Imágenes de página
PDF
ePub

& le dédain altier, & la domination féroce, & la pitié de l'orgueil, plus cruelle encore que le mépris. C'étoit à la Philofophie fur le trône à venger ces infultes faites au genre humain, O vous qui n'êtes ni Patriciens, ni Sénateurs, ni riches, mais qui êtes des citoyens & des hommes, je ne crains pas que vos imprécations fecrètes fe mêlent aux louanges dont j'honore la mémoire de vôtre Empereur! Sa bonté compatiffante ne voyoit dans tous les ordres de l'Etat qu'une fociété nom breufe de frères, de parens & d'amis. Que de fois vous l'avez vụ s'attendrir fur vos befoins, les adoucir par fes largeffes, pénétrer, pour les connoître, jufque dans l'enceinte de vos familles pour vous confoler de vos ! travaux, il vous prodiguoit les divertiffemens & les fêtes ; & par l'attrait des fpectacles, arrachant le pauvre à luimême, il fufpendoit le fentiment de

Tes maux, ou lui faifoit oublier, quelques inftans du moins, les biens dont il ne jouiffoit pas. Sous lui, le nom le plus obfcur ne fut point une exclufion aux charges & aux dignités de l'Empire. Pour diftinguer les rangs, Marc-Aurèle confulte les préjugés ; pour apprécier les hommes, il ne juge que les hommes. Des mains qui avoient conduit le foc de la charrue ont guidé fous lui les gardes Prétoriennes ; & pour choisir un époux à fa fille, il jeta les yeux fur Pompéïen, qui, au lieu d'ancêtres, n'avoit que du mérite : l'alliance avec la vertu, difoit-il, ne peut déshonorer le Maître du Monde.

Dans ce moment Apollonius, en promenant fes regards fur l'affemblée du Peuple Romain, apperçut Pertinax ; c'étoit un Guerrier célèbre par des victoires; & fon mérite devoit l'élever un jour à l'Empire. Il venoit de rentrer dans Rome avec une partie

de l'armée, accompagnant le corps de Marc-Aurèle. Il étoit un peu éloigné de la foule, les mains appuyées fur falance, & adoffé triftement contre une colonne. Tout-à-coup Apollonius lui adreffant la parole; C'est toi que j'atteste encore, Ô Pertinax, dit-il; tu as le courage d'avouer que ton père avoit été efclave, & mourut affranchi; tu n'en as-que plus de droit à nos respects. J'ose te rappeler ici une difgrace qui ne t'honore pas moins que ton Empereur. Tu fus accufé, il fut furpris, & tu parus coupable. Bientôt ton innocence éclata; Marc-Aurèle fut affez grand pour te pardonner l'outrage qu'il t'avoit fait. Il te nomma Sénateur & Conful; des hommes qui fe croyoient tes rivaux, osèrent dire que la gloire du Confulat étoit avilié par ta naissance. » Eh quoi! » s'écria Marc-Aurèle, la place des Scipions avilie par un Guerrier qui

» leur reffemble «!

Celui qui élevoit ainfi les Plébéïens illuftres, ne pouvoit oublier la nobleffe de l'Empire; mais il veut qu'elle appuie fes titres par fes actions. Si elle n'eft que faftueuse, il la dédaigne; fi elle a des vertus, il l'honore; fi elle eft pauvre, il la foutient : il ne veut point que dans une ville corrompue par le luxe, des ames dont le devoir eft d'être généreuses, defcendent à des moyens honteux de s'enrichir.

En parlant de la protection que Marc-Aurèle accorda aux hommes utiles de tous les rangs, puis je oublier, Romains, celle qu'il nous accordoit à nous-mêmes & à tous ceux qui, comme lui, cultivoient leur raifon par l'étude? Je prends les Dieux à témoin que ce n'eft point le fouvenir d'un lâche intérêt qui, dans ce moment, me fait louer mon Empereur. Si pendant foixante ans je n'ai ni afpiré à des honneurs, ni brigué deş

richeffes; fi aimé de Marc-Aurèle, j'ai juftifié mon pouvoir par ma conduite; fi, outragé quelquefois, je n'ai jamais répondu à la haine que par des bienfaits, & à la calomnie que par mes actions; j'ai peut-être le droit de parler de tout ce que ce grand homme a fait pour la Philosophie & pour les Lettres. Je ne fais si elles auront encore un jour des ennemis dans Rome; je ne fais fi la profcription & l'exil deviendront encore notre partage; mais dans aucun temps, on ne pourra étouffer en nous le cri de la Nature, qui nous avertit que les peuples ont le droit d'être heureux. Nous pleurerons fur les maux du genre humain; & lorfqu'en quelque partie du monde il s'élevera un Prince comme Marc-Aurèle, qui annoncera qu'il veut placer avec lui fur le trône la morale & les lumieres, du fond de nos retraites nous leverons tous en

« AnteriorContinuar »