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nement du monde. Pour bien gouverner, tu dois donc prendre l'efprit de Dieu même. Elève-toi jufqu'à lui; médite ce grand Etre ; va puiser dans fon fein l'amour de l'ordre & du bien général; que l'harmonie de l'Univers t'apprenne quelle doit être l'harmonie de ton Empire. Les préjugés & les paffions qui dominent tant d'hommes & de Princes', s'anéantiront toi. Tu ne verras plus que tes devoirs & Dieu, & cette raifon fuprême qui doit être ton modèle & ta loi «.

pour

Mais la volonté de la fuivre en tout, ne te fuffit pas; il faut que l'erreur ne puiffe t'égarer. Alors je commençai à faire la revue de toutes mes opinions, & je comparai chacune de mes idées avec l'idée éternelle du vrai & du jufte. Je vis qu'il n'y avoit de bien que ce qui étoit utile à la fociété & conforme à l'or

dre; de mal, que ce qui leur étoit contraire. J'examinai les maux phyfiques; je n'y apperçus que l'effet inévitable des loix de l'Univers. Bientôt je voulus méditer fur la douleur : la nuit étoit déjà avancée; le besoin du fommeil fatiguoit ma paupière; je luttai quelque temps; enfin je fus obligé de céder, & je m'assoupis; mais dans cet intervalle, je crus avoir un fonge. Il me fembla voir dans un vafte portique une multitude d'honmes raffemblés; ils avoient tous quelque chofe d'augufte & de grand. Quoique je n'euffe jamais vécu avec eux, leurs traits pourtant ne m'étoient pas étrangers, je crus me rappeler que j'avois fouvent contemplé leurs ftatues dans Rome. Je les regardois tous, quand une voix terrible & forte retentit fous le portique, Mortels, apprenez à fouffrir. Au même instant, devant l'un je vis s'allumer

des flammes, & il y pofa la main. On apporta à l'autre du poison ; il but, & fit une libation aux Dieux. Le troifième étoit debout auprès d'une ftatue de la Liberté brifée; il tenoit d'une main un livre; de l'autre il prit une épée, dont il regardoit la pointe. Plus loin, je diftinguai un homme tout sanglant, mais calme, & plus tranquille que fes bourreaux; je courus à lui en m'écriant: O Régulus! eft-ce toi? Je ne pus foutenir le fpectacle de fes maux, & je détournai mes regards. Alors j'apperçus Fabrice dans la pauvreté, Scipion mourant dans l'exil, Epicète écrivant dans les chaînes, Senèque & Thraféas les veines ouvertes, & regardant d'un oeil tranquille leur fang couler. Environné de tous ces grands hommes malheuje verfois des larmes ; ils parurent étonnés. L'un d'eux, ce fut Caton, approcha de moi, & me dit : Ne

reux,

nous plains pas, mais imite-nous; & toi aussi, apprends à vaincre la douleur. Cependant il me parut prêt à tourner contre lui le fer qu'il tenoit à ́la main; je voulus l'arrêter; je frémis &je m'éveillai. Je réfléchis fur ce fonge, & je conçus que ces prétendus maux n'avoient pas le droit d'ébranler mon courage; je réfolus d'être homme, de fouffrir, & de faire le bien «.

Mais il eft, dit Apollonius, des maux plus fenfibles & qui touchent à l'ame de plus près c'est l'ingratitude, c'est l'offenfe, c'est la calomnie, ce font tous les vices des méchans qui nous tourmentent & nous fatiguent. MarcAurèle fe demande fi tous ces hommes vils ou cruels méritent qu'on leur faffe du bien.

Philofophe, dit brufquement le jeune Empereur, & moi aulli, je te fais la même demande.

Empereur, dit Apollonius, je vais te lire la réponse de ton prédéceffeur & de ton père. Il pèfe en filence tous les maux que l'homme fait à l'homme, & fe dit à lui-même:

"La fource de tes actions doit être dans ton ame, & non dans l'ame des autres. On t'offenfe ; qu'importe ? Dieu eft ton légiflateur & ton juge.

11 y a des méchans ! Ils te font utiles; fans eux, qu'aurois-tu befoin de vertus? Tu te plains des ingrats! Imite la Nature; elle donne tout aux hommes & n'en attend rien. Mais l'outrage? L'outrage avilit celui qui le fait, & non celui qui le reçoit. Et la calomnie? Remercie les Dieux de ce que tes ennemis, pour dire du mal de toi, ont recours au menfonge. Mais la honte? eft-il de la honte pour l'homme jufte?

Il résolut donc, s'il le falloit, de

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