Imágenes de página
PDF
ePub

La fenfibilité fut toujours le carac◄ tère des Héros. Tels furent Alexandre, Céfar, Henri IV, Condé; fiers & fenfibles, fublimes & tendres: tel fut auffi DUGUAY-TROUIN. On aime à le voir frémir à la vue des embrâfemens

& des naufrages; voler au fecours des malheureux; confoler les vaincus; donner les plus tendres regrets à la mort de fes amis; embraffer les corps expirans de fes frères; les ferrer dans fes bras; mêler fes larmes à leur fang. Quoi! il pleure! Eft ce donc là ce Héros qui fait trembler l'Angleterre ? Heureux s'il n'avoit jamais eu que de fi nobles foibleffes! Mais la postérité lui rendra du moins cette juftice, que le plaifir ne fut jamais pour lui que le délaffement de la gloire.

[ocr errors]

Il aimoit Louis XIV, non comme fon Maître, mais comme un grand Homme; & lorfque ce Prince mourut, DUGUAY-TROUIN donna dans Paris le spectacle d'un fujet qui pleura fon Roi,

Ne croyez pas que dans la paix ce Héros foit inutile à la France. Les jours du citoyen ne font jamais perdus pour la Patrie. Tantôt par des études favantes & des réflexions, plus utiles pour un homme de génie que les livres même, il approfondit cet art qui l'a rendu fi célèbre; tantôt il s'occupe à écrire ces mémoires, qui feront une leçon éternelle pour la postérité. Dans les ports où il commande, il maintient l'ordre qui eft l'ame du fervice; il veille fur la difcipline, qui dans la paix tend toujours à s'énerver; il s'étudie à perfectionner l'architecture navale, objet le plus important peutêtre de la Marine, & qui eft encore fi défectueux (43). Il préfide dans un Confeil à cette Compagnie des Indes (44), fondée par Colbert, tombée depuis en décadence, & que l'on vit renaître des débris du fyftême, comme on voit fortir du milieu d'un tronc abattu par l'orage, un rejeton vi

goureux, qui bientôt croît, s'élève; & devient plus fort que l'arbre même qui lui a donné naiffance. Philippe le confulte: DUGUAY-TROUIN éclaire fes concitoyens & fon Prince, comme il avoit vaincu fes ennemis, avec modeftie, mais avec courage.

La cour fe renouvelle. La confiance que l'on a en lui est toujours la même (45). Il va sur les côtes d'Afrique, réclamer les droits de l'humanité chez toutes ces nations qui font trafic de la liberté des hommes. Par-tout il eft refpecté, moins comme l'Envoyé d'un grand Roi, que comme un Héros. Il négocie avec la fupériorité d'un homme fameux par des victoires.

Va-t-il enfin rentrer dans la carrière des combats (46)? La paix de l'Europe eft troublée; l'Angleterre équipe des flottes; nos vaiffeaux s'arment dans nos ports. L'honneur de les commander enflammeDUGUAY-TROUIN, & lui rend l'ardeur de fa première jeu

neffe. Ces mers, après vingt ans vont reconnoître leur vainqueur. Mais tout-à-coup l'Europe fe calme, & DUGUAY-TROUIN, prêt à recommencer de vaincre, fe félicite de ne point augmenter sa gloire. fa

Il femble que les maux qui le tourmentoient n'euffent été fufpendus que par fon zèle. Dès qu'il n'a plus l'efpérance de combattre, fon corps s'affoiblit, fes forces s'épuifent ; & la France qui venoit de perdre Barwick & Villars, pleure le dernier des Héros du fiècle de Louis XIV.

Faut-il qu'il nous ait été enlevé sitôt! Faut-il qu'ufé par les maladies il ait fuccombé lorsqu'il auroit pu encore remplir une longue carrière ! Ah! fi le ciel eût prolongé fes jours, même dans fa vieilleffe, il auroit encore pu fervir l'Etat. Ainfi Duquesne affoibli par les années, rendoit encore la France refpectable fur les mers; ainfi Villars remportoit des victoires

à l'âge où les autres hommes vivent à peine. Que du moins fon ame refpire encore parmi nous ! Que fon exemple perpétue dans notre Marine & la valeur & les talens!

Dans ces entretiens fi profonds qu'il avoit avec Philippe, il parloit fans ceffe à ce Prince de l'importance & de l'utilité de la Marine. Ah! s'il revivoit aujourd'hui, s'il erroit parmi nos ports & nos arfenaux, quelle feroit fa douleur! François, s'écrieroitil, que font devenus ces vaiffeaux que j'ai commandés, ces flottes victorieufes qui dominoient fur l'océan ? Mes yeux cherchent en vain: je n'apperçois que des ruines. Un trifte filence règne dans vos ports. Eh quoi! n'êtes-vous plus le même peuple? N'avez-vous plus les mêmes ennemis à combattre? Allez tarir la fource de leurs tréfors. Ignorez-vous que toutes guerres de l'Europe ne font plus des guerres de commerce; qu'on

les

que

« AnteriorContinuar »