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venir, prirent ensemble conclusion de saillir dehors à puissance, et combattre un des siéges du roi d'Angleterre, et puis de là aller quérir ledit secours. Si se trouvèrent bien dix mille combattants, et la ville bien gardée. Et fut ordonné que chacun fût garni de vivres pour deux jours. Et quand tout fut prêt pour accomplir leur entreprise, et que déjàen avoit sailli bien deux mille sur les logis dudit roi où ils avoient fait grand dommage, et ainsi que les autres les devoient suivre par la porte de

vers le châtel et commençoient à issir, il leur advint que, secrètement et par mauvaiseté, on avoit scié les estaches (pieux) qui soutenoient le pont. Pourquoi, tantôt qu'ils commencèrent à monter sus, rompit, et churent plusieurs és fossés, desquels une partie furent morts et les autres blessés, dont ils furent fort émerveillés. Et tantôt se retrahirent à une autre porte, pour secourir et aider à leurs gens. Si les firent retraire et rentrer dedans la ville; mais, devant qu'ils les pussent ravoir, perdirent plusieurs de leurs gens; et d'autre part avoient fait grand dommage à leurs adversaires.

Après laquelle besogne on commença fort à murmurer contre l'honneur de messire Guy le Bouteillier, et fut mécru d'avoir fait scier le pont dessusdit.

Et tantôt après cette besogne, trépassa Laghen, bâtard d'Arly, de maladie qui lui survint; pour la mort duquel ceux de la communauté furent fort déconfortés; car, comme dit est ailleurs, ils se

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fioient plus en lui qu'en nul des autres capitaines.

Auquel temps messire Jean de Luxembourg prit à mariage Jeanne de Béthune, fille et héritière du vicomte de Meaux, laquelle par avant avoit eu épousé Robert de Bar, comte de Marle et de Soissons, et avoit une petite fille de l'âge de deux ans ou environ, héritière des dessusdites comtés. Lequel mariage fut traité en partie en la faveur du duc Jean de Bourgogne, et de son fils le comte de Charrolois. Et par ainsi le dessusdit de Luxenbourg à cette cause eut de grands seigneuries en gouvernement; et dedans un an ensuivant eut de la dame dessusdite un fils, lequel fut mort jeune; et aussi ledit duc de Bourgogne lui rendit plusieurs seigneuries, c'est à savoir Dunkerque, Varveston et autres, lesquelles il tenoit en sa main comme confisquées, pource que ledit messire Robert de Bar, en son vivant, tenoit parti contraire à lui.

CHAPITRE CCVII.

Comment on fit grand' assemblée de gens d'armes pour lever le siége de Rouen; de l'ambassade que firent de rechef les assiégés, et de la chevauchée de messire Jacques de Harcourt.

OR convient de retourner à l'état et gouvernenement du roi de France et du duc de Bourgogne. Vrai est que pour pourvoir à la délivrance de ceux de Rouen, mandèrent gens d'armes en plusieurs

parties du royaume où ils étoient, lesquels y vinrent en très grand nombre. Et se faisoit icelui mandement, au nom du roi, à venir entour Beauvais. Entre lesquels y vinrent à grand' puissance les seigneurs de Picardie, et autres sous eux, qui avoient accoutumé de porter armes; et en furent les pays où ils passèrent et séjournèrent moult travaillés. Et adonc le roi, la reine et le duc de Bourgogne; atout (avec) tout leur état, de Pontoise vinrent à Beauvais, afin d'avoir vivres plus abondamment. Auquel lieu furent tenus plusieurs détroits conseils pour avoir avis comment on secourroit ceux de la ville de Rouen; mais on ne pouvoit voir manière ́raisonnable, que faire se pût, pour la division qui étoit entre le dauphin et le duc de Bourgogne, et avecque ce que le roi d'Angleterre étoit trop puissamment accompagné. Et pour tant de plus en plus on manda gens d'armes et arbalêtriers par les bonnes villes de l'obéissance du roi.

Et entretemps le roi de France et le duc de Bourgogne étant à Beauvais, vinrent devers eux quatre gentilshommes et quatre bourgeois de ladite ville de Rouen, envoyés pour signifier au roi et à son conseil le misérable état de ladite ville. Lesquels, en la présence du roi et du duc de Bourgogne et de tout le conseil, dirent comment plusieurs milliers de gens étoient jà morts de faim dedans ladite ville, et que dès l'entrée d'octobre étoient contraints de manger chevaux, chiens, chats, souris, rats et autres choses non appartenant à créature

humaine. Et avecque ce, avoient déjà bouté hors de leur ville bien douze mille pauvres gens, hommes, femmes et enfants, desquels la plus grand' partie étoient morts dedans les fossés de la ville, piteusement. Et souvent falloit que les bonnes gens pitoyables tirassent les petits enfants nouveau-nés des femmes enceintes, qui étoient en leurs fossés, en paniers et autres choses, à mont, pour les faire baptiser, et après les rendoient aux mères; et moult en mouroit sans être chrétiennés ; lesquelles choses étoient moult grièves et piteuses à ouïr ra

conter.

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Et adonc dirent : <<< Vous, notre sire le roi, el vous noble duc de Bourgogne, les bonnes gens de Rouen vous ont jà par plusieurs fois signifié et » fait à savoir la grand' nécessité et détresse qu'ils souffrent pour vous; à quoi n'avez encore pourvu, comme promis aviez. Et pour tant cette dernière fois sommes envoyés devers vous pour vous non» cer de par lesdits assiégés, que si dedans brefs jours ils ne sont secourus, ils se rendront au roi anglois; et dès maintenant si ce ne faites, ils vous rendent la foi, serment, loyauté, service et obéissance qu'ils ont à vous. » Auxquels, par le roi et le duc de Bourgogne et le conseil fut répondu bénignement qu'encore n'étoit pas la puissance du roi si grande que pour lever ledit siége, dont moult leur déplaisoit ; mais au plaisir de Dieu bref seroient secourus. Ils demandèrent dedans quel terme. A quoi ledit duc fit réponse que ce se

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roit en dedans le quatrième jour après Noël, et sur ce retournèrent en ladite ville de Rouen au mieux qu'il purent, en grand péril pour le danger des assiégeants; et racontèrent à leurs gens ce qu'ils avoient besogné.

En outre, iceux assiégés de mal en pis étoient en grand' tristesse, et n'est nul qui sût raconter les grands misères et pauvretés que le menu peuple y souffrit de famine : car, comme il fut su véritablement, il mourut durant ledit siége, outre le nombre de cinquante mille personnes par ladite famine. Et mêmement les aucuns, quand ils véoient porter viandes par les rues, comme tout désespérés, y couroient pour la tollir. Et souvent en ce faisant souffroient qu'on les battît et navrât très cruellement; car par l'espace de trois mois entiers ne furent vendus quelques vivres dedans icelle ville sur les marchés; ainçois (mais) les vendoit-on à couvert. Et ce qui par avant le siége étoit vendu un denier du roi, on le vendoit lors vingt, trente ou quarante deniers; et encore pour nulle finance n'en pouvoient recouvrer le pauvre peuple. Pourquoi, comme dit est, y eut durant ledit siége dedans icelle ville moult de tribulations, lesquelles seroient trop longues à raconter. Et pouvoit être, quand les ambassadeurs, dont dessus est faite mention, retournèrent devers le roi et le duc de Bourgogne, environ mi-décembre

Durant lesquelles tempêtes messire Jacques de Harcourt et le seigneur de Moreul assemblèrent

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