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avare. Les fecours fe multiplient, les canaux de l'abondance font r'ouverts; le barbare monopoleur frémit d'être obligé de rendre la vie aux malheu

reux.

Un cœur tel que le fien devoit être inacceffible à tous ces vils intérêts qui dégradent les ames communes. Serat-il féduit par la faveur ? Il ne voit rien dans l'univers qu'un homme puiffe recevoir en échange pour fa vertu. Sera-t-il intimidé par la crainte? Après la gloire de faire le bien, la plus grande eft celle d'être malheureux pour l'avoir fait.

Louis XIV trompé (10) (car les plus grands Rois peuvent l'être) veut le forcer de fe plier à une entreprise que réprouvent les loix: rien n'ébranle fa fermeté; il préfère à la volonté de l'homme, qui n'eft que paffagère, celle du légiflateur, qui eft immuable. Cependant l'orage fe forme. D AGUESSEAU ne voit que le bien de l'état. Je dois tout à mon Roi, ex

cepté le facrifice de fes intérêts ou de ceux de fon peuple. Il attend une difgrace pour récompenfe; mais les temps n'étoient pas encore arrivés. Tout change; la tempête fe calme; & Ariftide, quoique jufte, refte encore dans fa patrie.

On eût dit que le ciel prêt à l'élever à la première place de la magistrature, vouloit l'éprouver. Le Chancelier meurt (11). Au même instant DAGUESSEAU eft revêtu de cette dignité. S'il en avoit été moins digne; il auroit cru la mériter. Son élévation ne lui coûta pas même un defir. O vertu! tu n'es donc pas toujours perfécutée fur la terre! Il eft doux de pouvoir apprendre aux hommes que quelquefois auffi les honneurs te cherchent, & viennent embellir ta fimple modeftie.

Porté tout-à-coup dans une place qu'il n'attendoit pas, ne defiroit pas, mais dont il fent toute la grandeur,

le nouveau Chancelier contemple avec un effroi mêlé de refpect, le nombre & l'étendue de fes devoirs. En effet, qu'eft-ce qu'un Chancelier? C'est un homme qui eft dépofitaire de la partie la plus importante & la plus facrée de l'autorité du Prince; qui doit, veiller fur tout l'empire de la juftice; entretenir la vigueur des loix, qui tendent toujours à s'affoiblir; ranimer les loix utiles, que les temps ou les paffions des hommes ont anéanties; en créer de nouvelles, lorfque la corruption augmentée, ou de nouveaux befoins découverts exigent de nouveaux remèdes; les faire exécuter, ce qui eft plus difficile encore que de les créer; obferver d'un œil attentif les maux, qui dans l'ordre politique fe mêlent toujours au bien; corriger ceux qui peuvent l'être; fouffrir ceux qui tiennent à la constitution de l'état, mais en les fouffrant, les refferrer dans les bornes de la néceffité; connoître &

maintenir les droits de tous les tribunaux; diftribuer toutes les charges à des citoyens dignes de fervir l'état ; juger ceux qui jugent les hommes; fçavoir ce qu'il faut pardonner & punir dans des magiftrats dont la nature eft d'être foibles, & le devoir de ne pas l'être; préfider à tous ces confeils où fe difcute le fort des peuples; balancer la clémence du Prince & l'intérêt de la justice; être auprès du Souverain le protecteur & non le calomniateur de la nation.

Tel eft le fardeau immenfe que porte DAGUESSEAU. Il veut que la justice qui eft dans fon cœur, règne autour de lui. Elle l'accompagne dans les confeils des Rois. Les viles intrigues, les noirceurs de la politique, tous ces crimes que l'on appelle fcience du gouvernement, difparoiffent devant lui. Il ofe croire que ce qui eft utile n'eft pas toujours jufte.

Je ne louerai point DAGUESSEAU

d'avoir eu affez d'humanité pour détester ces abus, qui font que la justice destinée à foulager le pauvre & le foible, n'eft plus que pour le riche & le puiffant; qui écrafent le bon droit par les formalités, & l'anéantissent par les lenteurs; qui égorgent le malheureux avec le glaive des loix; nourriffent l'avarice de quelques hommes de la fubftance de mille citoyens, & font un brigandage de la juftice même. Pour détefter de pareils abus, la probité fuffit. Mais ce que je louerai dans lui, c'est d'être remonté jusqu'à la source du mal, en réformant les loix.

Le plus grand, le plus beau caractère de la législation, c'est l'unité de principes; c'est de partir toujours d'après les mêmes idées, de tendre au même but, d'établir une harmonie générale entre toutes les loix, de s'approprier tellement à un peuple, qu'elle lui appartienne, comme fes mœurs, fon fol & fon climat. Celle de la

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