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tu dois faire tout ce qui eft utile à l'homme de là tous les devoirs d'ami, d'époux, de père, de citoyen. Souffrir ce que la nature de l'Univers t'impofe, faire ce que ta nature d'homme exige; voilà tes deux règles. Je conçus alors ce que c'étoit que la vertu, & je ne craignis plus de m'égarer «.

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Ici Apollonius s'interrompant, s'adreffa au fils de Marc-Aurèle. Empereur, s'écria-t-il, ce que tu viens d'entendre, convient à tous les hommes, & pouvoit être la Philofophie d'Epictère, comme celle de ton père: mais ce qui fuit t'appartient. C'est la philofophie du Prince; c'eft celle de tous les hommes qui feront dignes de régner: puiffe-t-elle devenir la tienne! Ecoute ton prédéceffeur & ton père. Alors il reprit ainfi :

Bientôt ramenant toutes

mes

idées à moi-même, je voulus appli

quer ces principes à ma conduite. J'avois reconnu quelle étoit ma place dans l'Univers ; je regardai quelle étoit ma place dans la fociété ; je vis avec effroi que j'y occupois le rang de Prince. Marc-Aurèle, fi tu étois confondu dans la foule, tu n'aurois à répondre à la Nature que de toi, mais des millions d'hommes t'obéiront un jour le degré de bonheur dont chacun peut jouir, est marqué; tout ce qui manquera par ta faute à ce bonheur, fera ton crime. Si dans le monde entier il coule une larme que tu ayes pu prévenir, tu es coupable. La Nature indignée te dira: Je t'ai confié mes enfans pour les rendre heureux; qu'en as-tu fait? Pourquoi ai-je entendu des gémissemens fur la terre ? Pourquoi les hommes ont-ils levé leurs mains vers moi, pour me prier d'abréger leurs jours? Pourquoi la mère a-t-elle

pleuré fur fon fils, qui venoit de naître? Pourquoi la moiffon que j'avois deftinée à nourrir le pauvre, a-t-elle été arrachée de fa cabane? Que répondras-tu? les maux des hommes dépoferont contre toi, & la Juftice qui t'observe, gravera ton nom parmi les noms des mauvais Princes «.

Ici le peuple fe mit à crier, jamais, jamais. Mille voix s'élevèrent enfemble. L'un difoit: Tu as été netre père; un autre, Tu ne fouffris jamais d'oppreffeurs; d'autres, Tu as foulagé tous nos maux; & des milliers d'hommes à la fois, Nous t'avons béni, nous te béniffons. O fage, ó clément ô jufte Empereur, que ta mémoire foit fainte, qu'elle foit adorée à jamais! Elle le fera, repric Apollonius, & le fera dans tous les fiècles mais c'eft en s'effrayant lui-même des maux qu'il auroit pu vous caufer, qu'il cft parvenu à vous

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rendre heureux, & à mériter ces acclamations qui retentiffent fur fa tombe. Ecoutez ce qu'il ajoute.

» Pour empêcher que ton nom ne foit flétri, connois tes devoirs ; ils embraffent toutes les nations; ils renaissent à chaque heure & à chaque inftant. La mort feule d'un citoyen finit tes obligations envers lui; mais la naiffance de chaque citoyen t'impofe un nouveau devoir. Tu dois travailler le jour, parce que le jour est destiné à l'action pour l'homme; fouvent tu dois veiller la nuit, parce que le crime veille tandis que le Prince dort. Il faut protéger la foiblesse; il faut enchaîner la force. Marc-Aurèle, ne parle pas de délassemens; il n'y en a plus pour toi, que lorfqu'il n'y aura plus fur la terre de malheureux ni de coupables «<.

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voulus connoître les moyens que j'avois pour les remplir; & mon effroi redoubla. Je vis que mes obligations étoient au deffus d'un homme, & que mes facultés n'étoient que celles d'un homme. Il faudroit que l'oeil du Prince pût embraffer ce qui eft à des diftances immenfes de lui, & que tous les lieux de fon Empire fuffent raffemblés, en un feul point, fous fon regard. Il faudroit que fon oreille pût être frappée à la fois de tous les gémissemens, de toutes les plaintes, de tous les cris de fes fujets. Il faudroit fa force fût auffi prompte que fa volonté, pour détruire & combattre fans ceffe toutes les forces qui luttent contre le bien général. Mais le Prince a des organes auffi foibles que le dernier de fes fujets. MarcAurèle, entre la vérité & toi, il y aura continuellement des fleuves, des montagnes, des mers; fouvent tu n'em Bs

que

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