaindre lamentablement à Dieu leur créateur, en toujours attendant sa bénigne grâce, pitié et miséricorde.

CHAPITRE CCX.

Comment l'ambassade du roi d'Angleterre alla devers le roi de France et le duc de Bourgogne, à Provins, et autres besognes faites en ce temps sur les frontières.

Le roi de France et le duc de Bourgogne étant à Provins, allèrent devers eux en ambassade, de par le roi d'Angleterre, les comtes de Warwick et de Kime, lesquels étoient conduits par aucuns des gens du duc de Bourgogne. Et en leur chemin furent assaillis assez près de Chammes en Brie, par Tanneguy du Châtel, et autres Dauphinois, qui au commencement prirent et gagnèrent une partie des chevaux et bagues desdits Anglois. Mais en la conclusion, les dessusdits Dauphinois furent déconfits; et en demeura en la place bien quarante hommes d'armes; et les autres, avec ledit Tanneguy se retrahirent à Meaux.

Après, iceux Anglois s'en allèrent à Provins, où ils besognèrent avec le duc de Bourgogne et conseil du roi ; et de là s'en retournèrent à Rouen devers le roi d'Angleterre. Et lors, pour donner consolation aux Parisiens, leur fut envoyé Philippe, comte de Saint-Pol, neveu du duc de Bourgogne, âgé de quinze ans ou environ, lequel, audit lieu de Paris, fut constitué lieutenant du roi. Et avec ce

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