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voit aidé à y monter. Ce bon Prince n'avoit pas besoin d'être malheureux pour être sensible. Les lettres feules qu'il écrivit à Sully fur les affaires, font au nombre de plus de trois mille. Il lui communiquoit tous fes chagrins, tous fes plaifirs, & jufqu'aux plus petits détails de fa vie. Mon ami, lui mandoit-il un jour, venez me voir, car il s'eft paffé ce matin quelque chofe dans mon fein, pourquoi j'ai affaire de vous. Une autre fois il lui écrivit de Fontainebleau: Il m'est arrivé un déplaifir domestique qui me caufe le plus grand chagrin que j'aye jamais eu. J'acheterois beaucoup votre préfence, car vous êtes le feul à qui j'ouvre mon cœur, & par les confeils duquel je reçoive du foulagement. On ne fe lafferoit point de tranfcrire tous ces témoignages de la fenfibilité d'un Roi. Il prenoit le plus vif intérêt à tout ce qui regardoit Sully & fa famille. Un jour il faut qu'un des fils de Sully étoit malade, il lui envoya aussi-tôt son premier Médecin, & lui écrivit : Vous Sçavez que je ne vous aime point affez peu, pour que je n'y allaffe moi-même, fi ma préfence y étoit néceffaire. Sully de fon côté aimoit le Roi, comme l'ami le plus tendre. Il s'empreffoit à le confoler de tous fes chagrins. On fçait que Henri IV en eut de toute espèce. Outre l'embarras des affaires, & l'ennui du trône, il effuya toutes

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fortes de peines, & par les complots de la cour, & par l'ingratitude de fes fujets, & par les orages même qui troubloient fa maison. Il eut plufieurs maladies cruelles. Il perdit des femmes qu'il adoroit. C'étoit dans ces momenslà que Sully fufpendoit toutes les affaires pour aller confoler fon ami. Dans fes maladies il ne le quittoit point. En 1598, on crut que le Roi mourroit. Il avoit une fièvre terrible, avec des redoublemens. Ce Prince crut lui-même qu'il n'en réchapperoit pas. Mon ami, difoit-il à Sully, dans un de ces momens, je n'appréhende point du tout la mort ; vous le fçavez mieux que perfonne, vous qui m'avez vu en tant de périls dont il m'étoit fi facile de m'exempter : mais je ne nierai pas que je n'aye regret de fortir de cette vie, fans avoir témoigné à mes peuples que je les aime comme s'ils étoient mes enfans, en les déchargeant d'une partie des impôts, & en les gouvernant avec douceur. Tels étoient les fentimens que Sully recueilloit de la bouche de ce bon Roi mourant. Une réflexion bien naturelle en lifant tout ceci, c'eft que ce fut un grand bonheur pour la France que ces deux ames fe foient rencontrées. La mâle liberté avec laquelle Sully parloit à Henri IV, eft connue de tout le monde, Il n'étoit pas moins auftère pour fon maître que pour lui-même. On

en trouve mille traits dans fes Mémoires; je n'en citerai qu'un, c'eft celui de la promeffe de mariage faite par le Roi à Mademoiselle d'Entragues. Le Roi la lui montra pour lui demander fon avis. Sully la prit, la lut, & la mit en pièces fans rien dire. Comment morbleu ! dit Henri IV, que prétendez-vous donc faire? Je crois que vous êtes fou. I! eft vrai, Sire, lui répartit Sully, je fuis un fou; & plût à Dieu que je le fuffe tout feul en France. Voilà qui peint mieux un caractère que tous les difcours du monde.

Pag. 355. (51) Henri IV fut affaffiné le 14 Mai 1610. Dès ce moment toute l'adminiftration changea. On revint à l'ancienne méthode d'écrafer le peuple pour enrichir les Grands. Les finances amaffées par l'économie furent diffipées par les profufions. La cour ne fut plus qn'un théâtre de troubles, d'intrigues, de baf feffes & de noirceurs politiques. Sully pénétré de chagrin voulut fe retirer mais fa famille qui étoit bien-aife d'avoir un homme puiffant, l'en empêcha. Enfin fes yeux fe laffèrent de voit tant de maux, Le 26 Janvier 1611, il fe démit de fes charges de Surintendant des Finances & de Gouverneur de la Baftille. Il quitta pour ja mais la cour, & fe retira dans fes terres. La faweur publique le fuivit dans fa chûte, En fortant de Paris, il fut accompagné de plus de trois

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cents chevaux qui l'efcortèrent par honneur. C'étoit le triomphe de la vertu en partant pour l'exil. Le 27, qui étoit le lendemain de fa démiffion, la Reine en confidération de fes fervices lui envoya un brevet de cent mille écus. Il fembloit que ce fut le prix dont on vouloit payer fa retraite. Il eut été honteux à Sully de l'accepter. Auffi le refufa-t-il. A peine eut-il paffé quelques jours dans fa terre, qu'il apprit qu'on fongeoit à profiter de fa retraite pour le perdre. On ofoit parler de lui faire fon procès. Il fallut qu'un homme qui s'étoit pendant vingt ans immolé à l'Etat, descendît à fe juftifier. Il écrivit à la reine ; & la reine par bonheur épar gna un outrage à la Nation. Plufieurs années après, un homme de la cour lui ayant acheté pour 1200 ooo liv. de terres qu'il ne paya point fur le champ, n'eût pas honte, lorfque la guerre fut déclarée aux Proteftans, de démander au Roi la confifcation de tous fes biens. Voilà de ces traits qui pourroient dégoûter à jamais de faire du bien aux hommes, fi rien pouvoit en dégoûter le vrai Citoyen. Colbert ne fut-il pas auffi abhorré de la France? Et le peuple ne voulut-il pas le déterrer, pour le traîner dans les rues?

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Page 357. (52) La retraite de Sully dura trente ans, pendant lefquels il ne parut pref

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que jamais à la cour. Louis XIII l'ayant envoyé chercher pour lui demander fon avis fur les affaires, il y vint quoiqu'avec répugnance. Les jeunes courtisans cherchèrent à le tourner en ridicule fur fon habillement qui n'étoit plus de mode, fur fon maintien grave & fur fes manières. Sully s'en appercut, & dit au Roi, Sire, quand le Roi votre père, de glorieuse mémoire, me faifoit l'honneur de me confulter fur fes grandes & importantes affaires, au préalable il faifoit fortir tous les bouffons & baladins de cour. Quel homme! Il étoit né le 13 Décembre 1560. En 1580 il fut fait Chambellan du Roi de Navarre, avec 2000 livres d'appointemens. En 1 594 Secrétaire d'Etat. En 1596 Mem bre du Confeil des Finances. En 1597 Gouverneur de Mantes. En 1599 Surintendant des Finances, Surintendant des fortifications & des bâtimens, Grand Voyer, & Grand-Maître de l'Artillerie. En 1601 Gouverneur de la Baftille. En 1603 Ambassadeur en Angleterre & Gouverneur du Poitou. En 1606 Duc de Sully, Pair de France, & Capitaine-Lieutenant des Gendarmes de la Reine. En 1611 il quitta la cour & le ministère des Finances. En 1634 il fut fait Maréchal de France. Il mourut à Villebon le 12 Décembre 1641, âgé de quatre-vingt-un ans. La Ducheffe de Sully, fon épcufe, lui fit ériger

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