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tère, tous deux eurent le courage & la vigueur d'ame, fans laquelle on ne fit jamais ni beaucoup de bien, ni beaucoup de mal dans un Etat : mais la politique de l'un fe fentoit de l'auftérité de fes mœurs; celle de l'autre du luxe de fon fiècle. Ils eurent la trifte conformité d'être haïs; mais l'un des Grands, l'autre du Peuple. On reprocha de la dureté à Colbert, de la hauteur à SULLY: mais fi tous deux choquèrent des particuliers, tous deux aimèrent la nation. Enfin fi on examine leurs rapports avec les Rois qu'ils fervoient, on trouvera que SULLY faifoit la loi à fon maître, & que Colbert recevoit la loi du fien; que le premier fut plus le Ministre du peuple, & le fecond plus le Miniftre du Roi: enfin, d'après les talens des deux Princes, on jugera que S ULLY dur quelque chofe de fa gloire à HENRI IV, & que Louis XIV dut une grande partie de la fienne à Colbert (44). '

On ne connoîtroit point S ULLY tout entier, fi l'on ignoroit que fes vertus égalèrent fes talens. Que ne puis-je mettre fous vos yeux cette partie de fes Mémoires, où, en traçant les qualités morales que doit avoir l'homme d'Etat, il trace luimême fon portrait fans s'en appercevoir! Vous y verriez la fainteté des mœurs, l'éloignement du luxe, ce courage foïque qui dompte la nature, qui réfifte à la volupté, & se refuse à tout ce qui peut énerver l'ame. SULLY avoit adopté ces vertus autant par. principe que par caractère (45). A la cour il conferva l'antique frugalité des camps. Les riches voluptueux euffent peut-être dédaigné fa table; mais les Guefclins & les Bayards feroient venus s'y affeoir à côté de lui. Le travail auftère rempliffoit fes journées. Chaque portion de temps étoit marquée pour chaque befoin de l'Etat. Chaque heure, en fuyant, portoit fon

tribut à la Patrie. Ses délaffemens niême avoient je ne fçais quoi de mâle & de févère ; c'étoit du repos fans indolence, & du plaifir fans molleffe. L'économie domestique l'avoit formé à cette économie publique, qui devint le falut de l'Etat. Ses ennemis louèrent fa probité. Sa justice eut étonné un fiècle de vertu. Sa fidélité brilla parmi des rebelles. Après la mort de fon maître, on put le perfécuter, mais on ne put réuffir à en faire un mauvais citoyen. Il refta fujet malgré la cour. Il fervit la Reine qui l'opprimoit. En entrant dans les finances (46), il ne craignit point de donner à la nation la lifte de fes biens. En fortant de place, il ofa défier fon fiècle & la postérité. Les préfens qu'on lui offrit pour le corrompre, n'avilirent que ceux qui les offroient. Comme Miniftre, il ne reçut rien des fujets': comme fujet, il ne reçut de fon maître que ce qui étoit empreint du fceau

des loix (47). On a déja vu fa fermeté dans fes devoirs. La France fe ligua contre lui, pour l'empêcher de fauver la France: il réfifta à tout; il eut le courage d'être haï. La Nobleffe, qui n'inspire que de la vanité aux petites ames, lui inspira l'orgueil des grandes choses. Jamais on ne porta fi loin ce vieil honneur, dont l'enthousiasme fit nos antiques Chevaliers. Il dut avoir des calomniateurs & des jaloux (48) : il terraffa la calomnie par fes vertus; il humilia l'envie par fes fuccès. Il fe vengea de fes ennemis, car il ne perdit aucune occafion de leur faire du bien. Les méchans trouvoient en lui une ame inflexible & rigide ; les malheureux y trouvèrent une ame fenfible & compatiffante. Dans la Religion, zélé fans fanatifme, & tolérant fans indifférence, il étoit l'organe du Roi auprès des Proteftans, il étoit le protecteur des Catholiques auprès du Roi: il fut adoré à Genève; il fut ef

timé dans Rome. Bon époux, bon maître, bon père de famille; (49) il donna un plus grand fpectacle, il fut l'ami d'un Roi (50). O HENRI IV! O SULLY! O doux épanchemens des cœurs! Soins confolans de l'amitié! C'étoit auprès de SULLY que HENRI IV alloit oublier fes peines; c'étoit à lui qu'il confioit toutes fes douleurs. Les larmes d'un grand Homme couloient dans le fein d'un ami. La franchife guerrière & la douce familiarité affaifonnoient leurs entretiens. Il n'y avoit plus de fujer; il n'y avoit plus de Roi; l'amitié avoit fait difparoître les rangs. Mais cette amitié fi tendre étoit en même temps courageufe & févère de la part de SULLY. A travers les murmures flatteurs des courtisans, SULLY faifoit entendre la voix libre de la vérité. Il eftimoit trop HENRI IV, il s'eftimoit trop lui-même, pour parler un autre langage. Tout ce qui eût avili l'un & corrompu l'autre, étoit

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