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une puiffante flotte, pour porter des fecours aux ennemis de Philippe V (33). DUGUAY-TROUIN a été choisi pour la combattre. Il a joint fes vaiffeaux à ceux d'un homme célèbre qui étoit, comme lui, la gloire de la Marine Françoife, mais qui avoit un mérite différent. Forbin, né d'un fang illuftre, avoit foutenu la gloire de fa naiffance; DUGUAY-TROUIN avoit fait difparoître l'obfcurité de la fienne. Le premier avoit donné un nouvel éclat à fes aïeux; le fecond avoit créé. un nom pour fes defcendans. L'un avoit mis à profit tous les avantages; l'autre avoit vaincu tous les obftacles. Tous deux intrépides, éclairés, avides de périls, bravant la mort, prompts à fe décider, féconds en reffources. Mais Forbin, né pour être un Général de mer, ne fit le plus fouvent que des exploits d'Armateur; DU GUA Y

TROUIN,

né pour

être un fimple

Armateur, fit prefque toujours des

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actions d'un grand Capitaine. Le premier en fervant l'Etat penfoit à la récompenfe; le fecond penfoit à la gloire. Forbin vendoit fes fervices; DUGUAY TROUIN eût acheté l'honneur d'être utile. Faut-il que ces deux hommes célèbres aient été défunis par ce qui auroit dû former entr'eux un lien éternel, l'honneur d'avoir combattu ensemble pour le bien de l'Etat ! Déja les deux efcadres réunies font près de la flotte Angloife. Forbin foit circonfpection, foit lenteur, foit qu'il méditât à loifir le plan de fon attaque (car il n'eft permis de foupçonner aucun motif indigne d'un grand Homme) Forbin a tout-à-coup ralenti fa marche, & tarde à donner le signal du combat. DUGUAY-TROUIN, accoutumé à compter les momens, jugea qu'il eft des circonftances où l'on eft au deffus des loix, & qu'il valoit mieux prévenir l'ordre que de manquer à la victoire. Si c'est une faute,

c'est celle d'un' Citoyen & d'un Héros ; il n'avoit pas même befoin du fuccès pour être innocent. Il s'avance; la victoire le fuit. La rufe & l'audace, l'impétuofité de l'attaque & l'habileté de la manœuvre l'ont rendu maître du vaiffeau commandant. Cependant l'on combat de tous côtés; fur une vaste étendue de mer règne le carnage. On fe mêle: les proues heurtent contre les proues; les manoeuvres font entrelacées dans les manoeuvres; les foudres fe choquent & retentiffent. DuGUAY-TROUIN obferve d'un œil tranquille la face du combat,pour porter des fecours, réparer des défaites, ou achever des victoires. Il apperçoit un vaiffeau armé de cent canons, défendu par une armée entière. C'est là qu'il porte fes coups. Il préfère à un triomphe facile, l'honneur d'un combat dangereux. Deux fois il ofe l'aborder, deux fois l'incendie qui s'allume dans le vaiffeau ennemi, l'o

blige de s'écarter. Le Dévonshire, femblable à un volcan allumé, tandis qu'il eft confumé au dedans, vômit au dehors des feux encore plus terribles. Les Anglois, d'une main lancent des flammes, de l'autre ils tâchent d'éteindre celles qui les environnent. DUGUAY-TROUIN n'eût defiré les vaincre que pour les fauver. Ce fut un horrible fpectacle pour un cœur tel que le fien, de voir ce vaiffe au immenfe brûlé en pleine mer, la lueur de l'embrâfement réfléchie au loin fur les flots, tant d'infortunés errans en furieux, ou palpitans immobiles au milieu des flammes, s'embraffant les uns les autres ou fe déchirant eux-mêmes, levant vers le ciel des bras confumés, ou précipitant leurs corps fumans dans la mer; d'entendre le bruit de l'incendie, les hurlemens des mourans, les vœux de la religion, mêlés aux cris du désespoir & aux imprécations de la rage, jusqu'au mo

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ment terrible où le vaiffeau s'enfonce, l'abîme fe referme, & tout difparoît. Puiffe le génie de l'humanité mettre fouvent de pareils tableaux devant les yeux des Rois qui ordonnent les guerres! Cependant DUGUAY - TROUIN pourfuit la flotte épouvantée. Tour fuit, tout fe difperfe. La mer eft couverte de débris; nos ports fe remplisfent de dépouilles ; & tel fut l'événement de ce combat, qu'aucun des vaiffeaux qui portoient du fecours ne paffa chez les ennemis; les fruits de la bataille d'Almanza furent affurés, l'Archiduc vit échouer fes espérances, & Philippe V put dès-lors fe flatter que fon trône feroit un jour affermi.

Je paffe fous filence tant d'autres exploits de DUGUAY-TROUIN; des projets concertés avec fageffe, des combats où il triompha toujours de la fupériorité du nombre, une flotte attaquée & vaincue au milieu d'une tempête;circonstance prefque unique!

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