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leur force, & encore plus par leurs richesses.

En 1696, monté fur le Sans-pareil, vaisseau Anglois qu'il avoit pris, il va croifer fur les côtes d'Espagne, & s'y rend maître par ftratagême de deux vaiffeaux Hollandois. A la pointe du jour il fe trouve à trois lieues de l'armée navale des ennemis. Il prend fon parti fans balancer, ordonne à fes deux prifes d'arborer pavillon Hollandois, & de le venir joindre par derrière, après l'avoir falué de fept coups de canon enfuite il fait voile vers l'armée ennemie avec autant d'affurance & de tranquillité, que s'il avoit été réellement un des leurs. Les ennemis trompés par fa manœuvre & par la fabrique de fon vaifleau qui étoit Anglois, cruc'étoit un de leurs vaiffeaux qui s'étoit écarté pour parler à des navires Hollandois, & qui venoit rejoindre la flotte. Cependant une de leurs frégates s'étant approchée un peu trop près, il ofa la combattre à la vue même de l'armée ennemie; & pour dérober cette frégate à Les coups, il fallut le fecours d'une partie de la flotte.

rent que

Idem. (19) Duguay-Trouin avoit un jeune frère plein de qualités aimables, & qui joignoit le courage & la capacité à ce don heureux de plaire. Il lui avoit donné une frégate de feize canons à commander. Comme ils croifoient en

femble fur les côtes d'Espagne, ils firent une defcente auprès de Vigo, & forcèrent l'épée à la main, des retranchemens d'où l'on avoit tiré fur eux. De là ils marchèrent à un gros bourg défendu par des milices Espagnoles. Le jeune frère de Duguay - Trouin, ardent, impétueux, brûlant de fe fignaler, preffe fa marche, vole à l'attaque, & force le premier les retranchemens du bourg; mais en les forçant, il est bleffé d'un coup de fufil qui lui traverse l'estomac. Duguay-Trouin étoit occupé à combattre d'un autre côté où il étoit auffi vainqueur. On vint lui apprendre cette nouvelle. Il refta quelque temps immobile; bientôt le défespoir le rendit furieux; il court fur les ennemis, & en fait un grand carnage. Cependant une troupe de cavalerie commençoit à paroître fur les hauteurs. Forcé de fe retirer, il raffemble fes foldats, & court chercher fon frère; il le trouve couché à terre, nageant dans fon fang, qu'on tâchoit vainement d'arrêter. Il fe précipite fur lui, l'embraffe fans pouvoir dire un mot, le baigne de fes larmes, & le fait emporter dans fon vaiffeau. Ce malheureux jeune homme ne vécut que deux jours; il mourut entre les bras de fon frère. On porta fon corps dans une ville Portugaie, où Duguay - Trouin lui fit rendre les derniers devoirs avec tous les honneurs qui

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font dus à la valeur. Sa tombe fut arrofée des larmes de tout l'équipage;& toute la nobleffe des environs,qui affifta aux funérailles, pleura un jeune guerrier mort par un excès de courage, & enfeveli loin de fa patrie fur une rive étrangère. Pendant Jong-temps rien ne put calmer la douleur de Duguay-Trouin. L'image de fon frère mourant entre fes bras, le pourfuivoit fans ceffe. Elle le tourmentoit le jour; elle le réveilloit des auits. Enfin ayant défarmé, la mélancolie profonde qu'il nourriffoit, le porta à vouloir renoncer pour toujours à la gloire & au fervice. On peut juger par ce deffein, de l'impreffion que la douleur avoit faite fur cette ame senfible.

Page 183. (20) En 1697, Duguay - Trouin avec trois vaiffeaux, va au devant d'une flotte Hollandoife, efcortée par trois vaiffeaux de guerre. Ils étoient commandés par le Baron de Waffenaer, homme d'une intrépidité peu commune, & qui fut depuis Vice-Amiral de Hollande. Jamais Duguay - Trouin ne foutint de combat plus terrible. Ce ne fut qu'après quatre abordages des plus fanglans qu'il fe rendit maître du vaisseau commandant. Tous les Officiers du Baron de Waffenaer furent tués ou bleffés Le Baron lui - même eut quatre blessures trèsdangereufes; il tomba dans fon fang, & fut

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pris les armes à la main. Cette victoire fut fuivie d'une tempête & d'une nuit affreuse. Tout ce que l'imagination peut fe peindre de plus terrible, s'y trouva réuni. Duguay-Trouin fut mille fois en danger de périr. Son premier foin en arrivant au Port-Louis, fut de s'informer de l'état du Baron de Waffenaer. Il courut fur le champ lui offrir tous les fecours qu'il étoit en état de lui donner. Ayant appris que ce brave guerrier n'avoit pas été traité avec tous les égards dus à fa valeur, par ceux qui s'étoient rendus maîtres de fon vaiffeau, il conçut la plus vive indignation contre l'officier qui les commandoit ; & quoiqu'il fût fon proche parent, jamais il ne put le revoir fans un fentiment qui approchoit de la haine. Lorfque le Baron de Waffenaer fut guéri de fes bleffures, Duguay-Trouin le préfenta lui-même à Louis XIV. De pareils fentimens font plus d'honneur que dix victoires. C'est un fpectacle confolant de voir le mérite ainfi honoré par les grandes ames; tandis que pour les ames viles & baffes, il n'eft qu'un objet d'envie ; & pour les ames dures ou frivoles, un objet de fatire. Duguay-Trouin avoit alors vingt-trois ans.

Page 186. (21) Il n'y a aucune profeffion qui exige plus d'étude & de théorie que la Marine. On y fait un ufage continuel de l'astronomie & de la géométrie. Une connoiffance pro

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fonde de la géographie n'y est pas moins néceffaire. Sans elle il n'y auroit point de navigation. Il faut que l'homme de mer connoisse la différence des climats qui rendent la mer plus, calme ou plus orageuse, plus conftante ou plus inégale dans les tempêtes; la direction des courans dont l'impulfion rapide augmente ou diminue à proportion qu'on s'approche ou qu'on s'éloigne des terres; les écueils & les bancs de terre cachés fous les flots; les dangers & les abris qu'offrent les côtes ; les ports & les rades qui font favorables dans tous les temps, & celles qui ne le font que dans certaines saisons; les ifles qui dans le cours d'une longue navigation, peuvent fournir des fecours à des équipages fatigués; les fonds qui peuvent porter l'ancre, & ceux où il feroit dangereux de la jetter; les déclinaifons de l'aiguille aimantée, déclinaifons qui varient fans ceffe, felon les temps & les lieux; enfin les vents propres à chaque climat, à chaque faifon, le temps précis où ils commencent, celui où ils finiffent, l'étendue déterminée où ils foufflent, le degré de variation de ceux même qui font les plus réguliers. Il feroit dangereux fur tous ces objets, de s'en rapporter à des cartes ou à des mémoires fouvent infidèles : il faut, autant qu'il eft poffible, obferver par foi-même. Une erreut

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