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le conduisit hors de la ville aux champs, et là le fit le pape monter à cheval, et puis alla tenir sa cour à Genève, où il fut environ trois mois.

Et en ces propres jours, Henri, roi d'Angleterre, vint à Louviers en Normandie, qui s'étoit mise en son obéissance, et de là alla loger à l'abbaye de Bon-Port, de l'ordre de Cîteaux, assez près du Pont-de-l'Arche. De laquelle ville et châtel dudit Pont étoit capitaine, de par le roi de France, messire Jean de Graville. Auquel fut envoyé, de par le roi Henri, le seigneur de Cornouaille, pour lui signifier qu'il rendît ladite ville en l'obéissance du dessusdit roi anglois. Auquel Cornouaille il fut répondu, que ce il ne feroit pas. Et adonc ledit Cornouaille lui dit : « Graville, je vous affirme sur >> ma foi que demain, malgré vous et vos aidants, passerai l'eau de Seine; et si je la passe, vous >> me donnerez le meilleur coursier que vous ayez; » et si je ne la passe, je vous donnerai mon chapel d'acier, lequel je vous ferai valoir cinq cents >> nobles. >>>

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Après lesquelles paroles promises, se partirent assez contents l'un de l'autre. Et lors messire Jean de Graville manda gens hâtivement de toutes parts pour garder lesdits passages. Avec lequel s'assemblèrent messire Jacques de Harcourt, qui pour ce temps se tenoit à Estrepigny, et moult d'autres seigneurs et gentilshommes, jusques au nombre de huit cents combattants, et bien douze mille hommes du commun du pays. Toutefois, le lendemain,

comme ledit Cornouaille avoit promis, vint pour passer Seine alout (avec) huit petites nacelles, dedans lesquelles il se mit en l'eau, accompagné de son fils, âgé de quinze ans, de soixante combattants, et un seul cheval, chargé de petits canons et autres habillements de guerre. Si fit nager (naviguer) en une petite île, qui étoit au milieu de l'eau, de laquelle ils pouvoient pleinement traire sur les François dessusdits, qui gardoient le rivage. Lesquels François étant au nombre qui dit est dessus, sans faire aucune défense, se départirent en grand desroy (désordres), allant chacun où il pouvoit le mieux, sans tenir ordonnance; et ledit messire Jean de Graville s'en retourna au Pont-de-l'Arche, messire Jacques de Harcourt à Estrepigny, et les communes s'enfuirent ès bois.

Adonc, ledit Cornouaille et ses gens, ce voyant de l'île où ils étoient, passèrent outre par les bateaux dessusdits, et descendirent à terre. Si fit in. continent son fils chevalier, et tôt après passèrent par iceux bateaux, et autres qui furent amenés, environ mille combattants; desquels une partie alJerent escarmoucher avec Cornouaille devant le Pont-de-l'Arche, et les autres coururent les pays. Lequel Cornouaille, en parlant à messire Jean de Graville, lui dit qu'il s'étoit mal acquitté, et aussi les autres François, d'ainsi l'avoir laissé passer à si petite compagnie, attendu la grand' multitude qu'ils étoient. Et disoit outre et affirmoit, que s'il eût été en son lieu, atout (avec) ses soixante An

glois, il eût bien gardé le passage contre la puissance des rois de France et d'Angleterre.

En après, les Anglois dessusdits rassemblés, se logèrent en l'abbaye de Mortemer, en la forêt de Lihons. Pour lequel passage ainsi gagné, tout le pays de Caux, et autres marches à l'environ furent en grand effroi, non pas sans cause. Et le lendemain, le roi d'Angleterre fit passer l'eau de Seine à son frère le duc de Clarence, atout (avec) quatre mille combattants, et fit assiéger, des deux côtés de l'eau, la ville et le châtel du Pont-de l'Arche; et après fit faire un pont par-dessus Seine, au côté vers Rouen, pour passer à son aise quand bon lui sembleroit; lequel fut nommé le pont SaintGeorge; et se tint ledit siége environ trois semaines au bout duquel terme, ledit messire Jean de Graville, dessus nommé, rendit au roi d'Angleterre icelle ville et forteresse du Pont-de-l'Arche, moyennant et par condition que lui et les siens se partirent sauvement avec tous leurs biens. Et par ainsi le roi d'Angleterre eut l'autorité de passer la rivière du tout à son plaisir; et y mit très grand' garnison de ses gens, pour la doute desquels la plus grand' partie des laboureurs du pays se rendirent fugitifs avec leurs biens.

CHAPITRE CC.

Comment le duc de Touraine fit guerre; de la prise de la ville de Compiègne par le seigneur des Boqueaux; du mariage du duc de Brabant, et autres matières.

Or est vérité qu'en ce temps, messire Tanneguy du Châtel, le vicomte de Narbonne, Jean Louvet, président de Provence, maître Robert Masson, et aucuns autres gouverneurs du duc de Touraine, dauphin de Viennois, qui s'étoient partis de Paris, comme vous avez ouï, le commencèrent de plus en plus à induire de faire guerre contre le duc de Bourgogne et ses favorisants, jà-soit-ce que par plusieurs fois le dauphin eût été sommé et requis de par le roi son père, la reine et le duc de Bourgogne, de retourner avec eux, en lui offrant à lui faire tout honneur et obéissance; néanmoins n'y voulut aucunement entendre, mais commença de toutes parts à faire guerre, et se nommoit régent du royaume de France.

Esquels jours vinrent huit hommes tenant son parti, armés, couvertement à la portede Compiègne, au lez vers Pierrefons, avec un charreton menant bois dedans la ville. Et quand ils vinrent sur le pont, ils tuèrent un des chevaux de la charrette; pourquoi on ne put lever le pont-levis. Et tantôt

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tuèrent aucuns des gardes de la porte; et prestement à certaine enseigne qu'ils avoient ordonnée, vint le seigneur de Bosqueaux, atout (avec) cinq cents combattants qui étoient embûchés en la forêt; lesquels tantôt, sans trouver quelque défense, entrèrent dedans la ville, criant à haute voix : Vive le Roi et le dauphin » ! Et de première venue, tuèrent un nommé Boutry, lequel y 'avoit laissé Hector de Saveuse pour gouverner son hôtel; et avec lui aussi furent occis aucuns autres. Et aussi le seigneur de Crevecoeur, lors gouverneur de ladite ville, de par ledit Hector, oyant cet effroi, se retrahit dedans la tour Saint-Cornille, et avecque lui le seigneur de Chierues, Robinet Ogier, et aucuns autres; mais ce rien ne leur valut, car tantôt les convint rendre. Et après, les dessusdits dauphinois, sans délai, fustèrent (pillerent) toute la ville, prirent et ravirent tous ceux tenant la partie de Bourgogne, avecque leurs biens; et mêmement les habitants de la ville, qui aux dessusdits Bourguignons avoient été favorisants, furent pris, et leurs maisons pillées.

Ainsi, et par cette manière, recouvra le seigneur de Bosqueaux et ses aidants la ville de Compiègne, au nom du duc de Touraine, dauphin, pour lequel il commença à mener très forte guerre ès pays. à l'environ. Et envoya ledit seigneur de Crevecœur et de Chiernes prisonniers dedans le châtel de Pierrefons. Duquel châtel ils cuidèrent échapper par le moyen du frère dudit seigneur de Chie

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