où tout périffoit. Quelle mort au retour d'une conquête ! Duguay-Trouin échappé de tant de périls, rentra dans le port de Brest le 12 Fév. 1712; c'étoi: le jour même où mourut la Ducheffe de Bourgogne. Le deuil qui couvroit alors la France, ne permit pas à la nation de se livrer à la joie d'un fi heureux fuccès.

Page 214. (36) Duguay - Trouin eft un des hommes qui a le plus joui de la faveur publique. A fon retour de Riojaneyre, tout le monde s'empreffoit de le voir. Le long des routes le peuple s'attroupoit autour de lui, & le regardoit avec cette avidité qu'il a pour tout ce qui eft extraordinaire. Un jour qu'une grande foule étoit ainfi affemblée, une Dame de distinction vint à paffer. Elle demanda ce qu'on regardoit; on lui dit que c'étoit Duguay-Trouin. Alors elle s'approcha, & perça elle-même la foule pour mieux voir. Duguay - Trouin parut étonné. Monfieur, lui dit- elle, ne foyez pas furpris; je fuis bien aise de voir un Héros en vie. Lorfqu'au retour de fes campagnes il arrivoit à S. Malo, c'étoit un mouvement général dans la ville. Les mères le montroient à leurs enfans; & dans cet âge où l'on reçoit fi aifément les impreffions des autres, on apprenoit à l'admirer, même avant de le connoître. Page 215.(37) La noblesse est une des distinc

Tome III.

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tions les plus éclatantes, & qui flattent le plus la vanité des hommes; cette inftitution n'eft pas cependant de tous les pays. Elle eft ignorée à la Chine, fans doute parce que la fageffe des loix y tient lieu de tous les refforts. Elle est inconnue dans prefque tout l'Orient, parce que la crainte y étouffe l'honneur, & que par-tout où règne le defpotifme, il n'exifte qu'un feul homme. Elle s'eft établie dans l'Europe, foit parce que tous les pays y ont été peuplés par des hordes de conquérans, & que la guerre eft la principale fource de l'inégalité; foit parce que l'autorité des chefs y étant plus balancée, il a fallu plus de claffes de citoyens pour former des contre poids & des équilibres. Quoi qu'il en foit, elle eft un des principaux refforts de nos gouvernemens modernes : elle eft même très-utile aux Etats, toutes les fois que des ancêtres ne fuppofent pas des talens, & que les noms ne font pas préférés aux vertus. Il faudroit encore que ces titres ne fuffent pas prodigués, & fur-tout qu'ils ne fuffent pas le prix de l'or. On fçait comment Duguay - Trouin acquit les fiens. Ses lettres de nobleffe, conçues dans les termes les plus honorables, contiennent une partie de fes fervices; elles font datées du mois de Juin 1709. Ses armoiries avoient pour devife: Dedit hac infignia virtus.

Page 216. (38) Il y a fur mer beaucoup de

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ces hommes qui fe font créés eux-mêmes. J'ai déja parlé de Jean Bart, qui commença par être pêcheur, & qui finit par être Chef d'escadre ; de Rhuiter, qui de mouffe de vaiffeau devint Lieu. tenant - Amiral Général de Hollande. L'Amiral Tromp, fi célèbre par les victoires contre l'Espagne & l'Angleterre, étoit auffi un homme de fortune. Notre fameux Duquefne parvint de même au commandement à force de mérite. Il étoit fils d'un Capitaine de vaiffeau. Né en 1610, dès l'âge de dix-fept ans il fervit fous fon père. Il combattit foixante ans fur mer, & fe diftingua toujours, ou par des actions hardies, ou par des victoires. Mais ce qui a le plus contribué à fa réputation, ce font les guer res de Sicile. Ce fut là qu'il eut en tête le grand Rhuiter; & quoiqu'inférieur en nombre, il vainquit dans trois batailles les flottes réunies de Hollande & d'Efpagne, le 8 Janvier, le 22 Avril & le 2 Juin 1676. Dans le fecond de ces combats, Rhuiter fut tué. L'Afie, l'Afrique & l'Europe ont été tour-à-tour témoins de fa valeur. Duquefne devint Général des ar mées navales de France, & mourut le 2 de Février 1688, âgé de foixante & dix-huit ans. Duguay-Trouin, dont les commencemens furent encore plus obfcurs, s'éleva de même aux premiers grades de la Marine. On ne sçauroit

trop mettre de pareils exemples fous les yeux des citoyens il faut qu'on fçache que les grands talens peuvent mener aux grandes pla- · ces, & que le mérite n'a pas toujours befoin d'aïeux.

Idem. (39). Duguay Trouin fut nommé Chef d'efcadre au commencement d'Août 1715, Commandeur de l'Ordre de Saint-Louis le premier Mars 1728, & Lieutenant Général le 27 du même mois.

Page 218. (40) Le défintéreffement, vertu fi rare, fut une des principales qualités de Duguay-Trouin. Pyrrhus difoit aux Ambaffadeurs de Rome qui lui offroient des richesses : je ne fuis pas un Marchand, je fuis un Roi; je ne viens point chercher de l'or, mais combattre avec le fer. Le même fentiment animoit Duguay-Trouin, lorfqu'il commandoit les vaiffeaux de Louis XIV. Loin de changer la guerre en un trafic honteux, fouvent au fortir d'une action, on le vit prodiguer fes propres richesses pour récompenfer la valeur de fes troupes.

Page 219. (41) Il avoit fur la difcipline militaire les grands principes de l'antiquité. Il la regardoit comme l'ame de la guerre, & le gage affuré des victoires. Jamais il ne laiffa une belle action fans récompenfe, ni une faute fans pupition, Sous lui, la difcipline n'étoit pas feule-.

ment févère; elle étoit quelquefois dure; mais dans cette partie l'excès même eft utile.

Idem. (42) Le trait qu'on rapporte ici arriva en 1707, après le fameux combat entre la flotte Angloife, & les deux efcadres de Duguay-Trouin & de Forbin réunies. Le Roi avoit accordé à Duguay-Trouin une penfion de mille livres fur le tréfor royal. Duguay-Trouin écrivit au Miniftre, pour le prier de faire donner cette penfion à M de S. Auban, fon Capitaine en fecond, qui avoit eu une cuiffe emportée à l'abordage du Cumberland, & qui avoit plus befoin de penfion que lui. Je fais trop récompenfé, ajouta-t-il, fi j'obtiens l'avancement de mes Officiers.

Page 221. (43) On ne doit pas s'étonner que l'architecture navale foit encore fi défectueufe, tandis que l'architecture civile a été portée à un fi haut degré de perfection. Ce n'eft point ici le lieu de comparer enfemble ces deux efpèces d'architecture: on remarquera feulement que l'une conftruit fes édifices fur un terrain folide, & que les bâtimens de l'autre font expofés fans ceffe à l'inconftance de l'eau & du vent. La première connoît la force & la qualité des matériaux qu'elle emploie; les bois que la feconde met en œuvre, quoique de même nature font très-différens en qualité. Les mai