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que homme dans les différens pays, les reffources des villes, le produit des manufactures, l'étendue & la qualité du commerce. Il obfervoit fur les lieux même ce que payoit chaque Province; la nature des impofitions; celles dont la reffource eft en même temps la plus étendue & la plus prompte ; celles dont la perception. coûte le moins, & rapporte le plus; celles qui fe combinent le mieux avec le climať, le fol, l'induftrie des habitans ; & celles qui font plus à charge au peuple, qu'elles ne font utiles. à l'Etat. I calculoit par-tout la fomme des richeffes il étudioit tout ce qu'une Province reçoit, & tout ce qu'elle donne, comment y vient & par où s'écoule l'argent, quels font les canaux ouverts, & ceux qui font engorgés, enfin quelles font les Provinces où la Capitale ne renvoye point les fucs qu'elle en reçoit, & où se trouve interrompue cette heureuse circulation, qui fait la vie du Corps politique. Sully, fur tous ces objets, ne s'en rapportoit qu'à luimême car il faut des yeux pour voir. On fait que le Duc de Bourgogne, dans un temps plus éclairé, ne put fe procurer une connoissance exacte des Provinces par les Intendans même.

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Ibid. (27). Dès que les membres du Confeil apprirent que Sully devoit faire des vifites dans les Provinces, ils n'épargnèrent rien pour

le traverfer. L'opération étoit trop utile pour qu'ils n'en fuffent pas épouvantés. Ils eurent recours à tout. Les Receveurs généraux, Tréforiers, Contrôleurs, Greffiers & jufqu'aux moindres Commis furent prévenus. Les uns s'abfentèrent & laiffèrent leurs Bureaux fermés; d'autres firent voir des ordres qui leur défendoient de communiquer leurs regiftres & leurs états. En même temps on femoit dans les Provinces les bruits les plus odieux contre Sully; on profitoit de fon abfence pour le noircir auprès du Roi on l'accufoit d'ignorance, de dureté, d'étourderie: on le peignoit comme un tyran qui alloit fucer le fang du peuple, & qui abufoit de l'autorité du Prince pour le rendre odieux à fes Sujets. Enfin le cri général fit impreffion fur le Roi lui-même ; & Sully reçut ordre de revenir. Henri IV qui, après la plus courte absence, l'embraffoit toujours avec transport, le reçut très-froidement. Sully reconnut alors le danger qu'il y a de fervir les Rois loin. d'eux. Il eut à fe juftifier des plus cruelles calomnies; & il en vint aifément à bout: mais il falloit encore éviter les foupçons pour l'avenir. Cinq cents mille écus qu'il avoit ramaffés dans fes voyages, & qui fans lui euffent été perdus pour le Roi, furent dépofés dans le Tréfor Royal. En même temps il prit des précau

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tions pour qu'aucune partie de cette fomme ne fût diffipée. On ne tarda point à fentir combien ces précautions étoient néceffaires.

Sanci, un des membres du Confeil, & le plus abfolu des hommes, envoya demander à Sully, avec toute la fierté d'un defpote, quatrevingt dix mille écus pour payer les Suiffes. Sully fçavoit qu'il n'étoit dû que le tiers de cette fomme. I refufa. Son refus excita entre lui & Sanci une vive querelle qui éclata en préfence du Roi. Peu de temps après, Sully furprit encore les membres du Confeil à vouloir détourner deux cent mille écus du Tréfor royal. Heureufement il avoit gardé entre fes mains de quoi les confondre; & dans le moment qu'ils croyoient triompher, en rejettant fur lui la diffipation de cette fomme, il les convainquit luimême en préfence du Roi, de cet odieux brigandage. Ce fut là l'effai des contradictions & des noirceurs que Sully eut à effuyer au commencement de fon miniftère. Ces détails de la méchanceté ne font indifférens pour aucun fiècle. On s'étonne quelquefois qu'il se fafle fi peu de bien dans les Etats: le Philofophe qui pèfe les obftacles, doit peut-être s'étonner de ce qu'il y a encore des hommes qui ont le courage d'en faire.

Page 322. (28) Ce fut en 1598 que parurent

toutes ces déclarations, qui rendirent le Roi propriétaire de fes revenus, & mirent le peuple à l'abri des concuffions des fujets puiffans. Ce qu'il y a de fingulier, c'eft que tous les tyrans qui voloient le peuple, fe plaignirent avec audace, comme fi on les eût dépouillés d'un bien légitime; tant certains hommes s'accoutument à regarder l'injuftice comme un de leurs droits. Le Duc d'Epernon, par ces fortes de violences, fe faifoit tous les ans un revenu de près de quatre cent mille francs de notre monnoie. Il fut averti du jour où devoit paffer la déclaration qui lui ordonnoit de n'être plus brigand ni concuffionnaire; il fe rendit au Confeil, bien réfolu de l'empêcher. Là, au défaut de raifons, il eut recours aux infultes; & fon infolence naturelle, aigrie encore par les réponses fières de Sully, ofa s'emporter jufqu'aux menaces. Sully répondit à l'outrage avec le ton d'un homme qui eft accoutumé à ne rien craindre ; & tous deux en même temps portèrent la main fur la garde de leurs épées. La falle du Confeil eût peut-être été enfanglantée, fi on ne fe fût jetté en foule au devant d'eux. Le Roi inftruit de cette querelle, loua beaucoup le zèle intrépide de Sully, & lui écrivit à l'heure même de fa main, lui offrant, difoit-il, de lui fervir de fecond contre d'Epernon.

Page 323. (29) Il y eut fous le ministère de Sully trois Chambres de juftice, établies pour faire des recherches contre les Financiers qui avoient malverfé dans leurs emplois, l'une en 1601, l'autre en 1604, & la troisième en 1607. Cette dernière fut établie contre l'avis de Sully. Il avoit reconnu par l'expérience des deux premières, que les principaux coupables échappent toujours. On retira cependant quelque avantage de ces pourfuites; c'eft que les loix commencerent enfin à paroître quelque chofe; l'idée des mœurs fut réveillée; le peuple s'apperçut que le gouvernement s'occupoit de lui; la Noblesse apprit à ne pas confondre l'or avec l'honneur ; la nation commença à foupçonner que la pauvreté honnête pouvoit avoir un prix. Au reste, Sully dans fes Mémoires, eft d'avis de fupprimer entiérement ces Chambres de justice, comme des moyens inutiles. Ce n'eft presque toujours que l'occafion d'un trafic honteux entre ceux qui ont befoin de protection, & ceux qui en ont à vendre.

Page 325. (30) Il faut convenir que toutes les opérations de Sully fur les monnoies furent peu avantageufes. En 1601 il fit défendre d'employer dans le commerce les monnoies étrangè res. Le commerce fut interrompu par cette défenfe, parce que le crédit en fut affecté. Ces

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