Imágenes de página
PDF
ePub

espèces étrangères fe trouvoient en France en très-grande quantité: on les refferra par la répugnance de les porter à la Monnoie, à caufe des droits confidérables qu'on devoit y retenir. Peu de temps après, Sully rendit une déclaration qui défendoit de tranfporter hors du Royaume aucune espèce d'or ou d'argent, fous peine de confiscation. On fent affez combien une pareille ordonnance eft inutile. Ce n'eft point par des déclarations que l'on peut retenir dans un pays les espèces d'or & d'argent ; c'est par une adminiftration fage, qui détermine en faveur de ce pays la balance du commerce. Sully luimême ayant fenti combien cette déclaration étoit infuffifante, crut y remédier par une ordonnance du mois de Septembre 1602, qui hauffa la valeur numéraire des efpèces. L'expérience n'a que trop prouvé que c'eft une mauvaife opération de toucher aux monnoies d'un Etat. Tout changement dans cette partie nuit prodigieufement au commerce, par l'extinction. de la confiance, par le refferrement des bourfes, par les embarras & le défavantage du change, par le renversement des fortunes. Ce qui trompa Sully, c'eft qu'il s'imagina que le hauffement de la valeur numéraire feroit ceffer le tranfport chez l'étranger, en diminuant le profit. En effet, la proportion de l'or à l'ar

I

gent de France, n'étoit pas tout-à-fait alors de 1 à 11, au lieu qu'en Efpagne elle étoit de i à 13, en Angleterre de 1 à 132, en Allemagne de 1 à 12. Ainfi les étrangers avoient du bénéfice à enlever notre or. Mais Sully ne remédia point du tout à cet inconvénient. La proportion nouvelle ne fut en France que de 1 à 11, parce que Sully, en hauffant la valeur de l'or, avoit en même temps hauffé les monnoies d'argent. Ainfi le défordre refta le même; & en 1609 on s'apperçut qu'il étoit encore devenu plus grand, parce que les autres Etats avoient encore hauffé leur proportion.

Page 328. (31) Sully s'étoit convaincu par l'étude de l'hiftoire & par les réflexions, que l'agriculture eft la bafe des Etats & la fource des revenus publics. Il n'eft donc pas étonnant qu'il ait regardé la taille arbitraire comme un fléau de l'Etat, & qu'il ait defiré changer entiérement la forme de cette impofition. Il fçavoit que la terre étant la fource des revenus, doit être auffi la fource des impôts, mais qu'ils doivent porter fur le produit, & non fur le travail. Or le produit total des terres fe divife en deux parties. L'une eft la rentrée des avances qui ont été faites pour l'exploitation; cette partie doit être facrée pour le fifc, puifque c'eft cet argent même qui eft la fource de la fécondité. L'autre

portion eft bénéfice; c'eft elle qui conftitue le revenu ; c'est fur elle feule que l'impôt doit être levé. Dans tout pays où le cultivateur ne retrouvera point du bénéfice en fus de fes avances, & de la fomme dont il doit payer la protection du Souverain, il faudra néceffairement qu'il s'intéreffe moins à la culture, que par conféquent cette culture diminue, & avec elle les revenus de l'Etat. Mais que feroit-ce fi bienloin de retirer aucun bénéfice de fon travail, l'impôt lui enlevoit une partie même de la fomme destinée à l'exploitation de fa terre ? Alors il ne faudroit point s'étonner, que la profeffion la plus malheureufe de toutes fût prefque abandonnée, qu'une partie des terres reftât en frîche, & que tout l'ordre économique fe trouvât dérangé par la fuppreffion des revenus réels de l'Etat. Ce qu'il y auroit de plus effrayant, c'eft que le défordre iroit toujours en augmentant, parce que l'impôt dirigé toujours fur le même plan, diminueroit d'année en année la fomme deftinée pour la culture des terres. On a écrit beaucoup de livres fur cette matière; on en écrira encore beaucoup. Mais ce ne font pas les lumières qui nous manquent Il faut détruire les paffions, qui font un obstacle prefque invincible à tout le bien qu'on peut faire. D'ailleurs un des grands malheurs de

l'humanité, eft d'être entraîné par l'habitude. Il est bien difficile de regarder comme un mal, ce qu'on a vu de tout temps. Que de chofes excellentes on ne fait point, parce qu'on ne les a jamais faites!

Page 330. (32) Sully, en plufieurs endroits de fes Mémoires, fe récrie contre la Gabelle. Il trouvoit une dureté extrême à vendre fort cher à des pauvres une denrée très-commune. Perfonne n'ignore que certaines provinces font affujetties à l'impôt fur le fel, tandis que d'autres en font exemptes. On détermine la quantité que chacun doit prendre. On prefcrit l'ufage qu'on en doit faire. Il eft défendu de revendre ce que l'on a au delà de fes befoins. Les troupeaux, qui ne peuvent être préfervés de plufieurs maladies que par le fel, languiffent & meurent, parce que le payfan ne peut pas leur donner ce fecours. On va même jufqu'à interdire à ces animaux mourans les bords de la mer, où l'instinct de leur confervation les conduit. Le commerce de la pêche eft confidérablement diminué par les formalités odieufes qui gênent la falaison. L'agriculture perd une quantité prodigieuse de bras, qui font occupés au faux-faunage. Ces hommes, qui ne fort que des brigands, auroient pu être des citoyens. Ajoutez à cela des armées de Commis, dont

l'unique fonction eft de faire la guerre aux fujets du Roi; qui gardent les bords des fleuves, des rivières, & jufqu'aux bords de la mer, comme dans un pays ennemi; qui fouvent sou-tiennent & livrent des batailles, où ceux qui tuent deviennent meurtriers de leurs concitoyens, & où ceux qui font tués font des fujets perdus pour l'Etat. Ajoutez les emprifonnemens, les faifies, les ventes, la diminutiondu commerce & du travail; ajoutez les frais de régie qui font énormes; car chaque million pour le Roi en coûte an autre au peuple, foit en frais, foit en non-valeurs. On ne cherche point ici le trifte & vain plaifir de cenfurer ce qui est établi: mais dans un ouvrage qui eft confacré tout entier à l'utilité publique, il doit être permis de remarquer les défauts d'une impofition que Sully, Richelieu, Colbert, & tous nos plus habiles Miniftres ont également condamnée. Si elle a fubfifté jusqu'à préfent, c'est fans doute parce qu'il eft bien plus facile de voir les abus que de les réformer. Dans tout changement politique, lors même que l'avantage eft le plus affuré, les obstacles font immenfes. Il n'y a que le mal qui fe faffe aifément.

Page 331. (33) Ce n'eft pas affez d'examiner la nature des impôts en eux-mêmes & par rap

« AnteriorContinuar »