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une où il n'eut point de rivaux ; c'eft celle du ministère. Il y éclipfa tout ce qui avoit paru jufqu'alors; il mérita de fervir de modele à la postérité.

TROISIÈME PARTIE.

FOIBLES Orateurs, éloignés par nos conftitutions modernes, de tout ce qui a rapport au gouvernement & aux affaires, eft-ce à nous à traiter ces grands fujets qui embraffent le fyftême politique des Etats? Ce feroit aux Orateurs des anciennes Républiques, ou plutôt s'il y avoit un homme qui pût obferver tous les empires, juger les lieux & les temps, fuivre l'agrandiffement, la décadence & la chûte de tous les Royaumes, connoître enfin toutes les caufes & tous les effets, ce feroit à lui à parler d'un Miniftre, & d'un homme d'Etat. Qui entreprendra de le peindre? Si je lui donne la fageffe & l'activité, l'efprit de détail & le génie des grandes

chofes; fi je dis qu'il doit gouverner comme la nature, par des principes invariables & fimples; bien organiser l'ensemble, pour que les détails roulent d'eux-mêmes; pour bien juger d'un feul reffort, regarder la machine entière; calculer l'influence de toutes les parties les unes fur les autres, & de chacune fur le tout; faifir la multitude des rapports entre des intérêts qui paroiffent éloignés; voir d'où tout vient, & où tout va; lier les intérêts particuliers à l'intérêt général, les réunir en les contenant l'un par l'autre; faire concourir les divifions même à l'harmonie du tout: fi je dis qu'un Miniftre doit employer le moins de force poffible pour chaque opération; éviter, prefque autant que le mal, les demi-remèdes dans les grands maux; marcher au but fans trop voir les obstacles; diftinguer dans les choses d'administration celles qui ont befoin de tout le poids de l'autorité

& celles qui ne font jamais mieux adminiftrées, que lorfqu'elles ne le font point du tout; ne pas prendre l'état forcé d'un pays pour fon état naturel; ne pas s'écarter des principes généraux pour quelques inconvéniens de détail; ne pas croire qu'on peut déraciner tous les abus, ce qui seroit le pire de tous; ne pas caufer le malheur d'un Etat pour le bien d'une ville, ni les maux d'un fiècle pour l'intérêt d'un instant: fi j'ajoute qu'un Miniftre doit veiller fans ceffe à retrancher de la fomme des maux qu'entraînent l'embarras de chaque jour, le tourment des affaires, les néceffités de moment, la molleffe ou la corruption de ceux qui exécutent, le choc & le contraste éternel de ce qui feroit poffible dans la nature, & de ce qui ceffe de l'être par les paffions; je n'aurai encore tracé qu'une image imparfaite des qualités & des devoirs d'un homme d'Etat. Les opérations de SULLY

le

le peindront mieux que tous les difcours. C'eft en le voyant agir que nous mefurerons l'étendue de fes talens.

Il n'étoit pas encore Surintendant; & déja fon maître le destine à réparer les maux de la France. Son premier mérite fut de les connoître. Il porte fes regards fur toute l'étendue du royaume, & il voit un Etat ébranlé par quarante ans de guerres civiles, en proie à tous les malheurs qu'une autorité foible & avilie avoit pu introduire. Il commence par calculer les dettes de l'Etat. Il le trouve engagé avec l'Angleterre, la Suiffe & la Hollande, qui avoient fourni à HENRI IV des troupes, des vaiffeaux, du fer & de l'or, pour triompher de la Ligue ; avec les gens de guerre, dont le fervice & le fang n'avoient pas encore été payés ; avec les traitans qui forçoient l'Etat à payer fa ruine; avec tous les officiers des différens ordres du Tome III.

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royaume, qui réclamoient leurs gages & leurs penfions de plus de vingt années; avec les anciens elclaves des favoris, à qui les libéralités de Henri III ayoient prodigué le fang du peuple; avec les créanciers des rentes, qui en chargeant l'Etat de capitaux immenfes, dévoroient dans l'oifiveté le fruit des travaux & des fueurs de la nation; enfin avec les chefs de la Ligue, qui tous avoient vendu leur fidélité à leur nouveau maître. Il avoit fallu acheter chaque place, payer chaque traité, eftimer à prix d'or l'intérêt que chacun trouvoit dans la révolte, comme fi l'honneur de redevenir vertueux n'eût pas été la première des récompenfes. Toutes ces dettes réunies formoient une fomme de trois cent trente millions *. SULLY paffe à l'examen des

* L'argent étoit alors à 22 liv. le marc. Ainfi la dette de l'Etat répondoit à 810 millions de notre monnoie actuelle.

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