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déplaire aux hommes pour les fervir; il consentit à leur être odieux pour leur être utile.

Il avoit pesé les maux; il voulut pefer les biens.

pour

» Je me demandai, dit-il, ce que c'étoit que la réputation; un cri qui s'élève & qui meurt dans un coin de la terre. Et les louanges des Cours? Un tribut de l'intérêt au pouvoir, ou de la bassesse à l'orgueil. Et l'autorité? Le plus grand des malheurs qui n'est pas le plus vertueux des hommes. Et la vie? ..... En ce moment, j'apperçus dans le lieu où je méditois, un de ces inftrumens de sable qui mesurent le temps. Mon œeil s'y fixa; je regardai ces grains de pouffière qui, en tombant, marquoient les portions de la durée. Marc-Aurèle, me dis-je, le temps t'a été donné être utile aux hommes : qu'as-tu déjà pour eux? La vie s'enfuit, les

fait

pour

années fe précipitent, elles tombent les unes fur les autres comme ces grains de fable. Hâte-toi : tu es placé entre deux abîmes; celui du temps qui t'a précédé, & celui du temps qui doit te fuivre. Entre ces deux abîmes ta vie eft un point; qu'elle foit marquée par tes vertus. Sois bienfaisant, aye l'ame libre, méprife la

mort «.

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En prononçant ce mot (il me l'a dit fouvent lui-même), il fentit fon ame étonnée. Il réfléchit un moment continua.

&

Quoi! la mort t'épouvante! Va, mourir n'eft qu'une action de la vie& la plus aifée peut-être. La mort eft la fin des combats; elle est le moment où tu pourras dire, Enfin ma vertu m'appartient; c'est elle qui t'affranchira du plus grand des dancelui de devenir méchant.

gers,

Marc-Aurèle, tu es embarqué, fuis ta route; & quand tu verras approcher le terme, fors du vaiffeau, & remercie les Dieux fur le rivage «.

C'est ainsi qu'il parcourut fucceffivement prefque tous les objets qui agitent & troublent l'homme, pour apprendre à les juger, & conformer en tout les vûes aux vûes de la Nature. Il s'étoit mis en garde contre les opinions; il voulut fe mettre en garde contre fes fens. Prince, il femble en effet que l'homme fe combatte & foit oppofé à lui-même. Ma raison fait ma force; mes fens font ma foibleffe. C'eft ma raison qui m'élève jufqu'aux idécs de l'ordre & du bien général ce font mes fens qui me rabaiffent aux vûes perfonnelles, & me font descendre jufqu'à moi. Ainsi ma raifon m'ennoblit, & mes fens m'aviliffent. Ton père, pour fe rendre libre, voulut donc les rendre esclaves.

Dès ce moment il fe dévoua à un

genre de vie auftère, & il se dit:

:

Je dompterai mes paffions, & de toutes la plus terrible, parce qu'elle eft la plus douce, l'amour des voluptés. La vie est un combat; il faut lutter fans cesse. Je fuirai le luxe 2 parce que le luxe énerve l'ame par tous les fens je le fuirai, parce que chez un Prince le luxe épuife des tréfors pour fatisfaire à des caprices. Je vivrai de peu, comme si j'étois pauvre : quoique Prince, je n'ai que les befoins d'un homme. Je ne donnerai au fommeil que le temps que je ne pourrai lui ravir. Je me dirai tous les matins: Voici l'heure où les crimes afsoupis s'éveillent, où les paffions & les vices s'emparent de l'Univers, où le malheureux renaît au fentiment de fes maux, où l'opprimé, en s'agitant dans fa prifon, retrouve le poids de

fes chaînes. C'est à la vertu, c'est à la bienfaisance, c'est à l'autorité facrée des Loix à s'éveiller au même instant. Que les travaux feuls foient le délaffement de mes travaux. Si l'étude & les affaires rempliffent toutes mes heures, le plaifir n'en trouvera aucune de vide pour s'en emparer «

Ici, Commode, d'une voix émue, interrompit encore Apollonius. Eh quoi! tous les plaifirs font-ils interdits à un Prince?

Ton père s'eft dit la même chose, reprit le Philofophe; & voici ce qu'il s'eft répondu.

Non, Marc-Aurèle, tu ne feras pas privé de tous les plaifirs; & les Dieux t'ont réfervé les plus touchans & les plus purs. Tes plaifirs feront de confoler la douleur, d'adoucir l'infortune. Tes plaisirs feront de foulager d'un mot une Province, de

pouvoir

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