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route que l'homme doit fuivre. Le lieu & le temps favorifoient mes réflexions. La nuit étoit profonde & calme. Tout reposoit autour de moi. J'entendois feulement près de mon Palais les eaux du Tibre un peu agitées. Mais ce bruit continu & fourd, étoit lui-même favorable à la pensée, & je me livrai aux médita tions fuivantes :

2 Pour favoir ce que c'eft que la vertu, il faut favoir d'abord ce que c'est que l'homme. Je me demandai, qui fuis-je ? Je reconnus en moi des fens une intelligence, & une volonté; & je me vis jeté comme au hafard, & par une main inconnue, fur la furface de la terre. Mais d'où viens-je? & qui m'a placé ici? Pour me répondre, je fus obligé de fortir de moi-même & d'interroger la Nature. Alors mes yeux fe promenèrent autour de moi, & je contem

plai

plai l'univers. En voyant cet affemblage infini d'êtres qui le compofent, ces mondes ajoutés à des mondes, & moi, fi petit & fi foible, relégué dans un coin de la terre, & comme perdu dans l'immenfité, je fus découragé un moment. Quoi donc ! me difois-je à moi-même, fuis-je quelque chofe dans la Nature? Le fouvenir de mon intelligence me ranima toutà-coup Marc-Aurèle, ce qui pense ne peut être perdu dans la foule. Alors je continuai mes recherches, & obfervant tout, j'examinai la marche de l'Univers. Je fus frappé de l'harmonie que j'appercevois par-tout. Je vis que dans les cieux, fur la terre, tous les êtres fe prêtent mutuellement des fecours. L'Univers me dis-je, est donc un tout immenfe, dont toutes les parties fe correfpondent. La grandeur & la fimplicité de cette idée éleva mon ame. Bientôt cette harmonie me fit

B

naître l'idée néceffaire d'une caufe. Pour combiner tant de moyens, & de tant d'êtres féparés ne former, pour ainfi dire, qu'un être unique, il faut une aine intelligente. J'appelai cette ame, l'ame universelle (1); je l'appelai Dieu. A ce nom, j'éprouvai une émotion religieufe, & l'Univers me parut quelque chofe de facré, J'avois trouvé un point d'appui, je m'y arrêtai. J'attribuai à cette cause tous les effets. Je vis que c'eft elle qui a imprimé un caractère d'unité à tout ce qui exifte. C'eft elle qui a donné à cette foule innombrable d'êtres, ou inanimés ou fenfibles, la loi qui les unit , pour les faire fervir à la fois, & au bien l'un de l'autre, & à

(1) On fait ici parler Marc-Aurèle d'après le fyftème des Stoïciens. Il avoit adopté les principes de cette Secte ; & ces principes fe retrou vent dans tout fon ouvrage.

l'harmonie de l'enfemble. Mais c'eft fur-tout dans les êtres intelligens que cette loi primitive me parut agir avec plus de force. Les hommes, par un instinct fecret, fe cherchent & s'attirent. En vain l'intérêt des paffions les divife, une force plus impérieufe les rapproche. Il femble que l'être qui penfe, foit abandonné & folitaire au milieu de l'Univers physique, & la pensée a besoin du commerce de la penfée. Une feconde chaîne vint s'offrir à moi, ce fut celle des befoins. Enfin je vis les hommes réunis d'une manière plus étroite encore. Il n'y a pour toutes les ames qu'une même raison, comme pour tous les êtres phyfiques qu'une même lumière. S'il n'y a qu'une raison, il n'y a qu'une loi. Les hommes de tous les pays & de tous les fiecles, font donc foumis à la même législation. Ils font tous concitoyens de la même ville; cette

ville eft l'Univers. Alors je crus voir tomber autour de moi toutes les barrières qui féparent les nations; & je ne vis plus qu'une famille & qu'un peuple.

» J'étois parvenu à voir que par l'ordre même de la Nature, il ya fociété entre tous les hommes. Dès ce moment je me considérai fous un double rapport. Je me vis comme une foible partie de l'Univers, englouti dans le tout, entraîné par le mouvement général qui entraîne tous les êtres je me regardai enfuite comme détaché de ce tout immense, & lié par un rapport particulier avec les hommes. Comme partie du tout, Marc-Aurèle, tu dois recevoir fans qui eft une fuite de l'ordre général de là naît la conftance dans les maux, & le courage qui n'elt que la foumiffion d'une ame

murmure ce

forte. Comme partie de la fociété,

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