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Votre Empereur, dès fon enfance, fut paffionné pour elle. Il ne chercha. point à s'égarer dans des connois→ fances inutiles à l'homme. Il vit bientôt que l'étude de la Nature étoit un abime, & rapporta la Philofophie toute entière aux moeurs. D'abord il promena fes regards fur les différentes Sectes qui étoient autour de lui; il en diftingua une qui apprenoit à l'homme à s'élever au deffus de lui'même. Elle lui découvrit, pour ainsi dire, un monde nouveau, où le plaifir & la douleur font comme anéantis ; où les fens ont perdu tout leur pouvoir fur l'ame, où la pauvreté, les richeffes, la vie, la mort ne font rien, où la vertu exifte feule. Romains, c'est cette Philofophie qui vous a donné Caton & Brutus. C'est elle qui les foutint au milieu des ruines de la liberté. Elle s'étendit enfuite & fe multiplia fous vos Tyrans.

Il femble qu'elle étoit devenue comme un befoin pour vos ancêtres oppri més, dont la vie incertaine étoit fans ceffe fous la hache du defpotisme. Dans ces temps d'opprobre, feule elle conferva la dignité de la Nature humaine. Elle apprenoit à vivre; elle apprenoit à mourir : & tandis que la tyrannie dégradoit les ames, elle les relevoit avec plus de force & de grandeur. Cette mâle Philosophie fut faite de tout temps pour les ames fortes. Marc-Aurèle s'y livra avec tranfport dès ce moment il n'eut qu'une paffion, celle de fe former aux vertus les plus pénibles. Tout ce qui pouvoit l'aider dans ce defsein étoit pour lui un bienfait du Ciel. Il remarqua comme un des jours les plus heureux de fa vie, celui de fon enfance, où il entendit, pour la première fois, parler de Caton. Il garda avec reconnoiffance les noms de ceux

qui lui avoient fait connoître Brutus & Thraféas. I remercia les Dieux d'avoir pu lire les maximes d'Epictète. Son ame s'uniffoit à ces ames extraordinaires, qui avoient existé avant lui. Recevez-moi, disoit-il, parmi vous; éclairez mon efprit, élevez mes fentimens ; que j'apprenne à n'aimer que ce qui eft vrai, à ne faire que ce qui eft jufte. Pour mieux affermir la vertu dans fon cœur, il voulut pénétrer lui-même jusqu'à la fource de fes devoirs ; il voulut découvrir, s'il étoit poffible, le vrai deffein de la Nature fur l'homme. Ici, Romains, va s'offrir à vous tout le développement de l'ame de Marc'Aurèle, l'enchaînement de ses idées les principes fur lesquels il appuya sa vie morale. Ce n'eft pas moi qui vous offrirai ce tableau, c'eft Marc-Aurèle lui-même. Je vais vous lire un écrit qu'il a tracé de fes mains, il y a plus

de trente ans. Il n'étoit point encore Empereur. Tiens, me dit-il, Apoltonius, prends cet écrit, & fi jamais je m'écarte des fentimens que ma main a traces, fais-moi rougir aux yeux de l'Univers. Romains, & toi fon Succeffeur & fon fils, vous allez juger fi Marc-Aurèle a conformé fa conduite à ces grandes idées, & s'il s'eft écarté une feule fois du plan qu'il a cru lire dans la Nature.

Ici le Philofophe s'arrêta un moment. La foule innombrable des citoyens qui l'écoutoient, fe ferra pour l'entendre de plus près. A un grand mouvement fuccéda bientôt un grand filence. Seul entre le peuple & le Philofophe, le nouvel Empereur étoit inquiet & penfif. Apollonius avoit une main appuyée fur la tombe; de l'autre il tenoit un papier écrit de la main de Marc-Aurèle. Il reprit la parole, & lut ce qui fuit:

Entretien de MARC-AURÈLE avec lui-même *.

JE méditois pendant la nuit. Je cherchois en quoi confifte ce qui est bon; fur quoi eft fondé ce qui eft jufte. Marc-Aurèle me difois-je, jusqu'à préfent tu as été vertueux, ou du moins tu as voulu l'être; mais qui tè garantit que tu le voudras toujours? Qui t'a dit même, que ce que tu nommes vertu, l'eft en effet? Je fus effrayé de ce doute, & réfolus de remonter, s'il étoit poffible, jufqu'aux premiers principes, pour m'affurer de moi-même & connoître la

* On fait que Marc-Aurèle a-laiffé un ouvrage intitulé De lui-même à lui-même; ouvrage qui refpire la philofophie la plus élevée & la morale la plus pure. On a tâché ici d'en prendre Tefprit général.

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