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pofer. Mais perfonne n'ofoit parler. Rosni, plus hardi que les autres, porta la parole. Voilà un difcours de gens qui ont peur, lui dit Henri IV. Je n'euffe jamais attendu cela de vous autres. Rofni piqué de ce reproche, lui répliqua: Il est vrai, Sire, nous avons peur, mais feulement pour votre perfonne. Que s'il vous plait vous retirer, & nous commander d'aller pour votre Service mourir dans cette forêt de piques, vous reconnoîtrez que nous n'avons point peur pour notre vie, mais pour la vôtre. Ce difcours toucha le Roi, mais fans l'ébranler. On fçait qu'après avoir perdu foixante-hommes des cent qui l'accompagnoient, il fit une fort belle retraite, & fçut avec quarante chevaux en imposer à un ennemi habile, & qui étoit à la tête d'une armée de trente mille hommes. Cette action fit beaucoup de bruit. Le Duc de Parme l'admira. La Reine Elifabeth écrivit à Henri IV, pour le prier de ménager davantage une vie fi précieuse; & Mornay lui écrivit cette lettre si connue: Sire, vous avez assez fait l'Alexandre; il est temps que vous foyez Augufte. C'est à nous à mourir pour vous, & c'est là notre gloire ; à vous, Sire, de vivre pour la France, & j'ofe vous dire que ce vous eft devoir, &c.

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Page 292. (15) On n'exagère rien, en difant que Sully étoit l'homme le plus habile de son

temps pour l'attaque & la défenfe des places.. Dans l'attaque, bien difpofer fes lignes, favoir à propos les refferrer ou les étendre, ne leur donner que l'efpace néceffaire, appuyer leurs diffé-. rentes parties par des poftes, établir entre elles, une communication sûre & rapide; reconnoître les avantages ou les obftacles que préfente un terrain plus bas ou plus élevé, dur ou facile à. s'ouvrir, fec ou marécageux; choisir le lieu & l'inftant le plus favorable pour ouvrir la tranchée; marquer la diftance la plus convenable. pour les batteries, perfectionner la manière de les conftruire; donner au canon l'inclinaison la plus avantageufe pour que fes coups aient le plus grand degré poffible de force, de jufteffe & de rapidité; calculer pour la charge des mines, la fomme des réfiftances & la qualité des pou-. dres; trouver toujours les proportions convena bles à l'effet qu'on veut produire; se servir des ouvrages déja emportés pour battre les autres avec plus de fuccès; enfin varier fes attaques, felon les différentes conftructions des places, & apprendre des règles même à s'en écarter, lorf que les règles font forcées par des loix fupérieures de lieux, de temps & de faifons: dans la défense, renverfer les batteries de fon ennemi par des batteries oppofées; détruire fes travaux, ou les tourner contre lui-même, juger par la

vue de fes premiers ouvrages, de tous ceux qu'il médite; connoître par leur progrès quel fera le moment de l'attaque; diftinguer les at taques feintes, des véritables; mettre dans les forties une prudence active & une vigueur fage; défendre chaque pouce de terrain comme la place entière; multiplier le fiège en créant des obftacles; être par- tout fur les pas des affiégeans, à la tranchée, à la bréche, & jufque, dans les entrailles de la terre; oppofer par-tout la mort à la mort, & s'armer des ruines même ; enfin épier les hafards plus forts quelquefois que les canons, les mines & les bombes: voilà quels étoient les principes & l'art de Sully. Il n'eft dans le fiècle inutile de remarquer que pas où il vécut, l'art lui offroit beaucoup moins de reffources pour la défenfe des places que pour l'attaque. Celle-ci, par l'invention de la poudre, acquit prefque tout-à-coup une force fupérieure, au lieu que l'autre ne fe perfectionna que lentement & par degrés. Le canon foudroyoit les remparts avec une activité terrible, & l'on ne fçavoit pas encore que la résistance la plus forte confifte.dans l'exacte combinaifon des lignes parallèles, perpendiculaires & obliques, qui foibles quand elles font féparées, perdent leurs défauts en fe réuniffant, & fe fortifient par leurs rapports mutuels. L'on ignoroi

encore l'art de fe mettre à couvert de la bombe; à laquelle même aujourd'hui les batteries reftent toujours expofées. La mine enfin, qui des trois attaques eft la plus terrible, la mine, qui ébranle, renverfe & déracine tout, faifoit déja de grands ravages, & l'on ignoroit encore l'art de la combattre par des contre-mines; art qui même aujourd'hui est, dit-on, affez imparfait, & qui, plus perfectionné peut-être, pourroit rendre les places imprenables. Sully suppléoit, par l'intelligence & l'activité, à tout ce qui manquoit alors du côté de l'art & des connoiffances.

Idem. (16) Siège de Dreux en 1593. Il falloit fe rendre maître d'une tour qui étoit à l'épreuve du canon. Rofni promit au Roi de l'emporter. Ses ennemis osèrent trouver cette promeffe ridicule. Le Roi lui-même doutoit un peu du fuccès. Cependant Rofni en vint à bout en fix jours par la mine & la fappe. Siège de Laon en 1594. Rofni avoit la direction d'une batterie de fix pièces de canon. Siège de la Fère en 1596. Il dura fix mois. Par la vigilance & les foins de Rofni, rien ne manqua dans l'armée. Siège d'Amiens en 1597. Tout le monde fçait comment cette ville fut furprise par les Espagnols. Tandis que toute la cour étoit confternée, Rofai s'occupoit des moyens d'avoir des

troupes & de l'argent. Bientôt le Roi fut en état d'aller mettre le fiège devant cette place. Rofni étoit partagé entre le foin de lever les deniers de l'Etat, & celui de les employer aux befoins de l'armée. L'abondance y étoit fi grande, qu'on difoit alors que Henri IV avoit mené Paris devant Amiens. Ce fut la première armée qui eut un hôpital réglé, dans lequel les bleffés & les malades eurent des fecours qu'on ne connoiffoit point encore. Rofni faifoit tous les mois un voyage au camp. Son ancienne ardeur pour la guerre fe rallumoit alors plus que jamais. Un jour le Roi lui fit une réprimande févère de ce qu'il s'étoit expofé, & lui défendit de se trouver à aucun pofte où il y auroit du danger. Ces fortes de défenses honorent également le Roi qui les fait, & le Sujet qui les reçoit.

Page 293. (17) Guerre contre le Duc de Savoie en 1600, au sujet du Marquifat de Saluces. Ce Prince étoit venu à Paris en 1599 pour né~ gocier lui-même son affaire. Ayant été à l'arsenal où il devoit fouper avec le Roi, il fut curieux de voir les magafins. Rofni le mena dans les ateliers où l'on faifoit des préparatifs immenfes d'artillerie. Le Duc étonné lui demanda ce qu'il vouloit faire de tant de canons. C'est pour prendre Montmélian, lui répondit Sully

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