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ferment qu'il fit dans son cœur, il le remplit pendant quatre-vingts ans, Ainfi confacré à l'état, il renonce à toute autre paffion. Appliqué fans relâche aux travaux de la magiftrature, le devoir le ramène à des détails épineux, lors même que le génie femble les fuir; & par un héroïfme bien rare, il préfère quelquefois l'avantage d'être utile, à l'honneur d'être grand.

Démêler l'erreur & le menfonge à travers le labyrinthe des procédures; diffiper les ombres dont la vérité est toujours couverte par elle-même, & celles dont l'obfcurcit encore la méchanceté des hommes; approfondir les plus grandes queftions, & ne pas négliger les plus fimples; suppléer par la réflexion aux fecours tardifs de l'expérience; arracher les épines dont les affaires font femées, & y répandre l'ordre & la lumière; mêler par-tout la profondeur du raisonnement aux charmes de l'éloquence; diriger la

balance de la juftice, & lui donner le mouvement du côté où elle doit pencher; tels font les foins & les travaux qui l'occupent fans ceffe, dans la place d'Avocat-général.

Ce Parlement, qui depuis tant d'années étoit accoutumé à voir des hommes célèbres remplir cette honorable & pénible fonction, parut étonné lorfqu'il entendit DAGUESSEAU pour la première fois. Le fénat crut voir revivre tous fes anciens oracles; le fiècle de Louis XIV compta un grand Homme de plus.

La gloire qui pour tant d'autres n'eft que le fruit du le fruit du temps, & quelquefois même le tribut tardif de la postérité, plus juste pour DAGUESSEAU, l'accompagne dès fa jeuneffe. Cette gloire lui présageoit son élévation. Un Roi fous qui la France a développé toutes fes forces; fans qui peut-être elle n'auroit eu ni Colbert, ni Turenne, ni Baffuet; qui créa les

grands Hommes, &, ce qui eft une feconde création pour l'état, qui fut les employer; Louis XIV parmi la foule des magiftrats, avoit démêlé le jeune DAGUESSEAU, & dès lors il l'avoit regardé comme un de ces hommes nés pour être l'instrument du bonheur public.

Ce n'est point assez que dans une monarchie il y ait un corps qui foit dépofitaire des loix, qui les faffe exécuter par le citoyen, qui les rappelle au Prince, dont le zèle courageux & fage concoure à l'ordre politique, & dont l'autorité inviolable préfide à l'ordre civil: il faut que dans ce Corps

il

y ait un homme qui repréfente la Patrie, qui veille à tous fes intérêts, qui les porte fous les yeux des magiftrats, & qui fuive tous ces refforts multipliés, dont l'accord produit l'ordre général. DAGUESSEAU eft chargé d'un ministère fi important (6). Sa jeuneffe n'allarme point la France. La

médiocrité fe forme avec lenteur; les grands Hommes le font tout-à-coup, & ne paffent point par ces degrés qui font les marques de notre foiblefle. Placé entre l'autel & le trône, il veille tel qu'un génie tutélaire, à la garde de ces bornes immuables qui féparent le facerdoce & l'empire. L'étendue de fes fonctions ne rallentit point fes travaux. Son ame fe multiplie pour fes concitoyens & pour fon Prince (7).

C'étoit à Caton à être le cenfeur de Rome: c'étoit à DA GUESSEAU à l'être du fénat de la France. Sous lui le foible apprit que ce n'eft point être criminel, que d'ètre odieux à un homme puiffant; & le pauvre connut avec étonnement que malgré fa mifère, il lui étoit encore permis de réclamer les loix (8). Protecteur des malheureux, ce titre qu'il tient de l'état, il le préfère à tous les titres qu'inventa la vanité, & que la baffeffe donne à l'orgueil.

Pourquoi ne puis-je louer un homme illuftre, fans retracer les maux de la France? Attaquée par des ennemis heureux & implacables, elle foutenoit avec peine une guerre ruineufe. Huit ans de combats avoient été huit ans de défaftres. Ce fut alors qu'un hiver cruel (9) refferrant les entrailles de la terre, fit périr toute l'efpérance des moiffons; & Louis XIV presque chancelant fur fon trône, voyoit d'un côté fes troupes fugitives & fes villes ouvertes; de l'autre un peuple immenfe & mourant, dont les mains tendues vers lui, demandoient inutilement du pain. Le dirai-je? Il y avoit des hommes qui tenoient enfermés dans des magafins les bleds, aliment néceffaire des malheureux; des hommes qui espéroient la famine & la mort, & calculoient chaque jour le degré de la misère publique, pour s'affurer du profit qu'on en pouvoit tirer. DAGUESSEAU combat ces hommes affreux. Il perce tous les détours où s'enveloppe la cruauté

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