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Il voulut feulement faire voir combien il ménageoit un corps de foldats célèbre par sa valeur.

La nuit qui précéda la bataille de Raucoux,

étoit dans fa tente, trifte & plongé dans une rêverie profonde, M. Sénac, avec qui dans ce moment il fe trouvoit feul, lui demande le fujet de fa trifteffe. Le Maréchal lui répondit en parodiant ces vers d'Andromaque :

Songe, fonge, Sénac, à cette nuit cruelle Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle ;

Songe aux cris des vainqueurs, fonge aux cris des mourans,

Dans la flamme étouffés, fous le fer expirans, &c.

Il ajouta un moment après: & tous ces fol dats n'en fçavent rien encore. Ce mouvement d'un Général qui dans le filence de la nuit s'attrifte en penfant aux maffacres du lendemain, & fait réflexion que de tant de milliers d'hommes qui dorment, une partie ne fe réveillera que pour mourir, a quelque chofe de profond, de fenfible & de tendre qui n'eft pas ordinaire.

Ce même homme qui s'attendriffoit sur le fort des foldats, faifoit valoir avec zèle les fervices des officiers, & les appuyoit à la cour, de

tout fon crédit. Il avoit pour le mérite militaire cette eftime profonde & réfléchie, que doit avoit un homme qui ne s'eft jamais occupé que d'une idée, Ce fentiment ne l'empêcha point de rendre quelquefois des fervices d'un autre genre, Un jeune officier, dans un de ces momens où la crainte l'emporte fur le devoir, & où l'on confulte plus la nature que l'honneur, avoit disparu. Son absence avoit été remarquée. Tout fe déchaînoit; les hommes braves, par eftime pour la valeur ; ceux qui l'étoient moins, pour fe perfuader à eux-mêmes & aux autres qu'ils étoient fort au deffus d'une telle foibleffe, Le Maréchal de Saxe l'apprend, dit qu'il a donné à cet officier une commiffion fecrette, & le fait avertir de paroître publiquement le lendemain à fon lever. L'officier s'y rend. Le Maréchal va au devant de lui, lui parle quelque temps en fecret, & le loue enfuite tout haut d'avoir rempli avec autant de promptitude que d'intelligence les ordres qu'il lui a donnés. Par cette conduite, il conferva un citoyen à l'état, fauva l'honneur d'une famille, & empêcha qu'une foibleffe d'un moment ne fit le malheur & la honte d'une vie entière. Il n'eft pas néceffaire d'ajouter qué cet officier fut par la fuite le plus brave des hommes,

Quelquefois il employoit dans fes propos

une certaine févérité militaire, qui tenoit à la hauteur d'un homme accoutumé à faire le fort

des états. Il affiégoit une place. On vint pour capituler. A la tête des députés étoit un homme qui fe préparoit à lui faire un difcours. «M. le » harangueur, dit le Maréchal, ce n'est point » aux bourgeois à fe méter des querelles des Princes; point de difcours ».

Il étoit impoffible que le Maréchal de Saxe n'eût point de l'ambition. Frère naturel du Roi de Pologne, élu Souverain de la Curlande, accoutumé pendant une époque de fa vie au commandemement des armées, espèce de defpotifme le plus abfolu, il avoit de plus une ima gination forte & inquiéte, & une ame ardente qui fe portoit avec impétuofité à tout, qualité fans laquelle peut-être il n'y a point de grands talens dans aucun genre, Cette force d'imagina tion lui infpira quelquefois des idées fingulières, & qui fembloient appartenir à un autre fiècle & à d'autres mœurs. C'étoit l'excès de la fève dans une plante forte & vigoureufe. Il eut de bonne-heure la fantaisie d'être Roi; & comme en regardant autour de lui, il trouva les places occupées, il jetta les yeux fur cette nation qui depuis dix-fept cents ans n'a ni Souverain ni patrie, qui eft par - tout difperfée & par - tou étrangère, & fe confole de fa profcription par

les

Les efpérances & fes richeffes. Ce projet extraordinaire l'occupa quelque temps. On ne fçait ni à quel point les Juifs s'y prétèrent, ni jufqu'où allèrent fes négociations avec eux, ni quel étoit fon plan. On fçait feulement que ce projet fut connu dans le monde ; & fes amis l'en plaifantoient quelquefois.

L'idée de la fouveraineté de la Curlande, comme nous l'avons vu, étoit beaucoup mieux fondée, mais ne réuffit pas mieux.

Il en eut une troifième qui avoit quelque chofe de plus vafte, & qui auroit pu influer fur le fort de l'Europe. C'étoit de devenir Empereur de Ruffie. Ce projet qui au premier coup d'œil paroît chimérique, ne l'étoit pourtant point. En 1726 le Comte de Saxe inspira, comme on fçait, la paffion la plus forte à la Princesse Ivanouska, ducheffe douairière de Carlande. Il n'auroit alors tenu qu'à lui de l'époufer. Cette paffion dura long-temps, mais ne fut point heureuse. Les infidélités redoublées du Comte excitèrent d'abord la jaloufie de la Princeffe, puis fes fureurs, puis fa haine, & tout finit enfin par l'indifférence. Tant qu'elle ne fut que Souveraine à Mittaw, le Comte de Saxe fe confola par les plaifirs, d'un mariage qu'il regrettoit peu; mais en 1730, cette Princesse, nièce de Pierre le Grand, fut appellée au trône D

Tome III.

de Ruffie. Alors il fentit des remords de fes infidélités, & montra pour l'Impératrice beaucoup plus d'attachement qu'il n'en avoit eu pour la Ducheffe: il n'étoit plus temps. Les illufions de l'amour étoient diffipées; & elle craignit apparemment de fe donner un maître. Cependant le Comte de Saxe ne perdit pas d'abord l'efpérance; & fon imagination formoit de vaftes. projets qu'il ne devoit point exécuter. Il y en avoit un fur-tout qui l'occupoit fouvent. Une fois monté fur le trône de Ruffie, il vouloit, difoit-il, paffer quelques années à difcipliner, felon fa nouvelle méthode, deux cent mille Ruffes. Il comptoit enfuite marcher à leur tête, attaquer l'empire des Turcs, le conquérir, s'emparer de Conftantinople; & maître de ces deux vaftes Etats, Souverain d'un empire qui s'étendroit de la Pologne aux frontières de la Perse, & de la Suède à la Chine, fe faire enterrer dans Ste. Sophie. Ce plan immenfe lui paroiffoit tout fimple; & dès qu'il auroit le titre de Czar, il ne fembloit pas douter un moment de l'exécution. Qui fçait véritablement ce qui feroit arrivé? Peut-être la face d'une partie de l'Europe, & de prefque toute l'Afie, auroit été changée. Peutêtre un homme tel que le Maréchal de Saxe, à la tête d'une armée de deux cent mille hommes bien difciplinés, & fe précipitant fur l'Afie, auroit renouvellé les exemples des anciennes

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